Joli coup pour l’Hôtel Drouot, qui vient de vendre pour une somme rondelette une drôle de pièce : un cercueil miniature. À l’intérieur, entre autres babioles, un mouchoir tâché d’un sang qui serait celui du citoyen Louis Capet, ci-devant roi de France sous le nom de Louis XVI, guillotiné le 21 janvier 1793. Une de ces journées qui marque l’histoire d’un pays.
La mort à une voix près
Depuis août 1792, la vie du roi tint à un fil : en envahissant les Tuileries, les Parisiens ont porté un dernier coup à la monarchie constitutionnelle. Après Varennes, après l’affaire de l’armoire de fer, ce qui lui restait d’influence et d’aura s’est effondré. Emprisonné à la prison du Temple, il ne peut qu’attendre son procès pour haute trahison qui s’ouvre le 11 décembre 1792 : « Louis, la Nation française vous accuse… »
Le 15 janvier 1793, 721 députés sont présents dans l’hémicycle, la majorité absolue est par conséquent de 361 voix : la Convention vote la mort par… 361 voix. Malgré les craintes de ceux qui redoutent un soulèvement, un second vote écarte toute possibilité de surseoir à l’exécution. A une voix près, le citoyen Capet n’a plus qu’une semaine à vivre.
Charles-Henri Sanson, exécuteur des hautes œuvres de Paris, apprend la nouvelle comme tout le monde - un quarantenaire doux et calme que ce M. Sanson, bourreau consciencieux et violoniste à ses heures.
Guillotiné par un royaliste ?
Un cou de plus à trancher pour un homme qui en coupera plus de 3 000 en 40 ans de carrière, on pourrait supposer que ce n’est pas grand-chose. Mais voilà : Charles-Henri Sanson, 4ème d’une longue ligné de bourreaux, est un tiède. Ni fervent royaliste, ni fougueux révolutionnaire, Sanson penche à tout prendre pour la monarchie constitutionnelle. Et tout de même, exécuter le roi ? Un homme qu’il respecte, un souverain dont le meurtre, après un millénaire d’histoire, est le tabou des tabous ?
Et puis… Et puis exécuter un inconnu, ma foi, on s’en accommode sans doute. Mais les deux hommes se connaissent : quelques années plus tôt, suite à une brève entrevue, le roi a personnellement évité à Sanson la prison pour dettes – l’État payant mal les siennes, le malheureux bourreau traversait une fort mauvaise passe financière.
Mieux encore : Louis XVI aurait personnellement contribué à l’amélioration de la machine qui va mettre fin à ses jours. Jusqu’au printemps 1792, la guillotine n’est en effet qu’une idée ; la décision de l’utiliser pour exécuter les condamnés ne sera prise qu’en avril. A l’heure des derniers essais, le roi aurait personnellement corrigé le schéma du couperet, suggérant de remplacer sa forme en demi-lune par ce profil en en biseau si caractéristique. Le cher homme y aurait vu le moyen de garantir une découpe instantanée, rapide et indolore – ce fameux « courant d’air frais sur la nuque » tant vanté par les inventeurs.
L’histoire est belle ; reste à savoir si elle est exacte. Elle vient des Mémoires du petit-fils de Charles-Henri Sanson, lui-même bourreau de son état, mais l’authenticité du texte semble toute relative.
« Fils de Saint Louis, montez au Ciel ! »
Content ou pas, Sanson n’aura pas le choix. Le 21 janvier arrive – 80 000 hommes en armes sont postés dans Paris pour éviter une action royaliste désespérée. L’échafaud, peint en rouge, est dressé sur l’actuelle place de la Concorde. Au Temple, Louis XVI est réveillé à 5 heures. Aussi calme que les derniers jours, il cherche à savoir si l’on en sait enfin plus sur La Pérouse, l’explorateur dont on est sans nouvelles depuis des années. Il se confesse et reçoit la communion. À 9 heures, le convoi part du Temple. Louis XVI a obtenu une dernière faveur, le droit de monter dans une voiture fermée plutôt que sur la charrette habituelle.
Dix heures viennent de sonner. Le roi arrive devant l’échafaud. M. Sanson, Exécuteur des Hautes Œuvres, l’accueille au bas des marches. Avec l’aide du prêtre, il convainc le roi de se laisser lier les mains sans histoire –une infamie aux yeux de l’ancien souverain qui tient à poser lui-même sa lourde redingote. Louis monte les marches. On fait donner l’ordre aux tambours de battre la charge, craignant qu’il ne soulève la foule immense qui entoure la guillotine. Le roi, pourtant, fait un geste vers eux, obtenant seconde de silence, le temps de crier « Peuple, je meurs innocent ! » On le couche sous la planche ; la lunette est descendue pour immobiliser le cou royal. Au bas de l’échafaud, son confesseur lui crie « Fils de Saint-Louis, montez au Ciel » !
À 10h22, Sanson libère le couperet qui coupe en deux ce roi de 38 ans, stupéfiant Paris, la France et le monde. Un aide Sanson saisit le plus petit des deux morceaux par les cheveux et le montre au peuple dont le relatif silence frappe les témoins. Le lendemain, les journaux les plus ardents affirment que le roi est mort lâchement. Sanson prendra un risque inouï, celui de démentir le plus fermement du monde ces calomnies : « (…) le roi a soutenu tout cela avec un sang-froid et une fermeté qui nous a (sic) tous étonnés ».
Depuis la place et tandis que quelques spectateurs parviennent à se glisser entre les gardes pour tremper leurs mouchoirs dans le sang du roi, des coups de canon sont tirés. Au Temple, Marie-Antoinette comprend qu’elle est veuve.