À Beaucaire, s'agit-il de "fermeté" ou d' "islamophobie" ?

La rue Nationale à Beaucaire (photo de Vincent Jarousseau Hanslucas)

« Aujourd'hui, pour certains, demander à respecter le voisinage la nuit constituerait donc une discrimination islamophobe ? » ironise Julien Sanchez, faisant allusion à sa parution, ce jeudi 7 janvier, devant le Tribunal correctionnel de Nîmes, pour « discrimination raciale ». La raison ? Six commerçants maghrébins du centre-ville de Beaucaire ont déposé plainte pour « entrave à l'exercice d'activité économique par dépositaire de l'autorité publique à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité ». Abdallah Zekri, le président de l'Observatoire national contre l'islamophobie au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM) s'est porté partie civile.

Les 16 et 17 juin 2015, le maire FN prend deux arrêtés municipaux interdisant notamment l’activité des « épiceries, primeurs et commerces de distribution » à partir de 23 heures. Ces textes visent, notamment, des commerçants de deux rues principales de Beaucaire, la rue Nationale et la rue Ledru-Rollin. Ils entrent en vigueur le 19 juin, premier jour du ramadan. Après l’intervention du préfet du Gard, ces arrêtés sont abrogés et remplacés par deux autres.

Julien Sanchez justifie sa politique. Il affirme avoir été « alerté par des riverains subissant de nombreuses nuisances sonores (dues à la consommation d'alcool et/ou à l'absence de savoir-vivre et d'éducation de certains) aux abords de différents commerces ouverts la nuit. » Sur le site internet de la ville de Beaucaire, cette pétition « Tranquillité et sécurité pour les Beaucairois » est mise en ligne. Julien Sanchez affirme qu'elle a récolté, à ce jour, 3000 signatures (des signataires qui ne vivraient pas tous dans le périmètre concerné par les arrêtés) :

pétition sécurité web 22

 

Il y a du monde au Tribunal correctionnel de Nîmes en cet après-midi du 7 janvier 2016. Julien Sanchez est soutenu. Dans la salle, ses amis, notamment Yoann Gillet (Secrétaire Départemental du Front National dans le Gard, Conseiller régional de Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées et Président du groupe des élus du Front National à Nîmes et Nîmes Métropole) et Jean-Pierre Fuster (Conseiller départemental du canton de Beaucaire, premier adjoint au Maire de Beaucaire et Conseiller communautaire de la communauté de communes Beaucaire). Le maire de Beaucaire répète, devant la Cour, que des seniors seraient venus le trouver, en pleurs, pour se plaindre de nuisances sonores. Pour lui, il ne peut être établi de rapport entre la religion des commerçants et le fait qu'ils tiennent des commerces de nuit. Julien Sanchez nie toute volonté de cibler des commerçants d'origine maghrébine et musulmans. Pour lui, la religion relève de la sphère privée. D'ailleurs, déclare-t-il un peu plus tard, il ne connaît pas plus la religion des commerçants qui ont porté plainte qu'il ne connaît celle du Président du tribunal ! Et le véritable objet est ailleurs : il s'agit de restaurer l'ordre public en mettant un terme à ces nuisances sonores.

« Ne vous faites pas plus stupide que vous n'êtes » lui lance le président Jean-Pierre Bandiera, considérant que Julien Sanchez ne lui répond pas. À la question de savoir pourquoi le maire de Beaucaire  n'a pas consulté les commerçants visés avant de prendre ces arrêtés, ce dernier répond qu'il n'est « pas assistante sociale ».

Pour l'avocate des plaignants, le « fondement inavoué de ces arrêtés est ailleurs puisque nul n'est censé ignorer la loi. La réelle motivation est la discrimination en raison de l'appartenance supposée ou avérée à une ethnie ou un groupe religieux ». Maître Aoudia rappelle la « nécessité, lorsque l'on se sent discriminé, de saisir la justice en recours. Il est vital de faire confiance à la justice. Quand nos concitoyens perdent cette confiance, ils choisissent, hélas, une autre voie ». Maître Josserand - qui assure la défense de Julien Sanchez - demande, quant à elle, la relaxe du maire de Beaucaire (si le tribunal estime que la saisine est régulière) ainsi que des sanctions pour procédure abusive.

Lors d'un meeting pour les municipales à Beaucaire, en décembre 2013, Marine Le Pen déclarait : « Nous sommes chez nous. Quand je vais à Beaucaire, je n'ai pas envie d'avoir le sentiment d'être à Rabat ». Dès son élection en mars 2014, Julien Sanchez s'est employé à redonner à cette « ville française » son caractère provençal. Certaines de ses premières mesures - comme celle de réserver les places de marché aux artisans et « commerces traditionnels »- visaient, par exemple, les commerces « communautaires trop nombreux » à savoir les marchands de kebab.

Dans un tweet, publié peu après la fin de l'audience, le maire de Beaucaire se dit « serein ». Il rajoute :  « Me condamner serait accepter que les nuisances deviennent la règle & tolérer officiellement les zones de non droit ». Julien Sanchez a-t-il fait preuve, envers des commerçants de Beaucaire, « de discrimination en raison de l'appartenance supposée ou avérée à une ethnie ou un groupe religieux » ? Le délibéré sera prononcé le 10 mars.

 

 

Merci à Laure Cordelet