Ce 20 juin, le Bureau politique du FN doit notamment revenir sur les résultats des dernières élections et appréhender l’histoire à venir. Parmi les points centraux, la question de la ligne politique « et de droite, et de gauche » devrait être au centre des attentions : critiquée par certains et, en même temps, une nouvelle fois garante pour le parti lepéniste des députations fraichement acquises. Après deux échecs successifs, elle vient de permettre à Marine Le Pen d'intégrer l’Assemblée nationale.
Ils sont quatre députés FN à avoir été élus dans ce territoire symbolique, le département du Pas-de-Calais : Bruno Bilde, José Evrard, Ludovic Pajot et Marine Le Pen. Dans la onzième circonscription, la présidente du FN l’emporte avec 58,6% des voix contre la candidate de La République en marche Anne Roquet. À Hénin-Beaumont, elle rassemble 66% des suffrages sur son nom. Sébastien Chenu est, lui, élu dans la 19e circonscription du nord.
Depuis 2007, c’est sa terre d’élection. Avec 4,29 % des suffrages aux législatives de juin cette année-là, le FN n’obtient pas d’élus et aucune rentrée d’argent. Marine Le Pen est la seule de son parti à franchir la barre du premier tour dans la circonscription du Pas-de-Calais. Cinq ans plus tard, elle est battue par le candidat socialiste Philippe Kemel d’une centaine de voix au second tour. Le 7 mai dernier, la présidente du FN est arrivée en tête dans 13 communes sur 14 de cette onzième circonscription. Au premier tour, elle y affiche un résultat de 41,2 % et de 58,2 % deux semaines plus tard. À Hénin-Beaumont, Marine Le Pen fait mieux : 46,50 % et 61,56 % des voix.
Implantation locale
C’est le maître-mot. L’enjeu est là : la captation des voix de l’électorat populaire. Hénin-Beaumont, au coeur du bassin minier dans le Pas-de-Calais, ancien fief de la gauche, devenue l’emblème du FN. La ville dans laquelle la fille de Jean-Marie Le Pen renaît politiquement. Steeve Briois, son suppléant à ces législatives, est central dans cette élection et dans l'histoire politique de Marine Le Pen… tout comme Bruno Bilde et d’autres élus. Le maire d’Hénin-Beaumont a compris une chose : dans cette ville imprégnée de conscience ouvrière, le social supplante la politique. L'objectif du FN à Hénin-Beaumont et ailleurs ? Devenir un parti politique banal, « dédiabolisé » diront certains.
Élu pour la première fois à la mairie en 1995, il est décrit au début des années 2000 comme un « recours pour les uns, danger pour les autres. Inclassable et infatigable militant, tractant par tous les temps avec une équipe haute en couleurs. (...) quinze ans d’activités politiques intenses, dix ans de lutte au conseil municipal, des dizaines de milliers de tracts distribués ». La victoire du FN s’appuie bien sur un long travail militant. À partir des années 1990, Steeve Briois, Laurent Brice et Bruno Bilde occupent la place. Les trois anciens mégrétistes pratiquent un maillage territorial inspiré des méthodes du Parti communiste. Ils frappent aux portes, distribuent des gratuits dans les boîtes aux lettres. Ils sont présents sur les marchés et aux sorties d’usine ; là où se trouve leur électorat. Steeve Briois note les doléances de ses concitoyens et sait que la conquête des urnes passe aussi par celle des coeurs. Son action et son ambition politiques s’inscrivent indéniablement dans la continuité de ce que Jean-Pierre Stirbois, ancien secrétaire général du parti, a réalisé à Dreux au début des années 1980. Steeve Briois en parle ainsi dans une publication interne du parti datée de 2005 : « L’objectif de tout militant (...) est de convaincre. Convaincre les électeurs qui n’ont pas encore voté pour nous et convaincre ceux qui ont des a priori à notre sujet. (...) Nous militons activement dans cette ville. Au début, nous étions une poignée, aujourd’hui nous avons une équipe sérieuse et compétente, constituée d’une cinquantaine d’hommes et de femmes. Depuis deux ans, nous avons mis sur pied une véritable machine de guerre. Chaque mois, nous distribuons aux onze mille foyers de la ville un petit journal de quatre pages qui fait l’objet d’une bombe auprès de la population, puisque nous y dévoilons toutes les magouilles de la municipalité. (...) Il ne faut jamais désespérer. Conquérir une ville, c’est une course de fond. Il ne faut partir ni trop tôt ni trop tard. Avoir un rythme soutenu surtout en dehors des campagnes électorales, car c’est paradoxalement là que les électeurs sont les plus attentifs. Être à l’écoute de nos concitoyens et faire preuve d’imagination. On ne fait plus les campagnes électorales comme avant. Lorsque je fais du porte-à-porte, les gens se confient à moi, ils me racontent leurs difficultés, leurs problèmes, ça leur fait du bien. Le social remplace parfois le politique. Tout cela demande du temps et de la patience puisque je récolte maintenant ce que nous avons semé il y a dix ans. Nous devons donc être plus performants que les autres parce que nous représenterons tôt ou tard, l’unique recours ».
