FN et Le Pen : « deux bonnes marques » ?

« Quand je suis parti d’Indochine, j’avais des copains qui y étaient restés dans le civil, deux anciens sergents chefs dans l’armée française. (...) Ils m’avaient dit : "Si tu fais de la politique, tu nous en parles et on t’enverra quelque chose". Nous avons pris l’initiative avec deux amis de nous présenter dans trois secteurs de Paris, sans illusion (...). J’ai écrit à mes amis. Ils m’ont envoyé 400 000 francs de l’époque ; le pactole ! Avec de la peinture fluorescente, on écrivait Le Pen dans la rue. Certains se demandaient si c’était une marque de lessive. C’est comme cela que ça a commencé ». Ces quelques mots de Jean-Marie Le Pen datent de mai 2013. Plus de quarante ans avant, il co-fondait le FN.

En octobre 1972, un logo, un sigle et une poignée d’hommes annoncent la constitution de ce parti qui se présente comme l’affirmation politique de la droite nationale, populaire et sociale. Le futur député européen FN Jean-Marie Le Chevallier insistera sur la simplicité de cette « toute petite entreprise ». Vous « partez avec cinq copains », raconte-il en 2011 et vous « créez une association loi 1901 et un parti politique ». La réalité est, certes, plus complexe. Mais le plus intéressant aujourd’hui est ailleurs... dans cette singularité accolée à l’histoire du parti d’extrême droite. Le Front national est l'unique formation politique française rattachée à un patronyme - Le Pen - devenue bien plus qu’un parti : une marque. Ceci, à tous les sens du terme puisqu’elle se décline sous de multiples aspects : label, logo, programme et statuts de la formation politique - bien évidemment - mais aussi tout ce qui touche à sa commercialisation.

La marque FN est-elle « usée » ? Marine Le Pen le pense aujourd’hui. C’est ce qu’elle affirme sur France info ce 4 juillet : « J'ai toujours considéré que ce n'était pas un sujet tabou, parce qu'un nom n'est pas un contenu, mais je pense qu'aujourd'hui, elle ne permet pas de réunir au-delà d'elle-même. (…) Nous devons réunir au-delà du simple Front National. Pour cela, parce qu'il y aura une réalité nouvelle, il faut que cette réalité nouvelle ait un nom nouveau ». Elle poursuit, deux jours plus tard, sur l’antenne de France inter : le FN, explique la présidente du parti, a « ouvert un grand chantier de consultation ». Plusieurs changements sont à venir... Le FN « doit se dépasser lui-même… à ce nouveau mouvement doit peut-être correspondre un nouveau nom, très certainement une nouvelle manière de fonctionner ».

Dans un premier temps, c'est une question de prénom. Aux régionales de mars 2010, à Hénin-Beaumont, la liste de Marine Le Pen est la seule à avoir amélioré son résultat. Bruno Larebière, rédacteur en chef de Minute, résume la nouvelle étape : « La marque FN est morte, et Marine Le Pen a réussi à transformer la marque Le Pen en marque Marine. » Dans la phase suivante, dit Louis Aliot, la « crédibilité du discours fera oublier l’image que nous avions par le passé et, j’espère, nous rendra sympathiques pour l’avenir ». Avec le Congrès de Tours, Marine a remplacé Jean-Marie. En août 2015, l'exclusion de l'ancien président du FN a tenté de clore une histoire. Le sujet du changement de nom du parti est régulièrement abordé dans l'histoire du FN. Il se pose avec davantage d’acuité aujourd’hui avec, notamment, ces questions : les 5 millions de voix perdus entre le premier tour de la présidentielle et celui des législatives peuvent-ils, entre autres, s’expliquer par ces deux lettres ? Un nouveau nom, une nouvelle identité visuelle signifieraient-ils la fin d’une histoire et le début d’une autre ?

Plusieurs représentants du parti et compagnons de route suivent la présidente du Front national sur ce point. Pour eux, la disparition de ces deux lettres annoncerait la création d’une nouvelle force politique. Parallèlement, il s’agit de se défaire définitivement de l’image et de l’histoire d’un parti lié à Jean-Marie Le Pen et à ce FN avec ce logo (la flamme bleu, blanc, rouge) inspiré de la flamme du parti néofasciste italien, le Movimento sociale italiano (MSI). Jean-Marie Le Pen est totalement opposé à cette idée. Il s’est toujours déclaré propriétaire du parti, le représentant d’un label qu’il a créé… et affiche encore aujourd'hui sa détermination à préserver son entreprise politique. Il faut d’ailleurs se rappeler de sa réaction, lors de la première scission du FN, en 1973 avec Ordre nouveau. Il s’était montré fin connaisseur des règles juridiques, notamment en matière d’association. Déjà, il montrait son obstination à préserver « son » parti.

