Pascal Boniface, punchlineur intellectuel de Mantes-la-Jolie : "Un fossé se creuse entre le peuple et leurs représentants dans les médias"

Pascal Boniface pose dans son bureau, à Paris, le 20 mars 2015. MARTIN BUREAU / AFP

Pascal Boniface m'accueille dans son bureau situé dans le 11e arrondissement de Paris. Très actif sur Twitter, le directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) est l'auteur de plusieurs ouvrages qui couvrent une palette éclectique de sujets, des Jeux olympiques à Léo Ferré.

Très accueillant, clair et ouvert au dialogue, Pascal Boniface se range plutôt du côté des Intellectuels Intègres, le titre de l'un de ses livres, qui désigne les intellectuels honnêtes et vraiment engagés. Il sort toujours des punchlines drôles et pointues sur Twitter (son compte : @PascalBoniface). Entre rires et réflexion sur l'actualité politique parfois absurde, Pascal Boniface nous présente son analyse précise et argumentée sur la représentation des minorités et les inégalités sociales. Entretien.

Propos recueillis par Salma Dahir

Vous avez grandi à Mantes-la-Jolie (Yvelines) dans les années 60. A l'époque, y avait-il déjà une stricte séparation entre les quartiers ?

Pascal Boniface : Mes parents étaient employés de banque et ont divorcé quand j'avais sept ans. Je me suis donc installé avec ma mère à Mantes. Le Val Fourré existait déjà quand je suis arrivé. Il y avait deux villes : Mantes-La-Jolie et le Val Fourré, qui étaient deux entités séparées. Même s'il y avait plus d'insécurité dans le Val Fourré, on pouvait s'y promener sans heurts. Je pense que ce n'est que par la suite que les choses se sont dégradées... Il n'y avait pas de chômage de masse et l'ascenseur social fonctionnait encore en 1974, au moment de l'obtention de mon baccalauréat. Mais il n'y avait pas d'enfants issus de l'immigration maghrébine au lycée classique. Ils étaient voués à des métiers manuels et donc affectés au lycée technique sans autre choix.

Militant du Parti socialiste unifié (PSU) jusqu'en 1974 puis PS, il est naturel d'en savoir plus sur votre perspective quant à l'évolution de la gauche sur les questions d'immigration, de chômage et d'inégalités scolaires.

P.B. : Les promesses faites en 2012, à l'instar du vote pour tous (vote des étrangers aux municipales) n'ont pas été tenues. Le PS ne va pas assez loin, le social est oublié. Ces thématiques sont très clivantes au PS. Il y a des gens qui ont des positions très engagées pour lutter contre les inégalités, et d'autres qui y sont moins sensibles, voire qui peuvent prendre des positions que je ne juge pas compatible avec la gauche ni même le progressisme.

Ces questions sont devenues tellement gênantes que l'on ne veut même pas en parler. Le PS les relègue au second plan comme le font d'autres partis. Comme ce sont des thèmes "incendiaires", le parti n'ose pas en parler franchement. "Y penser toujours mais ne jamais en parler" semble être la devise.

Pourtant, ces sujets polémiques constituent le gagne-pain des Pompiers Pyromanes, puisqu'ils ne sont pas traités clairement par la classe politique. Pouvez-vous revenir sur le mécanisme que vous expliquez dans le livre que vous avez choisi de titrer ainsi ?

P.B. : Mon livre devait à l'origine s'appeler "Faussaires et Insubmersibles". Il met en lumière la stratégie qu'emploient certaines personnalités médiatisées qui disent dénoncer le racisme et les inégalités, mais qui le nourrissent par leurs pratiques. En France, le mensonge n'est pas réellement sanctionné.

Certes, il existe une sanction venant d'une partie du public qui commence à être informé. Cependant, les médias continuent de les inviter par complicité (car ils sont d'accord), par lâcheté (en ayant peur d'être desservi ou calomnié) ou par incompétence (aucun travail en amont sur les personnes invitées). Ces experts "bidons" dénoncent le populisme en le nourrissant, car leurs mensonges créent un sentiment de défiance du peuple par rapport aux élites puisqu'elles mentent sciemment et ne respectent pas le public. Ainsi, un fossé se creuse entre le peuple et leurs représentants dans les médias.

Revenons à Jean-Pierre Chevènement, futur dirigeant de la "Fondation de l'Islam de France". Vous le connaissez personnellement puisque vous avez travaillé pour lui quand il était ministre entre 1988 et 1992. Que pensez-vous de sa désignation ?

P.B. : Il est vrai que j'ai le plus grand respect intellectuel, humain et politique pour Jean-Pierre Chevènement. Mais je pense que le nommer à la tête de la Fondation pour l'Islam alors qu'il n'est pas musulman, on ne le ferait pas pour un autre groupe. Il y a un côté "bureau des Affaires Indiennes". Par exemple, on ne verrait jamais un homme être nommé ministre des Droits de la femme. J'aurais préféré voir quelqu'un comme Bariza Khiari à la tête de l'organisme, qui est une sénatrice socialiste musulmane [ndlr : En avril 2016, elle a été élue présidente de l'Institut des cultures d’islam (ICI), un établissement culturel et cultuel de la ville de Paris].

En fait, le manque de médiatisation de réels représentants s'explique par le rejet d'un discours différent ou tout simplement par un effet moutonnier où on appelle les mêmes personnes car on les connaît. Cette tendance peut être corrigée via les réseaux sociaux car on se rend compte que lorsque quelqu'un ou quelque chose est plébiscité sur internet, les médias en tiennent plus rapidement compte.

Petite bibliographie de Pascal Boniface :
Les Intellectuels faussaires : le triomphe médiatique des experts en mensonge, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, 2011
Les Intellectuels intègres, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, 2013
Les pompiers pyromanes : ces experts qui alimentent l'antisémitisme et l'islamophobie, Max Milo éditions, 2015
JO Politiques, Eyrolles, 2016
Léo Ferré toujours vivant, La Découverte, 2016

Publié par violainejaussent / Catégories : Non classé