13 septembre 2015 : Marine Le Pen et son équipe se trouvent à la grande braderie d’Hénin-Beaumont dans le cadre de la campagne pour les élections régionales. Alors qu’ils croisent des militants du Front de gauche, elle met quelques paroles en musique : « Mais il est où, il est où le Mélenchon ? ». La chanson existe depuis 2012, année où Jean-Luc Mélenchon s’est présenté contre Marine Le Pen aux élections législatives. Il a déclaré qu’il n’abandonnerait pas Hénin-Beaumont. Il n’y est pas revenu.
27 août 2017 : à l’occasion de son discours de clôture des Amphis d’été de La France insoumise à Marseille, Jean-Luc Mélenchon évoque devant ses militants le FN et ses électeurs en ces termes : « Eh, les gros ballots, là, qui font du bruit dans les bistrots, hein ! Et après vous allez voter FN. Ça sert à quoi le FN ? À rien ! ». Les réactions ne se font pas attendre. Dans un tweet, Florian Philippot s'en prend ainsi au député des Bouches-du-Rhône :
L'attitude de Jean-Luc Mélenchon n’est pas sans rappeler une vieille stratégie et une histoire datées. Au début des années 1980, un aspect essentiel s’intègre dans l’histoire du parti lepéniste. Si la décennie précédente se caractérisait par l’absence quasi totale de relais médiatiques, cette période d’émergence du Front national annonce une rupture notamment sur ce plan : la presse tout comme les partis politiques ne font plus l’impasse sur le « phénomène Le Pen ». Globalement, deux type de réactions apparaissent : la première vient de la gauche et assimile le FN au nazisme. Cette posture renvoie l’histoire du parti quarante ans en arrière et, en même temps, reste en inadéquation avec les enjeux réels et contemporains du discours frontiste sur lequel le FN bâtit ses succès. La droite, elle, tend à banaliser ses alliances avec le FN même si certains font entendre leur différence.
À partir de 1984, l’espace politique frontiste ne cesse de s’élargir. Le FN est en train de se créer un territoire autonome par rapport à celui de la droite. Selon le Front national, ce positionnement déclenche à gauche une « stratégie de diabolisation – la stratégie dite “du Front fort” – qui vise à empêcher que les deux morceaux de la droite ne se ressoudent » avance alors Lorrain de Saint Affrique. La lutte contre le FN devient emblématique d’une valeur commune : l’antifascisme. L’émergence de SOS Racisme est concomitante à la médiatisation du FN. La première fête de l’association antiraciste (15 juin 1985), organisée place de la Concorde, rassemble 300 000 personnes, essentiellement des jeunes. Selon Jean-Marie Le Pen, les socialistes créent le « mythe de la menace fasciste » en fabriquant des organisations pour le combattre. Le président du FN insiste cependant sur le fait que son parti n’a pas eu besoin des autres pour se construire. L’idée qu’il doit sa visibilité, ces années-là, à un calcul politique de la gauche relève pour lui « de la légende ».
Mais surtout, la communication du FN passe davantage par les contre-manifestations. Mouvements de gauche et organisations antiracistes, pour la plupart, viennent dire sur place leur opposition. Leurs affiches font souvent connaître les dates des réunions publiques du FN. Autrement dit, explique Lorrain de Saint Affrique, Jean-Marie Le Pen « en a tiré très vite des conclusions (...) dans sa stratégie future, ce sont les forces adverses qui (le) font avancer ».
Un peu plus de trois décennies plus tard, Marine Le Pen peut-elle tenir les mêmes propos que ceux de son père ? Si les attaques de ses adversaires politiques changent de registre, elles demeurent inopérantes. Ce sont, entre autres, ces « invisibles » que la présidente du FN prétend incarner et rendre justement « visibles » que les paroles de Jean-Luc Mélenchon visent. Les représentants du FN l’ont compris. « Le social remplace parfois le politique », explique justement Steeve Briois. Le maire d’Hénin-Beaumont continue ainsi : « Quand on est maire d’une commune, on ne fait pas de politique. La piscine, l’éclairage public, c’est ça qu’on gère. Après, il peut y avoir des petites choses, des marqueurs, mais c’est marginal ». Sa politique municipale dans cet ancien fief de la gauche se résume à trois mots : omniprésence, proximité et écoute des habitants.
Il suffit aussi d'entendre certains électeurs FN. Comme cette habitante d'Hénin-Beaumont, ancienne électrice de gauche, qui a voté FN pour la première fois aux municipales de 2014. Elle et son époux en avaient « ras-le-bol » des politiques. Ils n’oublient pas qui ils sont, d’où ils viennent. Ils revoient leurs parents communistes et revendiquent leur « racine » : les mines. Cette femme se dit séduite par Steeve Briois. Il est « naturel ». Il tutoie son mari. Puis quand « son » maire passe à côté d’elle, il n’oublie jamais de lui serrer la main, de lui sourire, de l’écouter, explique-t-elle et de poursuivre : « Est-ce que c’est typique des mines ? C’est important d’être reconnu en tant que tel. Ca veut dire que, même si on n’est rien, même si on fait rien, et même si on n’a rien, on est quand même quelqu’un ».