Emprunts et dons patriotiques : une vieille rengaine frontiste ?

Ce sont quelques lignes qui paraissent, en février 1973, dans la première publication du parti lepéniste Front national, un numéro spécial Hauts-de-Seine. Elles annoncent une des permanences de l'histoire du FN : des appels réguliers vers les militants et adhérents afin de récolter des fonds. Quarante-quatre ans plus tard, les choses ont-elles réellement changé ? Début juin 2017, Marine Le Pen lance un « Emprunt patriotique » par le biais d'une vidéo mise en ligne sur le site internet de son parti. Ce texte de présentation y est accolé  : « En période électorale, les partis prennent en charge beaucoup des dépenses de leurs candidats. Celles-ci ne leur seront remboursées que plusieurs mois plus tard. Or, les banques refusent de prêter au FN alors qu’elles accordent de grandes facilités aux partis et candidats du système. Seul le financement citoyen par l’emprunt patriotique peut faire en sorte que la voix des Français soit entendue aux élections législatives ». La présidente du FN expose cet emprunt comme un prêt citoyen bénéficiant d'un taux d’intérêt de 3% - une « rémunération exceptionnelle pour un placement sans risque » - remboursé un an plus tard. Et Marine Le Pen de s'adresser ainsi à ses électeurs : « vous disposez d’un atout majeur : sachez que votre épargne est une armée qui dort. En la mobilisant au service des candidats du FN et du rassemblement Bleu marine, ce sont vos idées que vous mènerez à la victoire ».

C’est, en fait, une sorte de rengaine du parti lepéniste qui revêt différents airs à des périodes précises de l'agenda électoral. Dès son apparition sur la scène politique, le FN réclame de l’argent tout en dénonçant les facilités sur ce plan de ses adversaires politiques. La suite de la publication Front national est explicite :

C

 

« Nous avons besoin d'argent, de beaucoup d'argent »

12 février 1973 : le FN entame sa première campagne électorale dans le cadre des élections législatives. Le premier tour est fixé le 4 mars. Le parti de Jean-Marie Le Pen a peu de ressources financières. Il n’a pas d’élus et compte une poignée de bénévoles. La campagne s’organise autour de meetings parisiens et de quelques réunions en province avec une préoccupation affichée - « Défendre les Français » - et une priorité : tenter d’avoir un maximum de candidats. En ce début d’année, des signes montrent la difficulté du FN à donner l’image d’une réelle formation politique.

L’objectif annoncé peu après la création du FN, en octobre 1972, est loin d'être atteint : les 400 candidats prévus initialement se retrouvent 104. Les adhésions représentent le moyen principal de subvention pour la campagne, l’une des solutions de financement résidant dans la double appartenance à Ordre nouveau et au Front national. Les cotisations FN sont fixées à 20 francs pour les militants, 100 francs pour les bienfaiteurs, 1 000 francs et plus pour les adhésions de soutien. Ceux qui désirent adhérer au FN en qualité de membre doivent participer à la campagne électorale en étant candidat ou suppléant dans une circonscription, en militant dans un comité ou en fournissant du matériel (camionnettes, automobiles, etc.). Les demandes du candidat et de son suppléant sont soumises à la commission d’investiture qui confirme la candidature dans la circonscription choisie. Un comité de Front, s’il existe, aide le candidat dans sa campagne. Celui-ci, outre son CV et sa photo, remet un chèque de caution de 1 000 francs au trésorier-payeur général. Le cautionnement est remboursé si le candidat obtient au moins 5 % des suffrages exprimés.

