Dans la campagne hongroise, le Jobbik veut "faire peur" aux capitaux étrangers

Les militants du Jobbik "décorent" la propriété agricole d'un Italien à Mike (Hongrie), le 18 mai 2014.

Le blog Trans'Europe Extrêmes se rend pendant la campagne des élections européennes dans cinq pays où la droite populiste et eurosceptique est en plein essor. Après la Finlande, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie, direction la Hongrie.

"Cher Monsieur Fenyvesi, si vous vous intéressez tant à l'agriculture, commencez par le travail à la main plutôt que de vous concentrer que sur les profits." Ander Balazs, député du parti ultra-nationaliste hongrois Jobbik, tient une bêche rouillée, emballée dans un drapeau hongrois, dans la main gauche. Il lit solennellement la lettre qui accompagne ce "cadeau", "un outil que vous, Monsieur Fenyvesi, ne connaissez peut-être même pas".

Accompagné d'une autre parlementaire Jobbik, Enikö Kovàcs Hegedüs, et d'une cinquantaine de sympathisants, il dénonce la spoliation des petits agriculteurs hongrois. Depuis le 1er mai, le moratoire de dix ans accordé par Bruxelles sur la vente des terres arables lors de l'intégration de la Hongrie à l'UE n'est plus en vigueur. L'heure des spéculateurs, "qui ont acheté pour rien du tout" les bons de compensation donnés aux paysans à la fin du régime communiste, est venue. Ils peuvent revendre leurs grands domaines agricoles "aux étrangers".

"Un vol en bande organisée"

SALOME LEGRAND  / FRANCETV INFO

Planté devant l'ancienne coopérative de Somogybabod, 500 habitants, devenue propriété de l'oligarque hongrois Csaba Fenyvesi, le responsable des stocks d'avant-rachat raconte. "Ils ont vendu les terres de la coopérative en petits morceaux sans rien expliquer aux gens. C'est seulement arrivés à la retraite qu'on a compris, nous sommes encore membres de la coopérative mais plus propriétaires, s'étouffe le petit septuagénaire en fixant l'assemblée de ses yeux très bleus. Il y avait du travail pour nourrir 600 familles et maintenant, il n'y a plus que 14 employés."

"Un vol en bande organisée", assène Ander Balazs, poings enfoncés dans les poches de son jean, crâne rasé, tout rond dans son blouson en cuir noir. "Il a tout acheté pour 60 millions de forints [196 200 euros] et est en train de revendre pour 3 milliards [9,81 millions d'euros]", abonde Enikö Kovàcs Hegedűs, lunettes de soleil plantées en serre-tête dans son carré auburn. Elle martèle : "Je vous demande de ne pas avoir peur, s'ils vous touchent, s'ils vous racontent n'importe quoi, nous sommes là, nous allons agir."

"Une question de survie de la nation hongroise"

Dans un concert de klaxons, la trentaine de voitures fait étape en contrebas de la cossue propriété de l'oligarque aux murs bien blancs et volets verts. Le temps pour les élus de scotcher un "Stop aux parasites" agrémenté d'un cafard en noir et blanc sur son portail et le convoi repart.

Balazs Ander (à G) et Enikö Kovàcs Hegedüs, députés du Jobbik, devant la propriété de Csaba Fenyvesi à Somogybabod, le 18 mai 2014.

Balazs Ander (à G) et Enikö Kovàcs Hegedüs, députés du Jobbik, devant la propriété de Csaba Fenyvesi à Somogybabod, le 18 mai 2014.

Cinquante kilomètres plus loin, les militants savourent leur pause sur la place principale de Kaposvar, capitale de la province. Cornet de glace dans une main, drapeau de la Grande Hongrie ou du parti dans l'autre, ils écoutent deux ténors, tout scintillants en veste de satin blanc dans un rayon de soleil, chanter la gloire de la nation. "Garde la grande flamme dans ton cœur et transmet là à ton fils, s'époumone le duo Theatrock. Ça fait 500 ans qu'on décide ailleurs pour nous, mais un jour, ce sera le rêve réalisé..."

- "Adjon Isten!" (Que dieu nous donne...), tonne Ander Balazs.

- "...Szebb jövöt", (...le meilleur à venir"), réplique en chœur l'assemblée ressaisie par ce salut traditionnel Jobbik.

"Ce n'est pas qu'une question de terres, mais une question de survie de la nation hongroise", entame le député. "Des terres excellentes ne sont pas exploitées tandis que leurs propriétaires touchent des millions d'euros de subventions de l'Union européenne", dénonce l'élu, qui pense qu'un million d'emplois agricoles peuvent être créés dans le pays.

"On va devenir les Palestiniens" d'Europe centrale

"Il faut crier si vous avez de la voix, aiguiser nos faux (…). C'est la guerre, nous avons le droit de nous défendre", lance-t-il. Et de brandir la menace de devenir "les Palestiniens de Pannonie", le nom romain de la Hongrie. "Il y a autant de proches du Fidesz (droite) que du Parti socialiste dans la liste des personnes ayant touché le plus de subventions de l'UE", reprend Enikö Kovàcs Hegedüs, qui égraine quelques noms. "Nombre d'entre eux sont des hommes de paille, qui servent les intérêts étrangers." Il pointe du doigt la loi sur la vente des terres censée limiter les effets de la fin du moratoire.

Le texte prévoit que seuls des citoyens européens ou de pays associés "Norvège, Suisse, Israël", résidents depuis au moins trois ans en Hongrie, puissent acheter des terrains. "Ils doivent aussi avoir un diplôme d'exploitant agricole. Mais c'est une formation de 15 jours qu'on peut réduire à 2 minutes avec la corruption dans ce pays", balance sèchement la députée. Selon elle, "512 millions d'étrangers" sont à l’affût des terres hongroises, "10 fois moins chères que les mêmes que l'on peut trouver en Autriche". Selon elle, 95% des investissements immobiliers de Budapest sont "opérés par des Israéliens".

"La patrie est en danger, prévient-elle. Qu'aurait-on dit si, au lieu de jurer de se battre jusqu'au dernier, Istvan Dobö avait dit à ses soldats en 1552 : 'Regardez, ces soldats turcs qui attaquent la forteresse sont des investisseurs. Soyons gentils, discutons avec eux, mettons nos lois en conformité avec leurs intérêts ?' C'est ce qui est en train de se passer aujourd'hui !"

"Là où le capital étranger se sent mal à l'aise, il ne colonise pas"

SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO

La preuve avec l'exploitation de l'Italien Eddi Gigante à Mike. S'il n'est pas officiellement propriétaire au cadastre, son nom figure bien comme directeur exécutif sur le panneau qui borde ses hectares de peupliers, accompagné d'un numéro de portable en Italie. Sa demeure jaune détonne face aux petites maisons au crépi si écaillé que les briques apparaissent, alignées le long de la nationale.

Agitant leurs drapeaux au-dessus de l'épaisse barrière en bois derrière laquelle deux chiens aboient, les Jobbik déposent un sac de purin sous le porche. "Si la terre n'est pas assez bonne en Italie, voilà de quoi l'améliorer", indique la lettre que les sympathisants scotchent sur sa porte en criant des "Arrivederci" et "Vaffanculo".

L'Italien Eddi Gigante a remplacé les cultures de légumes par celle des peupliers "qui assèchent les terres", affirment les élus Jobbik. Enikö Kovàcs Hegedüs propose "sa technique" : "Faire peur aux investisseurs, les mettre mal à l'aise, car là où le capital étranger se sent mal, il ne colonise pas le pays."

Publié par Souriez vous êtes soignés / Catégories : Hongrie