« On est chez nous ! » Inlassablement et depuis de nombreuses années, les partisans du FN reprennent ce slogan pérenne et phare du logiciel frontiste dans les meetings et réunions du parti. C’était le cas à Clairvaux-les-Lacs ce 17 février… tout comme le week-end des 4 et 5 février à Lyon, lors des Assises présidentielles. Les variantes existent : « On n’est plus chez nous », « Pourquoi on les laisse rentrer chez nous ? » « Ils sont ici chez nous, donc un minimum », etc. Marine Le Pen réfute toute trace de xénophobie dans ces quelques mots. Pour elle, c’est un « cri du cœur, un cri d'amour pour ce qui nous appartient, notre pays ».
Les élus et cadres du FN n’hésitent pas à se l’approprier et à le compléter. Par exemple, lors d'un meeting à Beaucaire, en décembre 2013, la présidente du FN lance « Nous sommes chez nous ! Quand je vais à Beaucaire, je n'ai pas envie d'avoir le sentiment d'être à Rabat ». Dans la municipalité FN du Gard, en mars 2015 (dans le cadre de la campagne des départementales), le maire Julien Sanchez avance : « On est chez nous ! Il faut stopper la délinquance en France ». Les paroles de ces hommes et femmes s'inscrivent dans le principe premier de leur parti : la « priorité nationale ». Elles en réactivent d’autres, notamment « Français d'abord » et « Non au racisme anti-Français ! ». En 2012, le Front National de la Jeunesse produit l’affiche « On est chez nous ! » qui entend justement dénoncer ce « racisme » que connaîtraient de « trop nombreux Français dans leur propre pays ».
Le « racisme anti-Français » est bien au centre de ces quelques mots. À la fin des années 1980, son théoricien Jean-Yves Le Gallou, secrétaire général du groupe Front national à l’Assemblée nationale, publie l'ouvrage éponyme sous titré « une discrimination cachée : la préférence étrangère ». On peut y lire notamment ceci : « Les Français, et particulièrement leurs représentants du Front national, sont souvent accusés de racisme. Ici, cependant, nous ne sommes plus en position d’accusés mais en position d’accusateurs. (…) nous accusons les gouvernements français successifs, non seulement d’avoir refusé la mise en œuvre du principe de la préférence nationale, mais encore d’avoir accordé une véritable préférence étrangère dans les domaines du logement, de la formation et de l’emploi. (…) nous tenons à attirer l’attention des Français sur le fait qu’ils sont en train de devenir dans leur propre pays des citoyens de seconde zone ». Cette dénonciation du racisme « anti-français », vu au FN comme un racisme « inversé », imprègne la sémantique frontiste.
Aujourd’hui, le « On est chez nous ! » expose le positionnement politique du parti fondé sur le rejet de l’islam. Le FN considère que ces violences et discriminations quotidiennes que subiraient les Français s’apparentent bien au « racisme anti-Français ». Dans son premier programme présidentiel (2012), Marine Le Pen y revient. Dans le chapitre intitulé « Rétablir l’autorité de l’état », on peut lire ceci : « Le racisme anti-Français comme motivation d’un crime ou d’un délit sera considéré comme une circonstance particulièrement aggravante et alourdira donc la peine encourue ». Encore plus depuis les attentats et la crise des réfugiés, le FN surexploite ce marqueur. Associés à la dénonciation de la « submersion migratoire », le « racisme anti-Français » et/ou le « racisme anti-Blanc » sont mis en avant par les élus du FN. Le discours est rodé : notre pays assure confortablement l’accueil et le « confort » des « migrants » - substitut rhétorique des demandeurs d'asile et des réfugiés - alors que nombre de Français se « battent pour faire face aux réalités quotidiennes ». D’un côté, des Français qui « souffrent » et de l’autre, des « milliers de migrants » pour qui le gouvernement parvient à offrir des conditions de vie plus qu’acceptables, certains étant même logés « dans des châteaux ou des centres de vacances ». La conclusion ? Le gouvernement a abandonné la défense des Français pour celle des immigrés (et des réfugiés)... et le FN s’occupe, lui, justement prioritairement des Français. La « priorité nationale » - qui doit se substituer à la « préférence étrangère » - entend priver les étrangers de leurs droits politiques, économiques et sociaux. Ce nationalisme version FN recouvre le discours d’exclusion et la xénophobie. Il repose sur l’idée d’une primauté qui s’incarne dans la défense des valeurs et des intérêts nationaux. Comme tout parti nationaliste, le FN estime son pays supérieur aux autres. Il opère une sorte de protectionnisme identitaire et vise explicitement ses cibles. Il faut protéger la France contre ce qui est perçu comme une menace intérieure... sachant que les Français sont « chez eux » et doivent être servis les premiers ; et ce, dans tous les domaines.
Marine Le Pen revient aussi sur ce slogan dans le cadre de la sortie en salle le 22 février de Chez nous !, inspiré de l'histoire du FN. Pour son réalisateur Lucas Belvaux, le film est aussi une « façon de remettre le Front National dans sa réalité ; de dire aux gens qui votent de bonne foi pour ce parti pour tout un tas de raisons, parce qu'ils ont envie de renverser la table, l'envie que ça change, parce qu'ils ont l'impression que la société patine, etc... De dire à ces gens donc : "Attention ! Je comprends votre colère, je comprends votre envie, je la partage, moi aussi j'ai envie que ca change, parce qu'on est dans un moment où les démocraties européennes ne fonctionnent plus très bien". Mais voter pour le FN, c'est vraiment voter pour un parti d'extrême droite, qui s'ancre dans une idéologie qui a 150 ans, qui n'a pas beaucoup changé depuis ; qui est raciste, antisémite ».
La bande-annonce attire les foudres du FN. Florian Philippot « trouve ça proprement scandaleux qu’en pleine campagne présidentielle, (...) on sorte dans les salles françaises un film qui est clairement anti-Front national ». Pour Steeve Briois, c'est un « sacré navet en perspective ». Chez nous ! retrace une campagne municipale dans l'ancienne région Nord-Pas-de-Calais, aujourd'hui Hauts-de-France. Il se déroule dans la ville imaginaire d'Hénard qui ressemble, à s'y méprendre, à Hénin-Beaumont.