C’est un commentaire repris, comme il apparaît, sur le compte Twitter de Marine Le Pen : « J'en reviens toujours pas marine était dans mon village natal, mon papa ainsi que mes amis y était j'hallucine. Vive la Bazoche gouet ». Son auteur revient sur la venue de la présidente du FN, la veille, dans ce village d’Eure-et-Loir d’un peu plus de 1200 habitants. Le maire, Jean-Paul Boudet de la « Liste d’union et d’avenir » (divers droite), est élu en mars 2014 avec 370 voix. Dans ce territoire rural, le taux de chômage est inférieur à celui de la moyenne nationale. Le FN arrive en deuxième position aux dernières régionales avec 35,70 % des voix. À la présidentielle de 2012, Marine Le Pen affiche un résultat de 26,84 % des suffrages.
Ce lundi 3 avril, vers 18h30, Marine Le Pen tient meeting. Rien à voir avec celui de la veille, à Bordeaux, au Parc des expositions. Elle se trouve dans une sorte de grange aménagée pour la circonstance. Elle porte un jean et une veste bleue. Derrière elle, les slogans de campagne « Au nom du peuple » et « Remettre la France en ordre ». L’ambiance est festive. On y aperçoit quelques officiels du parti parmi lesquels David Rachline et Jean-Lin Lacapelle. La foule agite des drapeaux. Elle crie « Marine présidente » et, surtout, reprend le slogan frontiste « On est chez nous ! ».
Cette réunion à La Bazoche-Gouet aurait pu passer inaperçue. Elle est essentielle sur plusieurs plans. Le premier saute aux yeux. Marine Le Pen est parvenue à attirer près d’un millier de personnes ; pratiquement autant que la population locale.
Ensuite, s’adresse-t-elle au monde rural ? Peu de phrases à son attention. Le discours est plutôt classique à trois semaines du premier tour de la présidentielle. Ici, Marine Le Pen pourrait bien parler avant tout aux abstentionnistes. Ils seraient près de 40% : « Je ne demanderai jamais aux Français de s'habituer au terrorisme. Je mettrai le fondamentalisme islamiste à genoux ! (…) Des villages, dans nos campagnes, renoncent à leurs moments festifs à cause de l'insécurité et des voyous qui saccagent ! (…) Avec moi à la tête de l'Etat, plus jamais un clandestin ne sera mieux traité qu'un Français dans son propre pays ! (…) Je vois l'espérance sur le visage des Français lorsque nous parlons de France et d'avenir meilleur ! (…) Je n'ignore rien de la détresse de ces jeunes, à qui ils ne proposent que voies de garage, salaires en baisse et chômage ! (…) J'aime passionnément nos petits bourgs, où depuis des générations les Français façonnent le paysage et nous nourrissent !" Je protègerai notre modèle agricole, et l'arracherai des mains des technocrates bruxellois ! »
Puis, une dernière chose : Dreux se trouve à une centaine de kilomètres de La Basoche-Gouet. C’est la terre des Stirbois, là où on enregistre le véritable premier succès électoral du FN au début des années quatre-vingt. En septembre 1983, des municipales partielles s’y déroulent, après l’annulation par le tribunal administratif du scrutin de mars pour cause d’irrégularités. Jean-Pierre Stirbois s’était alors présenté sur une liste menée par René-Jean Fontanille (RPR) avec ce slogan de campagne « Inverser le flux de l’immigration à Dreux ». Six mois plus tard, le secrétaire général du FN recueille 16,72% des voix sur une liste autonome. Ses meilleurs résultats se situent dans les bureaux de vote des « plateaux », les quartiers populaires de Dreux. Dans trois d’entre eux, Jean-Pierre Stirbois obtient plus de 21 % des suffrages. Le débat « immigration = chômage = insécurité » est au cœur de sa campagne, illustrée par l’affiche : « 2 millions de chômeurs, ce sont 2 millions d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ! ».
Pour le second tour, le FN fusionne avec la droite et des non-inscrits. La liste d’union Front national-divers droites remporte les élections et obtient 31 élus. Jean-Pierre Stirbois est nommé maire-adjoint à la protection civile. Il est alors intimement persuadé de deux choses : l’électorat du FN est populaire et seule sa formation politique peut faire barrage à la gauche. Le secrétaire général du FN a mené une « campagne de terrain, (...) extrêmement basique sur le plan intellectuel », rapporte alors un cadre du parti qui se rend souvent avec lui à Dreux. Jean-Pierre Stirbois sait « comment il faut parler aux petites gens » dans cette ville, où son implantation est désormais établie, poursuit Jean-François Jalkh.
Jean-Pierre Stirbois soutient depuis un bon moment cette idée : le FN doit attirer l’électorat populaire. Deux principes dominent, indissolublement liés : donner une assise électorale de plus en plus large au Front national et développer son discours social. Environ trois décennies plus tard, Marine Le Pen y est revenue.