L’assimilation du FN à son dirigeant perdure tout au long de l’histoire du Front national. Le parti possède un atout indéniable par rapport à ses concurrents : celui de présenter le même candidat à la présidentielle. La pertinence de l’étiquette FN et du patronyme Le Pen sont inhérents aux fonctionnements et aux succès (et échecs) de la formation politique. Aussi, la marque FN est-elle devenue un obstacle en ces lendemains d'élections ? Il n’y a pas que Jean-Marie Le qui ne veut pas entendre parler d'un nouveau nom. Pour certains, une telle décision c’est, en quelque sorte, l’arbre qui cache la forêt. Eux dénoncent l’absence de remise en cause de Marine Le Pen dans l'histoire récente, visant particulièrement l’élection présidentielle. Et puis, disent-ils, le FN offre une nouvelle image depuis un bon moment. Il « est dépassé, le temps où les électeurs du FN étaient des pestiférés obligés de se cacher. Plus que le nom du parti, c’est celui de sa dirigeante qui fait fuir. Elle n’a, hélas, pas su s’élever jusqu’à une stature présidentiable » explique Thomas Valmenier sur le site Boulevard Voltaire. Pour lui, Marine Le Pen se trompe de combat : « Changer le nom du parti, c’est s’obliger à repartir de zéro. Essayer d’implanter un nouveau sigle dans le paysage politique jusqu’à le rendre crédible pour 2022, en sachant pertinemment que les médias se feront un plaisir de cataloguer le nouveau venu à l’extrême droite, c’est se tirer une balle dans le pieds (sic). Il semble plus rationnel de changer tout simplement de dirigeant pour revenir sur ce qu’est le véritable Front national : un parti pour les Français, au service de la France ».

Une remarque qui en sous-tend d'autres. Le FN ne serait pas le premier – ni le dernier – à prendre une autre dénomination… sachant que l’histoire (récente) montre que cette décision n’a, en rien, insufflé un nouveau départ aux partis débaptisés. Ensuite, pour certains, le parti lepéniste n'est que l'incarnation des méthodes de ses président(e)s. À la fin des années 1990, un homme l’a plus que réalisé. Bruno Mégret a jaugé ses chances de succès à partir du pourcentage des élus et des responsables prêts à le suivre et s’est engagé dans une nouvelle voie, sans Jean-Marie Le Pen. En s'émancipant de ce dernier, il n’a pas pris en compte un paramètre essentiel : le nom accolé à ces deux lettres. Suite à la dernière présidentielle, l’ancien numéro deux du FN réagit dans Le Point. Pour lui, il n'y a pas de « malédiction » Le Pen. C'est un « système familial. Le FN a été confisqué par une famille. Du coup, les défauts du chef ont des conséquences démultipliées sur le parti ».

Alors, si le FN n'est plus, le patronyme Le Pen doit-il disparaître avec lui ? Pour le publicitaire et spécialiste de la communication Franck Tapiro, « ce n’est pas un changement de nom qui va le rebooster. Le FN restera toujours le FN, c’est un parti unipersonnel, c’est le parti des Le Pen. Donc, tant que les Le Pen resteront en politique, le FN sera le FN, même s’il n’en porte plus le nom. La seule chance qu’aurait eu Marine Le Pen de créer une différence par rapport au FN et de sortir de la stigmatisation d'extrême droite, c’était de proposer le changement de nom avant la présidentielle. Mais elle n’a pas osé. (...) changer de nom, c’est abandonner son patronyme, pour elle. Les Le Pen et le FN sont liés. C’est une affaire personnelle, voire psychanalytique. Cela n’a rien de politique. (...)  En réalité, je pense qu’elle attend la mort de son père, pas avant. Sauf que ce n’est pas Marine Le Pen qui créera un nouveau mouvement à la mort de Jean-Marie Le Pen, c’est Marion Maréchal-Le Pen. Son faux départ va lui servir à créer du manque pour mieux revenir. Là, elle s’en va parce qu’elle sait qu’au FN, ça va être "Règlements de comptes à OK Corral". Quand elle reviendra, elle bâtira autre chose qui sera loin du Front national car elle refusera de porter cet héritage. Je ne connais pas sa situation familiale, mais si elle le peut, elle prendra aussi le nom de son mari pour pouvoir écrire une autre histoire. Parce que Le Pen est la marque maudite de la politique, du Front national et de l'extrême droite ».

Qu’est-ce qui empêche aujourd'hui de voter pour le FN ? Deux lettres, un nom, une histoire... et/ou un parti qui se singularise également historiquement en affichant comme marqueur phare la « priorité nationale » et, de ce fait, distingue les nationaux des étrangers ?