Le contexte participe à la stratégie du FN. En 2003, MetalEurope ferme ses portes. Un an avant, c’était la cokerie de Drocourt. Peu à peu, Steeve Briois adapte son discours. La thématique de « l'insécurité sociale » s'impose. Il gagne des suffrages, notamment à gauche. En 2009, sa liste récolte près de 48 % des suffrages exprimés. Cette élection municipale partielle fait suite à la mise en examen et à l'incarcération du maire PS Gérard Dalongeville (2001-2008) pour détournement de fonds, faux en écriture et favoritisme. Le contexte politique local a donc fait le reste. Le ressentiment de la population est fort dans l'ancienne cité minière… qui, au premier tour des municipales de mars 2014, élit maire Steeve Briois.
Aujourd’hui, il apparaît comme le symbole de la reconquête. Sa ville représente un enjeu pour le FN... et pour Marine Le Pen. Cela fait un bon moment qu'elle en est est consciente. Aux régionales du printemps 2010, sa liste est la seule à avoir amélioré son score. Ce qui est possible à Hénin-Beaumont « doit l’être dans chaque commune de France », affirme alors la fille de Jean-Marie Le Pen avant de poursuivre : « Il suffit de s’en donner la peine. Ce résultat veut dire que nous sommes capables d’élargir notre électorat, bien plus loin que notre famille naturelle, et j’espère qu’en terme de positionnement ce résultat sera le point de départ de l’avenir de la construction du Front. Le résultat que j’ai pu obtenir ici démontre que, loin de se radicaliser, il faut défendre bien entendu nos idées sans excès, et bien sûr sans faiblesse ».
Pour beaucoup de ses habitants, Hénin-Beaumont a changé depuis l’arrivée du FN. Le programme de Steeve Briois se résume à quelques mots : baisser les impôts locaux, rétablir la sécurité et « tourner le dos à 50 ans de gestion calamiteuse du PS ». Le quadragénaire est conscient que le frontisme municipal des années 1990 n’est pas la solution. « Quand on est maire d’une commune, on ne fait pas de politique. La piscine, l’éclairage publique c’est ça qu’on gère. Après, il peut y avoir des petites choses, des marqueurs mais c’est marginal » continue-t-il. Certes, sa politique intègre des mesures imprégnées par les thématiques du parti. Mais pour brouiller un peu plus les cartes, Steeve Briois a, par exemple, accordé un permis de construire pour la mosquée. Il a également installé, dans son bureau, le buste de Jean Jaurès. Tous sont conscients de cette particularité : le FN est parvenu ici à capter les voix de la droite et, surtout, celles de la gauche… ces catégories populaires qui se considèrent trompées par leur ancien camp. Dominique, assistante familiale et ancienne électrice de gauche, a voté FN pour la première fois au printemps 2014. Elle et son époux en avaient « ras-le-bol ». Elle se dit séduite aujourd’hui. Quand « son » maire passe à côté d’elle, il n’oublie jamais de lui serrer la main, de lui sourire, de l’écouter, explique-t-elle. « C’est important d’être reconnu en tant que tel. Ca veut dire que, même si on n’est rien, même si on fait rien, et même si on a rien, on est quand même quelqu’un ».