« Des circonstances exceptionnelles liées aux derniers événements ayant secoué notre mouvement ont fait apparaître la nécessité absolue de me tourner vers vous, adhérents du Front National. Chacun d’entre nous a été, depuis quelques semaines, le témoin navré de ce que des initiatives et des propos préjudiciables d’un président d’honneur peuvent très gravement nuire au fonctionnement de notre mouvement politique, à son crédit auprès des Français et par conséquent compromettre nos chances de succès à quelques mois d’échéances électorales majeures. Je ne vous le cache pas, il n’est plus possible de diriger efficacement le Front National en voyant régulièrement détruit votre travail et le mien ».
Voici ce qu’on peut lire, en partie, dans la lettre envoyée aux quelques 51 000 adhérents du parti d’extrême droite. Les deux feuillets, signés Marine Le Pen, accompagnent le projet de refondation des statuts du FN, soumis au vote des adhérents. Jean-Marie Le Pen n’est pas nommé même s’il ne cesse d'y apparaître en filigrane. Aujourd'hui, le FN met en scène ce qui doit certainement être considéré comme la dernière étape avant l'exclusion de l'ancien président du FN. Une fois approuvée, la réforme des statuts doit parvenir, par voie postale, au siège du Front national avant le 10 juillet.
Les premiers statuts datent du 25 octobre 1972, moment de la fondation du FN ; les derniers du 15 janvier 2011. Ils sont contemporains du Congrès de Tours. Entre eux, seulement quelques moutures. Les modifications proposées aujourd’hui ont été approuvées par le Bureau politique du 13 juin. Plusieurs d'entres-elles visent les agissements de l’ancien président du FN ; la plus symbolique restant la suppression de l’article 11 bis concernant la présidence d’honneur. Une fonction, créé pour la circonstance, qui faisait de Jean-Marie Le Pen un « membre de droit de toutes les instances du mouvement ».
D’autres modifications reviennent sur les dénominations des principales structures du FN qui datent, pour la majorité, de 1972. Le Comité central devient Comité national ; un terme également adopté par Bruno Mégret, après la scission de 1998, pour l’organigramme du Front national-Mouvement national. Le Comité national, explique Marine Le Pen, aura une « liberté d'initiative accrue et les possibilités de candidature à la présidence de notre mouvement seront assouplies ».
Des statuts datés
Victor Barthélemy est un des initiateurs de la première charpente frontiste. Passé notamment par le Parti communiste (PC) et le Parti populaire français (PPF), il est un des co-fondateurs du FN et son secrétaire général entre 1975 et 1978. Cet homme d’appareil organise le premier FN selon un système pyramidal, calqué sur l’organisation interne du Parti communiste. Le FN puise d’autres éléments dans le mode de fonctionnement du PC, considéré comme un modèle, notamment au niveau des techniques de gestion - militantes et organisationnelles - et des dénominations de ses principales structures : Bureau politique, Comité central, Secrétariat général, etc.
Pendant les quarante années de présidence de Jean-Marie Le Pen, les modifications apportées aux statuts sont mineures. Des cas de figure ont été statutairement envisagés en amont. Par exemple, la cooptation au Bureau politique des proches de Jean-Marie Le Pen qui n'ont pas été élus lors du Congrès. Le président du FN prend, la plupart du temps, ses décisions en dehors du BP et sans consultation préalable de ses membres, contrairement à ce que stipulent les statuts. Jean-Marie Le Pen préfère « décider seul sans en référer à quiconque », affirme Bruno Mégret.
Les institutions du parti se réunissent donc plus ou moins régulièrement. Aucune décision importante n’y est véritablement prise. Le Comité central n’est, pour ainsi dire, jamais consulté. Il sert à indiquer, lors des congrès, la position ascendante ou descendante des élus. Le Conseil national, la Commission électorale et la Commission de discipline sont contrôlés par Jean-Marie Le Pen.
Aujourd'hui, le parti de Marine Le Pen entend donner une nouvelle image également sur ce plan. Un vent de démocratie soufflerait-il sur le FN ?
Nouveaux statuts = nouveau parti politique ?
