Du « sang impur » sur les murs des écoles, vraiment ?

Discuté hier soir à l’Assemblée nationale, le projet de loi « pour une école de la confiance », dite loi Blanquer, ne s’annonce pas de tout de repos pour le ministre de l’Education. Et son article 2, voté hier soir, pourrait bien remettre au goût du jour un vieux débat sur les paroles de la Marseillaise. Secondaire ? Pas tant que ça.

Ce que dit le texte voté par les députés

Vers 23 heures le 11 février, après l’examen d’une série d’amendements autour de points chers à la droite comme l’obligation du port de l’uniforme ou la suppression des allocations familiales pour les parents d’enfants absentéistes, les députés ont adopté un amendement d’Éric Ciotti (LR) à l’article 2, rédigé ainsi :

« Art. L. 111‑1‑2. – La présence de l’emblème national de la République française, le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge, du drapeau européen ainsi que des paroles du refrain de l'hymne national est obligatoire dans chacune des salles de classe des établissements du premier et du second degrés, publics ou privés sous contrat ».

Concrètement, les paroles de la Marseillaise seront donc obligatoirement affichées dans les salles de classe, dès le premier degré – l’école maternelle, dans le langage courant. Ou plus exactement – le diable est dans les détails – le refrain de la Marseillaise, donc. Le refrain et lui seul, sans les six, ou sept, ou quinze couplets (oui, c’est un peu compliqué) du texte composé par Rouget de L’Isle. Et ce refrain, tout le monde le connaît, c’est celui-ci :

Aux armes, citoyens,
Formez vos bataillons,
Marchons, marchons !
Qu'un sang impur
Abreuve nos sillons !

Du « sang impur », sur les murs des écoles maternelles, vraiment ?

Mais creusons un peu. Après tout, ces mots ne sortent pas de nulle part et comme l’hymne tout entier, ils ont une histoire.

Expliquer, remettre dans le contexte ? Oui, mais…

Il y a évidemment des raisons qui expliquent le texte de ce couplet dont la violence est régulièrement discutée : depuis Jaurès au moins, des voix s’élèvent pour réclamer une réécriture de ces deux vers qui cadrent mal avec les valeurs universalistes que la France se fait une fierté de porter, en tout cas vus d’aujourd’hui.

Et c’est bien le problème : le texte date de 1792 et on est alors loin de la perception qu’on peut avoir aujourd’hui de ces mots. Quand Rouget de l’Isle écrit et compose son Chant de guerre pour l’armée du Rhin [1], nous sommes pleine Révolution, la France est menacée sur ses frontières par les monarchies voisines et l’idée de faire couler le sang des ennemis n’a rien de surprenant, dans la mesure où ceux-ci affichent exactement la même intention à notre sujet. La Marseillaise est un chant de guerre, qu’il soit violent n’a rien de surprenant. Il n’y a qu’à écouter le Chant des Partisans pour y retrouver une atmopshère comparable.

Mais ce sang, pourquoi est-il « impur » ? Le caractère xénophobe, sinon raciste, qu’on peut y lire aujourd’hui est-il déjà présent dans l’esprit de son auteur ? Bon courage pour trancher, tout le monde s’étripe sur la question avec plus ou moins de bonne foi d’ailleurs - mentionnons tout de même l’interprétation saugrenue de l’écrivain Dimitri Casali qui affirme depuis des années et non sans un certain culot que le sang impur n’est pas celui des ennemis de la Patrie mais celui… des révolutionnaires eux-mêmes. Par opposition au sang pur, au sang bleu des aristocrates, ce serait donc du sang du peuple qu’on parle dans ce couplet.

Soyons clairs, les spécialistes de la Révolution y voient une aimable plaisanterie : pour la plupart d’entre eux [2], le « sang impur » en question est bien celui des ennemis de la Révolution, étrangers ou non d’ailleurs -  l'expression est notamment utilisée dans le cas des Chouans. Ce que confirment les textes de l’époque, textes où la notion de sang impur vire presque au cliché tant on la trouve souvent. En témoigne entre autres cette lettre signée par 25 volontaires du bataillon de la Meurthe, en août 1792 : « notre désir est d'abreuver nos frontières du sang impur de l'hydre aristocrate qui les infecte : la terreur est chez eux et la mort part de nos mains. »

Était-ce bien nécessaire ? Était-ce bien souhaitable ?

Tout le problème se résume finalement à une question de méthode : la Marseillaise est un texte vieux de plus de deux siècles. Son analyse sémantique ou historique demande un peu de finesse, surtout quand on s’adresse à de tous jeunes enfants.

Et il n’y a pas grand-chose de fin dans l’idée d’en tirer volontairement le passage le plus problématique vu d’aujourd’hui pour l’afficher devant eux.

Obliger les écoles à écrire sur les murs de toutes les salles de classe de France et de Navarre qu’un « sang impur » doit abreuver nos sillons ? Il paraît que c’est propre à exalter les vertus civiques. Mais bon courage aux enseignants qui devront dans l’heure suivante expliquer aux mêmes élèves que la France porte des valeurs de tolérance, d’humanisme et d’égalité. Bon courage encore quand il s’agira de leur enseigner que la République ne reconnaît aucune différence entre les hommes. Et bon courage encore quand une main se lèvera pour demander en quoi ces nobles valeurs sont compatibles avec l’idée de faire couler un sang impur. En général, ni Éric Ciotti ni Jean-Michel Blanquer ne sont dans la classe pour leur expliquer que c’est plus compliqué que ça.

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[1] Le titre originel de ce qui allait devenir la Marseillaise.

[2] Dont Jean-Clément Martin ou Bernard Richard.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu