Mariage homosexuel : Taubira a mangé du lion

La ministre de la Justice, Christiane Taubira, le 30 janvier 2013 à l'Assemblée nationale, à Paris. (MAXPPP)

Si  la séquence des manifs – celle des pro et celle de anti-« mariage pour tous – a été dominée par la personnalité forte et originale de Frigide Barjot, l’égérie des « anti », la séquence parlementaire qui vient de s’ouvrir à l’Assemblée nationale est, elle, d’ores et déjà dominée – voire écrasée – par la personnalité de la Garde des Sceaux Christiane Taubira, issue du Parti radical de gauche.

S’exprimant sans notes, dotée d’une éloquence parfois torrentielle, souvent cruelle pour ses adversaires, la Guyanaise de 61 ans, mère de 4 enfants, a déjà été ovationnée à plusieurs reprises par une gauche debout qui salue en elle un tribun de qualité redonnant le moral à des troupes qui ont du vague à l’âme. Et elle a pour cela une méthode. Elle fait tout pour ressusciter « le » clivage qui rassure la gauche : forces dites de « progrès » d’un côté, « réactionnaires » de l’autre.

Il y a tout de même, dans cette situation, un triple paradoxe

1. Si Ségolène Royal n’avait pas décliné la proposition de François Hollande, c’est la présidente de la région Poitou-Charentes qui serait aujourd’hui ministre de la Justice.

2. Le nom de Christiane Taubira ne s’est pas immédiatement imposé tant celle qui fut militante indépendantiste dans sa prime jeunesse et aura fait un bout de chemin avec Tapie, avec Royal puis, au moment des primaires PS, avec Montebourg, a la réputation d’être imprévisible. Sans compter que les 2,32% de suffrages exprimés qu’elle a obtenus au premier tour de 2002 ont objectivement contribué à l’échec de Lionel Jospin (même si elle avait proposé à ce dernier de se retirer en sa faveur, ce que ce dernier avait refusé par pur orgueil).

3. Les députés de gauche, toutes sensibilités confondues, ovationnent aujourd’hui au Palais-Bourbon une femme dont la sensibilité est proche de celle la gauche associative, donc aux antipodes de la démarche réaliste et même musclée du ministre de l’Intérieur Manuel Valls, la vraie et seule star des sondages.

Pourquoi Christiane Taubira, qui n’est pas du sérail socialiste, est-elle soudain devenue l’icône de la gauche ?

Parce que la gauche, à l’heure de la crise, est sevrée de discours lyriques, façon Mitterrand 1981, quand Jack Lang expliquait (sans rire) que la France était passée de l’ombre à la lumière. Parce qu’elle a un art, un goût et une pratique des mots qu’on apprend ni à l’ENA ni dans les écoles de commerce. Parce qu’elle est aussi une redoutable polémiste, avec ce que cela suppose à l’occasion de mauvaise foi.

Ce n’est donc pas un hasard si, mercredi à l’Assemblée, lors de la séance des « questions d’actualité », Jean-Marc Ayrault, plusieurs fois interpellé personnellement par l’opposition, a préféré en chaque occasion laisser s’exprimer au nom du gouvernement une Taubira très à l’aise, pas peu fière de l’écho qu’elle rencontre à gauche et jubilant déjà à l’idée qu’on puisse associer un jour son nom à une de ces réformes de société si chères à la gauche.

Du coup, la droite s’interroge : comment s’y prendre pour répliquer et sur quel ton à la Garde des Sceaux sans la valoriser ?  Sans doute la droite, qui en avait fait sa tête de turc depuis huit mois, se rend-elle compte qu’elle l’avait probablement sous-estimée. En tout cas, pour l’heure, la droite, surprise, n’a pas trouvé la réponse.