Ce sont des propos qu'il prononce de temps à autre. Jean-Marie Le Pen a commencé en 1987. Il était alors président du FN et qualifiait les chambres à gaz de « point de détail de la Deuxième Guerre mondiale ». Les paroles du président du Front national annonçaient une rupture radicale dans l'histoire du parti d'extrême droite ; celle d'un président qui se détournait du pouvoir et devenait un homme politique infréquentable, le « diable de la République ».
Un front « gentil, ça n'intéresse personne »
C'est une certitude pour l'ancien président du FN. Un parti normalisé, un front "gentil" n'a aucun intérêt. Et Jean-Marie Le Pen s'emploie à le prouver assez régulièrement. Ce jeudi 2 avril 2015, il réitère donc ses propos trentenaires lors d'une émission télé mais aussi à l'occasion de son Journal de bord hebdomadaire. Jean-Marie Le Pen considère bien les chambres à gaz comme un« détail de l'histoire de la guerre». Ça ne devrait « choquer personne » poursuit-il. L'ancien président du FN va un peu plus loin et revient sur la composition du Front national où, affirme-t-il, on trouve des gaullistes... mais aussi de « fervents pétainistes, des patriotes, d'anciens communistes, d'anciens partisans de l'Algérie française ». En d'autres termes, l'ancien député veut dire que le parti d'extrême droite n'a pas changé.
Le moment de son intervention n'est pas fortuit. Il s’inscrit dans une configuration politique précise. Le FN sort d'un épisode médiatique dans lequel il jouait un des rôles principaux. Une période pendant laquelle ses représentants n'ont cessé de vouloir montrer les atouts d'un parti qu'ils affichent normalisé.
L'emploi de ce terme « détail »- pour lequel Jean-Marie Le Pen a déjà été condamné - représente une façon de réinstaller le logiciel antisémite et négationniste que sa fille a renié parce qu’elle le sait contre-productif. Jean-Marie Le Pen se fait, de nouveau, entendre et provoque, par ses paroles, de nombreuses réactions. Le parquet de Paris vient d'ouvrir une enquête pour "contestation de crime contre l'humanité". Mais en interne, les données ne sont plus du tout les mêmes. Certes, on assiste à des échanges de tweets assassins entre Gilbert Collard et Jean-Marie Le Pen. On entend des critiques, souvent à voix basse, acerbes. Puis, la présidente du FN se désolidarise - comme elle le fait régulièrement - de son père. Marine Le Pen redit que la stratégie paternelle, basée sur la « provocation volontaire », contrevient totalement à celle qu'elle affiche depuis quelques années... sachant que les propos de Jean-Marie Le Pen lui permettent de revenir sur le devant de la scène en confirmant ce qu'elle ne cesse de répéter : le FN d'aujourd'hui serait étranger à celui d'hier.
La « dédiabolisation du FN ne porte que sur l'antisémitisme »
Louis Aliot m'expliquait, en décembre 2013, que la "dédiabolisation" de son parti s'est effectuée sur un seul point : l'antisémitisme. Le vice-président du parti continuait ainsi : « En distribuant des tracts dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais ce n'était pas l'immigration ni l’islam... D'autres sont pires que nous sur ces sujets-là. C'est l'antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n'y a que cela. À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste. (...) Depuis que je la connais, Marine Le Pen est d'accord avec cela. Elle ne comprenait pas pourquoi et comment son père et les autres ne voyaient pas que c'était le verrou. Elle aussi avait une vie à l’extérieur, des amis qui étaient aux antipodes sur ces questions-là des Le Gallou et autres. C'est la chose à faire sauter ».
Ces quelques phrases confirment la stratégie mise en place par le FN depuis le Congrès de Tours (15-16 janvier 2011) : l'abandon de marqueurs idéologiques, inhérents à l'histoire du FN lepéniste (1972-2011). L'antisémitisme en fait partie. C'est d'ailleurs une des premières choses qu'elle fait lorsqu'elle devient présidente du FN. Marine Le Pen s'affranchit officiellement de l'antisémitisme et du négationnisme ; une étape indissociable pour une éventuelle normalisation du parti. Quelques jours après sa prise de pouvoir, Marine Le Pen balaie un des fondamentaux lepénistes ; c’est comme une première mise au point : « Tout le monde sait ce qui s’est passé dans les camps et dans quelles conditions. Ce qui s’y est passé est le summum de la barbarie ». Le FN mariniste tient immédiatement à affirmer et à afficher sa différence avec celui du père.
En même temps, la présidente du FN préserve des contacts avec l'extrême droite, notamment par le biais de certaines de ses fréquentations comme celle de son ami Frédéric Chatillon, mis en examen fin janvier 2015 pour « faux et usage de faux », « escroquerie », « abus de biens sociaux » et « blanchiment d’abus de biens sociaux ». Ancien du Groupe Union Défense (GUD) et soutien officiel de la Syrie et du régime iranien, le gérant de l'agence de communication Riwal – prestataire du FN - reste en relation avec des néo fascistes et la mouvance négationniste de Dieudonné M'Bala M'Bala.
Les paroles de Louis Aliot doivent être analysées au regard des nouveaux marqueurs avancés par ces hommes et femmes qui prétendent construire un autre Front national. La "dédiabolisation" frontiste ne prend pas à son compte l'immigration et l'islam. L’islamophobie s'est substitué à l'antisémitisme.
Aujourd'hui, Marine Le Pen envoie même des signes aux Juifs de France. Dans un entretien paru dans l'hebdomadaire Valeurs actuelles (9 juin 2014), elle s'exprime peu après un autre "dérapage" de son père (Jean-Marie Le Pen déclarait sur son blog qu'« on fera une fournée la prochaine fois », faisant allusion au chanteur Patrick Bruel) et le succès de son parti aux européennes. La présidente du FN souhaite remettre les choses à leur place. Non seulement, affirme-t-elle, le FN n'est pas un adversaire des juifs mais il est, « dans l'avenir, le meilleur bouclier pour (les) protéger ».
Le FN se présente même comme un rempart contre l'antisémitisme. Il dit combattre le « seul vrai ennemi, le fondamentalisme islamiste ». Marine Le Pen tente de s'attirer les voix de la communauté juive en s'affranchissant ouvertement de l'héritage lepéniste. La rupture avec le FN historique se situe, entre autres, sur ce point : les appels à connotation antijuive de Jean-Marie Le Pen représentaient avant tout des signes en direction de l'électorat antisémite du FN et de la base du parti. Sa fille, elle, s'est fixé officiellement une ligne inverse.
Le changement de nom du FN est à situer sur ce plan. À la direction du parti, la question divise. Certes, ce serait une nouvelle phase – essentielle et pourquoi pas finale - de la mutation du mouvement, entamée au début des années 2000 par l'équipe de Marine Le Pen. La marque FN n'est-elle pas trop connotée pour la suite de l'histoire du parti ?