La recherche de nouveaux adhérents et souscripteurs est indispensable pour la survie du parti. Plusieurs tentatives de mobilisation tentent d’aller les chercher un peu partout. L’« Opération téléphone ! » lancée dans Front national demande un effort à tous. Le procédé est « simple ! Il consiste à appeler personnellement plusieurs de vos amis au téléphone et à leur dire l’importance de leur présence. Et qu’eux-mêmes à leur tour appellent leurs amis ! ». Le FN a besoin d’argent et ne cesse de le rappeler. Il veut se « faire entendre, se faire comprendre, voilà un beau programme. Il coûte cher. Horriblement cher ». Il ne faut pas « demander petit » mais « demander gros pour avoir un peu » avance Alain Robert, le secrétaire général, dans une lettre interne. Le parti lance plusieurs souscriptions : « OPÉRATION 20 000 F » pour un candidat ou « OPÉRATION 50 000 F » pour deux ou trois candidats par le biais de circulaires ; un appel devant être relayé à « tous les fichiers nationaux ». Une « OPÉRATION 10 MILLIONS ! » est même mise en place :

10 millions

Début 1973, le FN fait état de plus de 11 000 adhésions (y compris les membres d’ON). Ce chiffre se situe bien au-dessus de la réalité ; les effectifs ne devant pas dépasser 6000 membres pour les deux organisations, dominées sur le plan numérique par Ordre nouveau. La campagne est, certes, soutenue matériellement par le parti néo fasciste italien, le MSI. Mais les dépenses engagées par le FN sont considérables. Elles couvrent les frais de campagne ainsi qu’une partie du paiement de la caution des candidats (dont la quasi-totalité ne sera pas remboursée). Une autre part du financement provient des dons des particuliers. Un homme est, à ce moment, particulièrement courtisé par le camp nationaliste, l’industriel Hubert Lambert, dit Saint-Julien, actionnaire de la société Lambert Frères et Cie et admirateur des présidents des formations d’extrême droite.

Les résultats du scrutin mettent fin au rêve de certains. Le FN, présent dans 98 circonscriptions, obtient 1,32 % des suffrages exprimés. L’échec est cuisant. Jean-Marie Le Pen totalise 5,22 % des voix dans la quinzième circonscription de Paris. Le président du FN voit dans ce résultat un signe d’encouragement pour un parti qui, souligne-t-il, n’existait pas encore quelques mois plus tôt ; une sorte de première pierre apportée à un édifice en cours de construction. Plus tard, dans une conférence de presse, il se dira même satisfait des résultats obtenus. Ce « n’est déjà pas si mal pour trois mois d’existence et trois jours de campagne nationale réelle ». Jean-Marie Le Pen n’exprime pas l’opinion de son parti. Pour les militants d’ON, la désillusion est grande. Le résultat annonce les premières ruptures qui ne vont cesser d'émailler l'histoire du FN. Il préfigure les fondamentaux d’un parti qui mettra une dizaine d’années à s’installer sur la scène politique française.

Sur le plan financier, les choses changent à partir de fin 1983. Entre cette date et les élections européennes de juin 1984, l’apport est important et les conséquences se répercutent dans plusieurs domaines. Le « fric », explique Jean-François Touzé,  « on ne sait pas d’où il vient, on ne connaît pas la source mais on constate. (...) Le Pen qui, jusque-là, (...) était obligé de demander trois sous pour faire un meeting en province, fait une tournée triomphale dans tous les départements, avec un chauffeur, louant un avion pour certains déplacements, notamment en PACA et en Corse »Auparavant, poursuit le cadre du FN, ils fabriquaient RLP Hebdo dans la cuisine de la rue de Bernouilli et, « du jour au lendemain », on leur annonce qu’ils vont tirer un journal à 200 000  exemplaires, vendu en kiosque. En une semaine, Roland Gaucher, Michel Collinot, assistés de Jean-François Touzé et de Jean-François Jalkh, sont chargés de réaliser cette publication. Ils voient des affiches de 4 mètres sur 3, « collées par Havas et non plus par des militants ». Le FN engage une vingtaine de permanents. Jean-François Touzé est formel : l’argent ne va pas provenir des futurs députés. Eux alimenteront la campagne elle-même, le système de financement des partis politiques par l’État étant alors inexistant. Le Front national inaugure, à ce moment, une nouvelle phase : celle de son ascension électorale.