Dans un entretien qu’elle accorde à Causeur ce mois-ci, la présidente du FN évoque la « petite bisbille sur le déremboursement de l'IVG » qui est intervenue dans l’histoire de son parti il y a quelques semaines. « Tout le monde est d’accord sur les grandes lignes du programme mais chacun peut avoir des priorités différentes. Et ce n’est pas nouveau. Il y a toujours eu des sensibilités distinctes au sein du Front national ». Marine Le Pen poursuit sur ce qu'elle considère comme le vrai sujet : l’union des droites qualifiée de « fantasme réducteur ! » Cela fait bien longtemps qu'elle n'y croit plus... et « ça fait quarante ans » qu'elle en entend parler.
Le « problème des gens qui défendent cette idée », continue la fille de Jean-Marie Le Pen, « c’est que la droite refuse de s’allier avec nous. Or, même sous les socialistes, il faut être deux pour se marier ! La seule question que je pose est : qui peut rejoindre les grandes lignes de mon projet ? Qu’on vienne de gauche ou de droite, je m’en moque complètement ». La présidente du FN s'élève contre le positionnement entre autres de Marion Maréchal-Le Pen (et de Bruno Mégret dans les années 1990). Elle est partisane d’une ligne « ni droite, ni gauche » et refuse toute union et alliance avec la droite... qu’elle entend faire exploser pour voir le FN s’imposer comme le principal parti.
Dans Le Parisien, elle revient sur cette qualification de « fantasme » et précise : « Sur ce sujet, je n'ai jamais changé d'avis. Comme je ne crois pas à la fracture gauche-droite. Pour moi, c'est une fracture artificielle, qui a pu exister par le passé, mais qui aujourd'hui ne représente plus rien. (…) Or, pour moi, la différence est entre les nationaux et les post-nationaux, autrement dit les mondialistes ». Les choses sont dites. Le combat d'aujourd'hui n'est pas dans l'opposition droite-gauche mais dans celle entre les nationaux et les « post-nationaux », c'est-à-dire ceux que le FN qualifient de « mondialistes ».
Front national… par sa dénomination, le parti lepéniste dit bien qu’il considère la nation « comme une réalité bienfaisante, irremplaçable ». Le nationalisme constitue le plus petit dénominateur commun du parti lepéniste... et l’identité nationale, le lien qui fédère l’édifice lepéniste. Dès son apparition, le FN fait sienne une des valeurs intrinsèques du patrimoine idéologique de l’extrême droite. Le nationalisme version FN repose sur l’idée d’une primauté qui s’incarne dans la défense des valeurs et des intérêts nationaux. Le Front national considère son pays supérieur aux autres. Il opère une sorte de protectionnisme identitaire et vise explicitement ses cibles. Le parti aspire à une nation idéale et exclusive, une entité « pure » d’où seraient éliminés les corps jugés incompatibles avec elle. Il faut donc protéger la France contre ce qui est perçu comme une menace intérieure. Sa thématique centrale, la « préférence nationale » - devenue « priorité nationale » - est consubstantielle à l’apparition du FN et s’accole à celle de la « lutte contre l’immigration ».
Dans les années quatre-vingt-dix, le concept évolue. Un nouvel ennemi de la nation apparaît : la mondialisation... nommée par le FN « mondialisme ». On peut ainsi lire dans le programme présidentiel de 2002 de Jean-Marie Le Pen : « Dans l’ordre de la nature, la Patrie, cité terrestre des hommes, est à la fois lieu d’enracinement “patria, la terre des pères” et cadre de vertus valables quels que soient le lieu ou l’époque. Elle est l’alternative à l’uniformité réductrice du mondialisme ». Marine Le Pen complète et poursuit la démonstration paternelle. Aujourd’hui, avance-t-elle, non seulement, seul le nationalisme protège de la mondialisation mais, en plus, il clive plus que jamais. Deux camps s’affrontent et se substituent au duel classique entre la gauche et la droite : les frontistes, les « patriotes », les « nationaux » et leurs opposants, les « mondialistes ». En marge d’un meeting de sa première campagne présidentielle, Marine Le Pen explique que sa stratégie à venir est centrée sur le type de société à adopter. Toute la question de l’élection présidentielle affirme-t-elle, est le « choix du modèle. C’est comme un référendum sur le modèle mondialiste. C’est “stop ou encore” ». Elle poursuit peu après, à l’occasion de son discours du 1er mai 2013, liant indissolublement nationalisme et patriotisme : « Nous sommes en lutte contre la mondialisation sauvage ! Nous sommes en lutte contre tous les totalitarismes du XXIème Siècle ! Le mondialisme et l’islamisme fondamentaliste en tête ! Et cela fait de nous (…) des patriotes ! »
Il s’agit de refuser la mondialisation – synonyme de destruction et de disparition des identités nationales – et de désigner les gouvernements successifs comme les responsables de cette situation. La présidente du FN instaure deux mondes, deux France, deux clans. Son monde appelle à la résistance au mondialisme, « née du capitalisme ultralibéral, qui sert les intérêts d’une oligarchie ». Il conduit le FN à se prononcer contre l’Union européenne, un de ses pires ennemis. Il s’oppose à la vision de ses adversaires politiques qui ne cessent, selon le parti lepéniste, de persister dans leurs erreurs depuis plusieurs décennies. Le Front national poursuit son retournement sémantique jusqu’à faire des étrangers les premières victimes de la mondialisation.