Les statuts de 2015 annoncent certains changements, notamment sur les plans de la représentativité et de la prise en compte des élus locaux et des adhérents. Plusieurs modifications semblent aller dans ce sens. Une procédure de référendum interne devrait « permettre de (les) consulter directement sur les grands sujets (...). Cette nouvelle prérogative va renforcer considérablement la démocratie interne ». En même temps, ne justifie-t-elle pas la prochaine assemblée générale visant à exclure Jean-Marie Le Pen du FN ? Un « conseil des élus locaux » et un « conseil national élargi » (composé du Bureau politique, des 100 membres du Conseil national, des secrétaires régionaux et départementaux, des parlementaires nationaux et européens, des conseils régionaux et départementaux et des maires) souligneraient une consultation plus large et pérenne. Pour la première fois dans son histoire, le FN donne une place particulière à ses élus locaux, sorte de préfets du FN. Depuis le Congrès de Tours, le parti de Marine Le Pen leur accorde une attention particulière. Et ils n'ont jamais été aussi nombreux au sein du FN, suite aux diverses élections de ces dernières années.
D'autres nouveautés sont annoncées. L'article 11 sur la désignation du président semble s’assouplir. L'article 17 stipule que « le Président peut à tout moment (...) consulter les adhérents (...) par voie numérique ou par voie postale ». En ce qui concerne l’adhésion, la double appartenance continue d'être proscrite. Le terme de « groupement politique » apparaît (articles 6 et 8), aux sujets de l’adhésion et de l’exclusion. Il se substitue à celui de « parti ou mouvement politique », plus restreint, et vise à n'en point douter l'éventuelle formation que Jean-Marie Le Pen dit vouloir créer. L'exclusion du parti peut également être causée par une « candidature concurrente ou le soutien à une candidature concurrente de celle présentée ou soutenue par le Front National ». La fidélité au FN reste de mise, à tous les sens du terme.
Enfin, plus anecdotique, l’article 20 comprend un cinquième et nouvel alinéa, incluant dans les « Ressources de l’Association (...) la vente d’objets promotionnels valorisant l’association et ses représentants ». Cette modification concerne la vente des produits dérivés de la marque FN, véritable manne financière pour le parti. Jean-Marie Le Pen en avait la main, « c’est son pré carré » me disait un des anciens imprimeurs du FN Fernand Le Rachinel. Créée au début des années 1980 au moment de l'émergence du parti d'extrême droite, la Boutique FN continue d'assurer la vente de divers objets au siège de Nanterre et se déplace lors des diverses manifestations. Le site internet éponyme prend en charge la vente par correspondance.
À qui profite le « parricide » ?
Ce 22 juin, Jean-Marie Le Pen « demande instamment de NE PAS PARTICIPER AU VOTE de la réforme des statuts (...) c’est un piège destiné à changer l’orientation politique du FN ». Il pourrait certainement rajouter : une façon d'enterrer définitivement son FN. Car dans chaque proposition, l'empreinte de l'ancienne et de la nouvelle histoire est à prendre en compte. Dans une lettre ouverte aux adhérents du FN, publiée le lendemain sur son site, Jean-Marie Le Pen donne la consigne de ne pas participer au « vote piège ». L'ancien président du FN poursuit. Ses propos ne font pas que dénoncer le comportement politique de sa fille et de son numéro deux. Sa stratégie provocatrice perdure. À aucun moment, Jean-Marie Le Pen ne nuance ses déclarations (à l'origine de sa suspension) dites sur RMC et paru dans Rivarol. Une nouvelle fois, il critique ce qu'il considère comme un des fondamentaux de la « nouvelle » ligne FN, son « revirement » vis-à-vis de la communauté juive :
« Je ne peux pas laisser sans réponse les termes mensongers et les affirmations diffamatoires de Marine Le Pen, qui, semble-t-il, n’a rien appris de la crise qu’elle et son bras droit Philippot ont ouverte au sein du Front National.(...) Le caractère parricide de l’opération ne fait pas sourciller la femme-d’Etat-aux portes-du-pouvoir, mais cause un grand trouble dans la conscience et le cœur des militants. (...) Cette fois, la dénonciation d’antisémitisme est venue de l’intérieur du Front, présenté par Marine comme le "bouclier de la communauté juive", par Marine, dont Cukierman, le président du CRIF, affirme qu’elle est "irréprochable". (...) La vérité c’est qu’il s’agit de faire accepter par les adhérents un changement de ligne politique en faveur du socialo-gaullisme prôné par Philippot ».
Le vote de la réforme des statuts est la suite logique du cheminement progressif et actuel du FN. Les statuts, une fois validés par les adhérents, vont constituer la charpente du « nouveau » parti que Marine Le Pen et ses fidèles s'attachent à construire - et à afficher - depuis plusieurs années. Reste à changer de nom. Sur ce point, aucune modification n'est proposée. L'article 2 - « l’Association prend la dénomination suivante : "Front National", ayant pour sigle et abréviation : "F.N.", et pour symbole une flamme tricolore » - subsiste en l'état. La dénomination du parti demeure avec son logo. Mais pour combien de temps ?