Jeanne d'Arc... le FN d'hier à aujourd'hui

La statue de Jeanne d'Arc devant le "Carré" (BORIS HORVAT / AFP).

La statue de Jeanne d’Arc trône devant le siège du FN à Nanterre, le « Carré »… preuve de l’importance de ce symbole dans le patrimoine idéologique du parti d’extrême droite. Le FN se l’est approprié en 1979 ; première année où il défile en l’honneur de cette femme, dite la Pucelle d'Orléans - figure héroïque d’une résistance et de la défense de l’identité française - avec d’autres mouvances d’extrême droite. La date choisie de ce premier rassemblement est le dimanche qui suit le 8 mai, jour où Jeanne d’Arc a libéré Orléans en 1429.

Un rendez-vous annuel fondateur

À partir de 1988, le FN défile, non seulement seul mais change également la date de son rendez-vous annuel, fixé dorénavant le 1er mai, jour de la fête du travail. Pourquoi ? Ce défilé représente « la fête de la fierté française qui commémore Jeanne d’Arc, sainte et héroïne de la patrie » explique Jean-Marie Le Pen en 1988. Le président du FN dit vouloir faire de cette journée une « immense manifestation nationale et populaire », une manifestation de « patriotisme et de solidarité nationale », d’unité française s’inspirant de la « fête du travail » de la gauche… une « fête » officialisée en 1941 par le maréchal Pétain.

Plusieurs raisons expliquent le choix de cette « journée » FN dont le but est de réunir les militants du parti autour de valeurs communes. La première est contextuelle : nous sommes en 1988 et le président du FN compte bien être présent au second tour de la présidentielle. La manifestation du 1er mai, celle d’un hypothétique entre-deux tours, serait donc une façon de montrer la force et la cohésion du FN. Seconde raison : le parti de Jean-Marie Le Pen tient à se distinguer de l’extrême droite française qui, jusqu’à ce jour, prenait part au défilé avec le FN. 1er mai pour la formation lepéniste et 8 mai pour les groupuscules radicaux… une manière de se désolidariser de ces manifestations qui, la plupart du temps, monopolisent une couverture médiatique mettant en avant les débordements et violences racistes et néo-nazis.

Dernier raison : le FN entend faire évoluer sa référence historique. Exit le 8 mai, date à laquelle s'est rajoutée une nouvelle signification en 1945 : la fin de la Seconde Guerre mondiale. En s’appropriant la date du 1er mai, il s'agit de montrer un autre FN ayant, entre autres, une empreinte et un objectif social… l'étape concomitante étant de s'afficher comme un Front national social, le représentant assumé de catégories ouvrières.

Depuis plus de vingt ans donc, quelques milliers de militants FN se rassemblent pour ce qui est, désormais, devenu un rendez-vous régulier et incontournable de l’histoire du FN. Le parcours est habituel. Rendez-vous est pris à l’angle de la rue Rivoli et de la rue Marengo. 10 h : défilé de Jeanne d’arc. 12h : discours du (de la) président(e) du FN, Place de l‘Opéra.

1er mai 2015 : un entre-deux FN

La manifestation frontiste du 1er mai 2015 est-elle le reflet de la petite forme du FN d’aujourd’hui ? Elle s’inscrit dans un contexte interne délicat pour le parti de Marine Le Pen. Entre les révélations de Médiapart sur le compte bancaire de Jean-Marie Le Pen en Suisse, le conflit père-fille / FN lepéniste-FN mariniste qui ne cesse de s’envenimer, la tenue du bureau exécutif lundi 4 mai qui devrait statuer sur le sort de Jean-Marie Le Pen et la toute récente démission bruyante d’une des proches du Président d’honneur, Marie d’Herbais de Tun qui accuse Louis Aliot et Gilbert Collard d'être les organisateurs de la disgrâce Le Pen... l'histoire du FN est au centre de bien des tourmentes.

Le parti de Marine Le Pen espérait certainement afficher l’image d’un mouvement uni et fort. En apparence, le défilé devait ressembler aux précédents… à quelques menus détails près. Certes, il a mis en évidence les 62 conseillers départementaux FN élus en mars et ouvrant le cortège… suivis du Front National de la Jeunesse puis de différentes délégations régionales. Il était également prévu que Jean-Marie Le Pen s’y trouve.. tout en restant muet. Mais les choses ne se sont pas passées exactement comme prévues.

Des journalistes TV agressés par des hommes du FN (et évacués par le service d'ordre) dont l'eurodéputé Bruno Gollnisch ; une présidente du FN interrompue par trois militantes du mouvement féministe Femen alors que Marine Le Pen s'apprête à commencer son discours, Place de l’Opéra ; les jeunes femmes se trouvent sur le balcon d’un hôtel et déroulent des banderoles sur lesquelles s’affichent le logo du FN avec cette phrase « Heil Le Pen ». Elles sont délogées par le service d’ordre du FN.

Enfin, un Jean-Marie Le Pen qui fait cavalier seul. Avec son imper rouge, le voici en train de déposer une gerbe au pied de la statue de Jeanne d’Arc et de s’exclamer « Jeanne, au secours ! ». On le retrouve, un peu plus tard, Place de l’Opéra. Il monte sur l'estrade où se trouve Marine Le Pen. Aucun contact entre la fille et le père. Lui s’offre un bain de foule pendant quelques secondes... comme avant et repart aussitôt. Et montre de ce fait, sa côté de popularité qui, à cet instant précis, semble intacte.

Un retour sur le père fondateur

Jean-Marie Le Pen n’est pas seulement l'homme fédérateur d'un parti qu'il a présidé pendant quatre décennies. Il continue d’être un des bâtisseurs de cette histoire qu’il a construite avec les hommes du FN. C'est comme un retour en arrière.

Car, cette journée de mai reste emblématique pour l'ancien président du FN. Par exemple, en 1982, la quatrième fête nationale de Jeanne d’Arc rassemble près de 6 000 participants à Paris, place de la Concorde alors que le FN  revendique près de 1 500 militants.

Affiche FN années 80 (archives personnelles)

Affiche FN années 80 (archives personnelles)

En 1988, près de 100 000 partisans du FN défilent dans les rues de Paris pour honorer Jeanne d’Arc sous les affiches « Rassemblement du peuple de France » et entendre les consignes de vote de Jean-Marie Le Pen. Peu après, on voit le président du FN enrôler la statue de Jeanne d’Arc dans la « protestation passionnée et souvent violente de ceux qui, pour vivre, devraient vendre leur force de travail à un prix souvent dérisoire ». Devant lui, une foule importante qui se fait porte-parole d'un des slogans du FN : « Le social, c’est le FN ».

Ce 1er mai 2015, on dénombre bien moins de 4 000 sympathisants pour un parti revendiquant plus de 70 000 adhérents. On entend un discours de Marine Le Pen, baigné par des marqueurs idéologiques classiques et énoncé sans grande conviction... On lit également sur des banderoles les slogans phares du FN d’antan comme celui du FNJ « On est chez nous » et le «Ni droite, ni gauche, Front National» dont l’initiateur est Samuel Maréchal, ancien directeur de campagne de Jean-Marie Le Pen et responsable du FNJ… « Ni droite, ni gauche : Français ! », emprunté au collaborationniste Jacques Doriot.