« C'est la responsable politique, mais aussi la femme, qui prend aujourd'hui la plume pour s’adresser aux Français. C’est comme femme française libre, qui a pu jouir toute sa vie durant des libertés très chères, acquises de haute lutte par nos mères et nos grands-mères, que je tiens à alerter sur une nouvelle forme de la régression sociale, humaine et morale que nous impose la crise migratoire, crise qui n’est pas une fatalité, mais l’œuvre d’une politique voulue, effrayante par son aveuglement ». Ces premiers mots laissés par la Présidente du FN dans une Tribune libre - « Un référendum pour sortir de la crise migratoire » - sur le site de l’Opinion poussent à revenir sur deux aspects de l’histoire du FN : le vote féminin et une politique familiale mise en lien avec l’immigration.
Au FN, tout s'explique par l'immigration
Pour tenter d'expliquer son point de vue, la présidente du FN s’appuie sur ces « centaines de femmes qui ont subi des agressions sexuelles » à Cologne, en décembre dernier. Elle dénonce le « silence » du gouvernement ainsi qu'une « politique migratoire insensée ». Et de conclure : la « situation de la Femme » est la « conséquence dramatique de la crise migratoire ».
Marine Le Pen reprend là un raisonnement frontiste daté. Alors que Bruno Mégret est le numéro deux du FN, la Commission Famille du parti d’extrême droite explique, en des termes quasi semblables, ce qu’elle considère comme un « abandon de la politique familiale ». La principale cause invoquée ? Le développement d’une « politique d’immigration extra-européenne ». Christian Baeckeroot, membre du Bureau politique du FN et président de la Commission Famille avance que « si la survie du peuple français doit être le premier souci des responsables de notre pays, il est impossible de les laisser plus longtemps prendre prétexte d’une dénatalité qu’ils ont largement programmée pour ouvrir la France à l’invasion étrangère, réalisant ainsi, par idéal cosmopolite et à des fins politiciennes, une authentique "mutation du peuple" aux conséquences incalculables ». Pour le FN des années 1990, la Cinquième République n’a pas fait que céder « à la facilité et aux pressions mondialistes ». Elle a substitué à la politique familiale une politique d’immigration.
Le vote FN, majoritairement masculin aux temps du père
En 2002, une étude - réalisée à la sortie des urnes par l’institut Ipsos - confirme une des réalités du portrait de l’électeur frontiste : il reste un vote majoritairement masculin (21 % des hommes contre 13 % des femmes). Cependant, si seules les femmes avaient voté, explique alors Mariette Sineau (Libération 8 mai 2002), directrice de recherche au Cevipof-Sciences Po, Jean-Marie Le Pen n’aurait pas accédé au second tour de la présidentielle de 2002. Même si elles sont plus « touchées que les hommes par les effets de la crise et de l’isolement, causes majeures du lepénisme ordinaire », pourquoi sont-elles plus « réticentes qu’eux à soutenir le leader d’extrême droite » ? Les raisons principales s'inscriraient dans le refus de la violence physique et verbale qu’incarne le personnage Le Pen et dans le programme du FN qui nie les principes élémentaires du féminisme. D’ailleurs, une analyse sociologique basée sur une enquête réalisée pendant l’entre-deux-tours des législatives de 1997 montre que Jean-Marie Le Pen fait son plus mauvais score chez les « femmes tournées vers la modernité et les valeurs féministes » et chez celles au profil traditionnel (les 65 ans et plus, les catholiques pratiquantes, les veuves, les retraitées). Mariette Sineau poursuit : c’est la conjonction de ces deux oppositions qui constituerait la « force de l’anti-lepénisme féminin ». Plus elles sont catholiques, moins elles votent Le Pen. Lorsqu’il cite les paroles de l’Évangile – « N’ayez pas peur. Entrez dans l’espérance » – au soir du premier tour de la présidentielle de 2002, Jean-Marie Le Pen sait d'ailleurs à qui il s’adresse.
Depuis 2012, les femmes votent Marine Le Pen autant que les hommes. Au contraire de son père, Marine Le Pen est parvenue à séduire l’électorat féminin en proposant une image de femme « moderne », pourquoi pas féministe, au parler franc mais sans trop d’outrances. Le FN de Marine Le Pen ne suscite plus la même réticence chez les femmes. Comment comprendre ce vote féminin alors que le Front national continue de proposer une vision conservatrice de la femme ? Aujourd'hui, les ouvrières font partie des électrices majoritaires. Nonna Mayer met en évidence un basculement : celui des « employées dans le commerce, qui incarnent un nouveau prolétariat des services, peu qualifié, mal payé, dont les conditions de précarité n’ont rien à envier à celles des ouvriers. En 2012, ce groupe a voté pour Marine Le Pen à 30 %, un score supérieur de 17 points à celui de son père en 2007 ». La politologue souligne également un recul du féminisme et le fait que la religion ne doit plus être considérée comme une barrière au vote FN.
Dans sa tribune, la présidente du FN va jusqu'à citer Élisabeth Badinter et Simone de Beauvoir. Les propos de Marine Le Pen montrent, une nouvelle fois, et de façon exemplaire, l'exploitation d'une thématique pérenne - la lutte contre l'immigration - par le biais de l'instrumentalisation d'une autre. Aujourd’hui, le FN ne fait pas que courtiser les femmes. Il veut apparaître tel un parti s’imposant comme le défenseur des femmes et de leurs droits. Son histoire et ses marqueurs politiques contredisent formellement ce positionnement. Un des derniers exemples en date reste les positionnements respectifs à propos de l’IVG des deux femmes fortes du parti, Marion Maréchal Le Pen et Marine Le Pen. Sachant que depuis les années soixante-dix, la lutte contre l’IVG reste un des piliers de la « préférence familiale » du parti lepéniste.