Jeunes français djihadistes: leur voyage en enfer

C'est le récit de ces « parents orphelins », ceux dont un enfant a fui vers la Syrie, auto-endoctriné via internet à l’insu de toute la famille. En quelques mois un recruteur a su « leur retourner la tête » comme dit la sociologue Dounia Bouzar, qui vient de publier Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l'enfer. Car les stratèges en communication de l’organisation Etat islamique savent parler aux jeunes filles et garçons occidentaux. Ils utilisent leurs codes et maitrisent parfaitement leurs fantasmes de petits français qui rêvent de sauver des enfants syriens ou de se battre comme des chevaliers.

Naïfs et idéalistes

Au fil des pages, Dounia Bouzar, qui étudie depuis des années la stratégie sectaire de ces recruteurs, relate avec précision les échanges sur la Toile entre des jeunes filles (naïves comme on peut l’être à cet âge) et leurs redoutables interlocuteurs qui savent se transformer en princes charmants ou en sauveurs de l’humanité pour les séduire.

Dounia Bouzar raconte aussi le désespoir de ces familles, condamnées à attendre près du téléphone un signe de leurs enfants. « Des parents impuissants alors qu’ils connaissent le nom des kidnappeurs et le lieux de la séquestration ».

 Des pouvoirs publics dépassés

La sociologue n’est pas tendre avec les pouvoirs publics même si elle reconnait qu’aujourd’hui les choses ont énormément évolué. Elle raconte ces policiers ou gendarmes qui hésitent à prendre les plaintes des parents, la stupéfaction des parents lorsqu’ils comprennent que leur enfant n’a pas besoin d’une autorisation parentale pour quitter le territoire (la loi est en train de changer). Ou encore, le Quai d’Orsay qui ne veut rien entendre de ces familles ! Lorsque l’une d’elle décide de tenter de récupérer leur fille à la frontière turco-syrienne, le ministère des Affaires étrangères leur répond que «  c’est à leur risque et péril et qu’en cas d’un hypothétique retour avec leur fille, cette dernière irait directement en garde à vue ». Dounia Bouzar s’élève contre les termes utilisés par des policiers ou même des journalistes qui évoquent par exemple des « départs volontaires » alors que les parents jugent que leurs enfants sont pris dans une nasse sectaire, une « anesthésie affective » et que là dedans il n’y a rien de volontaire ! L’approche du phénomène serait pourtant en train de changer « grâce au combat des parents, les autorités nous ont entendu et grâce à la création du numéro Vert par exemple, les familles en sont plus laissées seules sur le bord du chemin. ». Mais l’interrogation reste entière : qu’est-il passé dans la tête de ces jeunes gens pour que du jour au lendemain, ils quittent ainsi projets, amis et familles?

 "Anesthésie affective"

C’est vrai qu’il y a de quoi s’interroger. Comment ces jeunes gens, garçons et filles, généralement intelligents et issu de milieux plutôt cultivés, souvent athées, ont-ils pu se laisser ainsi embobinés ?

Dans son livre, la sociologue avance plusieurs pistes. D’abord il semble que la grande majorité a vécu un deuil familial dans les mois ou années qui ont précédé leur endoctrinement.

Ensuite, les filles sont décrites comme « idéalistes, avec un fort sentiment d’insécurité » et donc apparemment rassurées par les discours simplistes et univoques de ces extrémistes religieux. Pour les garçons c’est autre chose, Dounia Bouzar évoque des fantasmes « qui vont de l’Abbé Pierre à Terminator ! ». Des jeunes hommes qui cherchent leurs limites et veulent se confronter à Dieu en allant combattre… « En gros ça passe ou ça casse : je survie au combat ou je meurs en martyre ! ».

Dans la fiction, des parents parviennent à récupérer leur fille après une haletante course contre la montre. Mais dans la vraie vie, ce cas ne s’est jamais produit: à l’heure actuelle aucune adolescente partie en Syrie n’est rentrée à la maison.

« Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer », Dounia BOUZAR (Editions de l’Atelier)

 

 

 

 

 

Publié par Audrey Goutard / Catégories : Actu