D’un côté, une présidente qui appelle à la fin de « ce genre de chicayas »... soutenue, entre autres, par son directeur de campagne qui met les choses au point en rappelant qu’il existe une seule ligne politique au FN et que l’on n'en déroge pas, quelque soit sa fonction dans le parti. Et de préciser : « On n’est pas tous obligés d’être d’accord au millimètre près. En revanche, c’est vrai que lorsqu’on est un responsable local, on s’attend à ce que les responsables locaux soient en phase avec la présidente du mouvement. On n'oblige personne à être responsable local du Front national. (...) Chacun a son opinion mais il n’y a qu’une seule candidate, il n’y a qu’un seul projet pour l’élection présidentielle, et il y aura qu’un seul programme qui sera appliqué une fois que nous serons au gouvernement. (...) On risque rien, mais simplement il est utile pour nous de rappeler quelle est la ligne politique que défend Marine parce qu’elle est candidate à la présidentielle et je vous dis : pour ce qui est des responsables locaux, on force personne à être responsable local, pour ceux qui sont en désaccord ». De l'autre côté, Marion Maréchal-Le Pen qui assume désormais au grand jour une position divergente sur l’IVG dans un entretien paru dans Présent le 5 décembre.
Depuis qu’il existe, le FN n’a jamais apprécié les voix (trop) discordantes. Trois scissions et de nombreuses démissions de cadres et responsables parce qu’ils s’opposent plus ou moins bruyamment à la ligne du parti et à son représentant. Un épisode de l’histoire du Front national, parmi d'autres, revient sur plusieurs éléments mis au jour aujourd’hui. Alors que le courant solidariste de Jean-Pierre Stirbois rallie le FN à l’automne 1977, l’équipe de Militant menée par Pierre Pauty prévient à ce moment que la création du FN implique « l’institution de certaines règles du jeu dont l’essentielle était la cohabitation de gens qui n’étaient point d’accord en toutes choses ». La coexistence de différents courants et leur expression réclament des efforts et des décisions concertées. Selon l’équipe de Militant, deux dangers menacent alors le parti : « Au nom du droit de chaque tendance à demeurer elle-même, des actions contradictoires peuvent être menées ce qui, à terme, peut amener des adhérents du Front à s’opposer les uns aux autres dans certaines organisations politiques avec pour aboutissement un très sérieux risque d’éclatement de l’organisation. Nous estimons (...) que le Front ne pourra vivre et se développer que dans l’absolu respect des règles qui, implicitement, présidèrent à sa création.
– Respect des diverses tendances : ni sectarisme, ni travail de sape aux fins de discréditer « l’autre », ni excommunication majeure. (...) Si elles cherchent à se détruire mutuellement, (...) elles n’y parviendront sans doute pas pour l’heure, mais détruiront sûrement le Front en le ramenant aux dimensions d’une de ses composantes, c’est-à-dire celle d’un groupuscule.
– Définition d’une ligne politique du Front qui soit le commun dénominateur des différents courants d’opinion le constituant et stricte observation de cette ligne dans toutes les actions politiques engagées en son nom. (...) Nous avons autre chose à faire qu’à perdre notre temps et nos forces en des querelles subalternes et dérisoires. Défendre le combat de notre peuple à demeurer lui-même, tel est le grand combat que nous avons à mener en compagnie de nos camarades de toutes tendances ».
C’est comme un message prémonitoire. L'équipe de Militant rompt définitivement avec le FN fin 1981. Comme certains ont précédé, d’autres actes de rupture suivront. Certes, aujourd’hui, l’histoire ne se répète aucunement. Mais l’épisode mis en marche depuis le 5 décembre couvait depuis un bon moment. Et ce conflit, devenu ouvert, revient sur les divergences affichées entre la députée du Vaucluse et la ligne Philippot. La question de l’IVG ne serait-elle pas qu’un prétexte ? Dès le lendemain de la publication de l’interview de Marion Maréchal-Le Pen, le vice-président du FN explique sur BFMTV qu’au sein du FN, Marion Maréchal-Le Pen est « seule et isolée sur la question de l’IVG ». Dans un entretien accordé au Journal du dimanche (11 décembre), la petite fille de Jean-Marie Le Pen ne fait pas que revenir sur ses divers soutiens et souligner sa popularité au sein du FN. Elle accuse Florian Philippot de définir la « ligne du FN (…) seul sur BFMTV ! ». Surtout, elle affirme découvrir la position de son parti sur l’IVG, un marqueur intemporel du FN et un des piliers de la « préférence familiale ». « Il n’y a pas eu de débat en interne », affirme-t-elle. Marine Le Pen « a décidé que cela ne ferait pas partie du projet pour la présidentielle ». La députée poursuit en rappelant que sa tante « a été élue sur un programme qui est sans ambiguïté sur ce sujet de l’IVG » ; une position défendue en 2012 « avec beaucoup de courage et de talent ». Qu’elle « veuille écarter un certain nombre de sujets pendant la campagne, c’est son droit (…) Elle semble avoir changé d’avis ».
Un document anonyme et non daté, contemporain de la scission de 1998, rapportait quelques paroles de Jean-Marie Le Pen prononcées lors d’un conseil national à Paris : « Le FN est un orchestre mais il n’y a qu’un seul chef d’orchestre ! En cas de fausses notes, c’est à lui de rappeler à l’ordre ». Depuis que le FN existe, des conflits entre les hommes forts du parti et son président scandent son histoire : Alain Robert, Bruno Mégret, Carl Lang... pour ne citer qu'eux. Scission, putsch, les mots importent peu. Ils se perdent dans une histoire centenaire de l’extrême droite qui suit presque toujours le même schéma : apparition, développement et disparition à la suite de querelles intestines. La figure du chef y est primordiale. « La guerre des chefs » est une « tradition fasciste » explique l'historien Zeev Sternhell et c’est à elle qu’était confronté le FN à la fin des années quatre-vingt-dix lors de la scission opposant le clan Mégret à celui de Le Pen.
Aujourd'hui, le Front national n'est évidemment plus un groupuscule politique. Son ascension et sa dynamique électorales s'inscrivent dans un contexte radicalement différent de celui de la fin des années 1990. Mais cet épisode se situe à un moment clé de son histoire et expose deux conceptions politiques différentes, opposées sur bien des aspects. Beaucoup au FN, Marine Le Pen la première, savent qu’il serait préférable que cette guerre ouverte soit (de nouveau) mise en sourdine... au moins jusqu'aux législatives. Car même si elle concerne le numéro deux du FN et Marion Maréchal Le Pen, il faut souligner un fait inédit dans l'histoire du Front national : ce duel met en scène deux Le Pen, les deux femmes emblématiques du parti. Il pourrait bien être annonciateur, à plus long terme, d'une bataille pour un objectif commun : la présidence du parti.