Ces visages de la "dédiabolisation" frontiste... des banlieues

 « Une femme opprimée comme on peut en voir dans nos banlieues face à une jeune femme libre : notre choix est fait ! » rapporte Wallerand de Saint-Just dans un tweet le 9 novembre 2015. Ses paroles portent sur le message frontiste de la nouvelle affiche des régionales du candidat FN d'Île-de-France destinée, comme il dit,  aux « quartiers sabotés ! »

Une affiche qui expose la stratégie de communication visuelle et politique du parti d'extrême droite : la mise en avant d'un nouveau visage du FN, accompagnée d'un slogan choc. Quelques années auparavant, Marine Le Pen avait tenté, en vain, de conquérir les banlieues. Arrêt sur 2015 et retour en 2007... si certaines similitudes peuvent être relevées, le message politique, lui, montre sa différence.

« Musulmans peut-être mais français d'abord »

Le slogan se décline en quelques mots : « Choisissez votre banlieue. Votez Front ! » Le visuel de l'affiche s'appuie sur deux photos représentant le visage de la même jeune fille. L’un porte un bonnet rouge, laissant entrevoir des cheveux détachés et un tricolore sur les joues, en somme une « jeune fille fraiche, libre (...) petite allusion à la Marianne républicaine » explique Aurélien Legrand, le directeur de campagne de Wallerand de Saint-Just. L’autre visage, par opposition, est recouvert d'un voile noir, ne laissant voir que les yeux. C'est « la même jeune fille (...) qui, elle, a été rattrapée par la soumission et l'islamisme radical qui se développe malheureusement de plus en plus dans ces quartiers difficiles » continue Aurélien Legrand. Par le biais de cette affiche, il s'agit de se rendre compte « d'une réalité (...) : faire le choix d'être d'abord française plutôt que musulmane » ; en somme, opter entre la nation et le « communautarisme ».

Le 8 novembre 2015, l'affiche est dévoilée à la permanence FN de Paris, accompagnée d'une seconde à l'attention des « zones rurales délaissées ». Son slogan : « Préservons notre identité. Votez front ! ». La « modèle » reste la même. Entrée au FN en 2012, Kelly Betesh n'est pas une inconnue au Front national. Originaire de Seine-Saint-Denis, elle figure sur la liste parisienne du FN (5 et 6 èmes arrondissements) pour les régionales. En décembre 2014, cette étudiante en médecine se fait remarquer par quelques mots écrits sur Twitter : « le sida n'existe pas ». Un message accompagné du hashtag #SIDAArnaqueDuSiècle.

Le visage de la jeune femme apparaît également sur l'affiche du collectif « Les Banlieues patriotes », devant être lancé après les régionales ; un « projet à l’avant-garde de la réconciliation entre la République et ses Banlieues et de la reconquête des zones de non-droit » explique celui qui en sera à sa tête, Jordan Bardella, tête de liste Île-de-France Bleu Marine en Seine-Saint-Denis aux régionales, secrétaire départemental du FN du 93. Il s’agit de « déconstruire le mythe de l'opposition FN/Banlieues, et notre discours est attrayant dans ces quartiers » continue-t-il.

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Se positionner sur les « oubliés des banlieues »... Ce n'est pas la première fois que Marine Le Pen entreprend cette démarche.  Lors de la dernière campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen, en 2007, elle est sa directrice de campagne et opte pour une stratégie politique qui s'oppose à celle de 2015.

Un précédent dans l’histoire du FN ?

Une série d’affiches imaginées par Riwal, la société de Frédéric Chatillon, tranche radicalement avec la propagande frontiste des années précédentes. Elle expose une jeune fille portant un jean taille basse (duquel dépasse une petite culotte rose). Un piercing est visible sur son ventre apparent. Le slogan ? « Nationalité, assimilation, ascenseur social, laïcité. Droite, gauche, ils ont tout cassé ! ». Il s'agit de Vénussia Myrtil, une militante d’origine guadeloupéenne et ancienne du NPA, dont la mère est passée du PCF au FN. La jeune fille explique avoir a été séduite par le discours social et patriote du FN. 

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Cet arsenal rhétorique et visuel entend construire la nouvelle image que veut alors imposer le parti d’extrême droite. Pour Marine Le Pen, la beurette est en « parfaite cohérence avec le message du FN depuis trente ans. Ce qui change, c’est que nous rendons visible ce qu’est réellement le FN : un parti qui se bat contre le communautarisme ». Il s’agit pour elle de la mise en image d’un des slogans pérennes du FN : « La France ça s’hérite ou ça se mérite. » La campagne de 2007 montre le positionnement frontiste en faveur de l’assimilation et atteste qu’il a fait sienne la définition de Samuel Maréchal, le directeur de la communication de Jean-Marie Le Pen, « Ni droite ni gauche : Français » en délivrant ce message : la France est une nation tolérante au sein de laquelle coexistent diverses populations. Il faut la présenter et l’accepter ainsi.

Comme « Choisissez votre banlieue. Votez Front ! », l'affiche de 2007 « est directement dirigée à l’attention des immigrés, particulièrement ceux des banlieues ». Par contre, le visuel et le slogan de 2015 diffèrent. La raison est simple. La campagne de 2007 n'a pas fonctionné. Aussi, depuis quelques années, la propagande du FN a réinvestit le thème de l'islamisme, opérant un virage idéologique à 180°. 

« Nationalité, assimilation, ascenseur social, laïcité. Droite, gauche, ils ont tout cassé ! » est vite retirée du circuit. Pourquoi ? La plupart des militants (dont les traditionalistes) se déclarent choqués par l’apparence vestimentaire et physique de la jeune fille. Surtout, ils expriment leurs désaccords et incompréhension à propos de la revendication véhiculée par l'affiche et leur parti : une immigration assimilée, dénuée de tout signe religieux. D'ailleurs, sur ce point, la campagne FN de 2007 est un échec. En draguant les jeunes issus de l'immigration, le FN a pris son électorat à contre-pied et de nombreux électeurs ont préféré voter pour Nicolas Sarkozy.

À partir du printemps 2010, le message FN est celui-ci : par ses marques distinctives, l'islam affiche sa volonté de ne pas vouloir s'assimiler. Le « danger islamiste » s'oppose aux valeurs véhiculées par la démocratie et la laïcité, un des fondements de la République française ; la stigmatisation des musulmans faisant de l'islam et de la République deux notions incompatibles. C'est ce que transmet l'affiche « Choisissez votre banlieue. Votez Front ! » tout comme celle qui l'incarne.

Aujourd'hui, les nouveaux visages de la dédiabolisation frontiste ne cessent d'être mis en avant par le FN. Kelly Betesh (comme d'autres) incarne un des profils types, surexposé par le parti mariniste. D'ancienne opposante, la jeune femme intègre le FN quelques mois après le Congrès de Tours... et évolue progressivement au sein du parti. Elle est une des « images » , à tous les sens du termes, de ce soit-disant « nouveau » FN.

Un dernier point, plus anecdotique, met au jour une des permanences de l'histoire du Front national. Pour sa production, le parti ne finance souvent que l’impression. Le graphiste ne sollicite aucun mannequin pour ses réalisations. La plupart du temps, ce sont les militants, adhérents, candidats (ou encore la famille Le Pen)  qui posent pour la circonstance. Affiches, tracts, dépliants : les supports deviennent des sortes d’album photo du FN. Souvenons-nous de cette affiche « La sécurité Première des libertés » représentant Marion Maréchal Le Pen, âgée de 2 ans, et son grand-père.