Germaine Tillion ou l'intelligence du courage

Je poursuis mon retour sur la documentation qui m'a permis de préparer l'édition spéciale consacrée à l'entrée au Panthéon de Geneviève De Gaulle Anthonioz, Pierre Brossolette, Jean Zay et Germaine Tillion. C'est à cette dernière que sont consacrés les ouvrages décrits ici. J'ai lâchement fait l'impasse sur ses livres savants d'ethnologie, à propos desquels j'ai préféré écouter les émissions de radio et de télévisions auxquelles elle a participé.

Voici ma sélection drastique parmi un multitude d'ouvrages. J'espère transmettre l'immense plaisir que j'ai eu à découvrir "Germaine", géante de la résistance et de la pensée. Admirez par exemple la limpidité de ses raisonnement dans Deux fils qui se croisent, documentaire dans lequel elle répond à... Michel Anthonioz (peut-être fallait-il être le fils de Geneviève pour lui donner la confiance de se livrer)

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Dialogues, par Geneviève De Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion, présenté par Isabelle Anthonioz-Gaggini, éd. Plon, 2015

Ce sont des dialogues d’amitié, nés d’une démarche de filiation. Isabelle Anthonioz-Gaggini, fille de Geneviève, a pris l’initiative, avec le cinéaste Jacques Kebadian, de filmer ces dialogues consacrés exclusivement à la période de la deuxième guerre mondiale. Ce livre en est la transcription, sous la direction littéraire de Caroline Glorion. Les destins des ces deux héroïnes sont indissociables, depuis la naissance de leur amitié dans l’isolement cruel de Fresnes et l’horreur de Ravensbrück. Germaine Tillion a pour elle la précision et les doutes de l’ethnographe, auxquels répond la foi de Geneviève De Gaulle Anthonioz. Foi chrétienne et foi en elle-même. La simplicité de ces dialogues est particulièrement frappante, dans cette époque d’effets de manche médiatiques. Un seul regret : pas un mot sur l’époque de la guerre d’Algérie, durant laquelle Geneviève aidera discrètement Germaine dans son combat contre l’enchaînement terrorisme-répression. On aurait voulu savoir ce qu’elles s’en disaient des années plus tard. Mais peut-être ces dialogues-là restent-ils à publier ?

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La traversée du mal, par Germaine Tillion, entretien avec Jean Lacouture, éd. Arléa, 2000

C’est un entretien de Jean Lacouture avec Germaine Tillion. Ce qui frappe le lecteur en tout premier lieu, c’est l’extrême précision et l’infinie concision de l’ethnologue. En visionnant des dizaines d’interviewes pour préparer notre édition spéciale du 27 mai comme en lisant ce livre, j’ai pris une leçon d’économie de mot. Ce que dit cette femme a un poids terrible sans abus d’adjectif et sans périphrase. Ce qui est vérifié est asséné, ce qui n’est pas certain est tu. Et puis c’est tout. Germaine Tillion a gardé cette qualité jusqu’aux dernières années de sa longue vie (elle est partie à 102 ans). Si cet ouvrage est en bonne place dans cette sélection, c’est parce qu’il est dialogué et extrêmement direct. J’y vois là la possibilité d’un succès sur les plus jeunes ou les plus pressés… Jean Lacouture construit son entretien chronologiquement en alternant le récit factuel (et passionnant) et les clefs d’analyse de l’intellectuelle Tillion. Les Aurès avant guerre, la Résistance (et Ravensbrück) puis l’Algérie occupent des places comparables dans cet ouvrage, preuve que l’intervieweur cherche à faire analyser à germaine Tillion les ponts entre les maux dans une seule et même traversée, une vie exceptionnelle. La préface est magnifique, et très souvent citée dans d’autres publications. Elle est signée… Geneviève De Gaulle Anthonioz.

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Une opérette à Ravensbrück, par Germaine Tillion, éd. Points, 2007

Pendant sa déportation à Ravensbrück, Germaine Tillion enquêtait en secret sur le fonctionnement du camp, et sur les profits que Himmler aurait tiré de l’esclavage des prisonnières. Plus incroyable encore, elle écrivait au même moment, en cachette, une opérette dont le texte est ici recueilli. Pour ces deux démarches si périlleuses, un objectif commun : permettre à ses camarades de tenir, d’une part par une meilleure compréhension de l’enfer, d’autre part par l’humour et la joie de fredonner tout bas, loin de l’oreille des gardiens, les rengaines à la mode à l’époque. Frappante, l’écriture précise de Germaine Tillion, dont une partie du manuscrit est reproduite. La main est sûre, alors qu’elle écrivait dans la pénombre sur des bouts de papier. Surprenant : l’humour noir du livret, qui tire les larmes au lecteur d’aujourd’hui. Voir aussi le DVD de David Unger : la représentation au théâtre du Châtelet à Paris (Cinétévé/ Arte France-2008), mais aussi le magnifique feuilleton du 13h de France 2 (Martine Laroche-Joubert et Alexis Jacquet)

Publié par Pascal Doucet-Bon / Catégories : Non classé