Premier opposant, Mélenchon ressuscite-t-il l'extrême gauche en France ?

Jean-Luc Mélenchon, le 12 juillet 2017, lors d'un rassemblement de "La France insoumise" contre la réforme du Code du Travail, à Paris. (BERTRAND GUAY / AFP)

Qui sont les "Insoumis" ? Les analystes politiques ont souvent décortiqué le "peuple de droite"... ou le "peuple de gauche". Rarement le "peuple des Insoumis", celui que Jean-Luc Mélenchon englobe sous une dénomination floue, curieusement apolitique : "les gens" ! Pourtant ces "gens" se rêvent en avant-garde du peuple, à l'instar des Partis communistes qui, tout autour de la Terre depuis la révolution russe de 1917, se sont auto-proclamés avant-garde de la classe ouvrière.

Affublé, par ses détracteurs, de surnoms ou de sobriquets peu flatteurs dérivés des titres grandiloquents octroyés à Staline ou à Castro, le chef de file de "La France insoumise" se complait dans ses interventions, en creux ou en relief, à assigner une sorte de rôle messianique à son rassemblement de "gens". Charge à eux de créer une "contre-société" avec ses propres règles et ses propres codes. Au temps de sa splendeur électorale et sociologique, le PCF ne préconisait pas autre chose à ses militants.

Pas question pour le "mélenchonisme" de se lancer dans une adaptation des structures du capitalisme ou du libéralisme. Cette adaptation - ce "bricolage" serait sûrement un terme plus adapté pour "les gens" - est réservée aux sociaux-démocrates en qui la gauche radicale française a souvent vu des "sociaux-traitres" pouvant servir, à intervalles irréguliers, de forces supplétives pour mener à bien "la Révolution". Car si on la baptise aujourd'hui "Révolution citoyenne", pour ne pas trop affoler le chaland-électeur, c'est bien de cela qu'il s'agit.

"La France insoumise" a siphonné les électorats de gauche...

En France, la gauche a toujours été parcourue par deux courants : l'un réformiste , l'autre révolutionnaire. De 1789 à 1920, les deux rameaux de la gauche ont cohabité de façon plus ou moins visible et de manière plus ou moins violente. Le 18e congrès de la SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière) à Tours, en 1920, a concrétisé la séparation des deux branches avec la création, par scission majoritaire, de la SFIC (Section française de l'Internationale communiste) sous l'égide de Kominterniens (agents communistes de la IIIe Internationale) envoyés par Moscou. Le PS constitue donc le courant réformiste alors que le PCF représentait le courant révolutionnaire.

La chute du Mur de Berlin et l'effacement du communisme soviétique ont réduit à néant beaucoup de Partis communistes occidentaux. Électoralement, le PCF, qui était la première force politique organisée en France à la Libération, est devenu un parti marginal sur l'échiquier même s'il dispose encore d'un groupe à l'Assemblée nationale et au Sénat. Incapable de présenter un candidat à la dernière présidentielle, l'essentiel de ses troupes a été siphonné par Mélenchon. Bon gré mal gré - les dirigeants du PCF n'entretiennent pas les meilleures relations avec le leader de "La France insoumise"-, l'électorat communiste a trouvé un nouveau mentor pour la gauche révolutionnaire.

Mais l'ex-sénateur socialiste (1986-2000, puis 2004-2008) - il a été élu, pour la première fois, conseiller municipal de Massy (Essonne), en 1983 - et ancien ministre (Enseignement professionnel dans le gouvernement Jospin de 2000 à 2002 sous la présidence Chirac) n'a pas fait son "marché électoral" que dans les seuls rangs communistes. Comme l'a montré la dernière campagne présidentielle, Mélenchon a largement puisé dans un électorat socialiste qui ne considérait pas Hamon assez charismatique, crédible... ou révolutionnaire. La chute vertigineuse du candidat du PS dans les sondages d'intentions de vote s'est trouvée corrélée à son ascension non moins remarquable. Sa stratégie d'anéantissement des "Solfériniens" - surnom qu'il donnait aux dirigeants socialistes - a eu un certain succès !

... et elle redonne un horizon à la gauche révolutionnaire

Constitués par d'anciens électeurs communistes, socialistes et plus marginalement écologistes, "les gens" qui composent le noyau dur de l'avant-garde du peuple comptent une troisième grande composante : l'extrême gauche pure et dure. Ancien militant trotskiste lui-même - Mélenchon a appartenu à la branche lambertiste, le PCI (Parti communiste internationaliste devenu, aujourd'hui, POI pour Parti ouvrier indépendant), qui était intimement liée à la franc-maçonnerie -, il a redonné un horizon politique et un espoir radieux à un électorat en déshérence. Passé sous les radars de la détection politique depuis l'élection présidentielle de 2002 où les trotskistes avaient trois représentants (Arlette Laguiller, Olivier Besancenot et Daniel Gluckstein avaient recueilli ensemble plus de 10% des voix), les électeurs d'extrême gauche ont retrouvé une seconde jeunesse révolutionnaire. Fut-elle "citoyenne" pour l'habillage.

Beaucoup d'éléments de langage de "La France insoumise" (FI) et de références historiques ou géopolitiques de Mélenchon conduisent à s'interroger sur le projet concret que sous-tend ce nouvel arc politique qui se veut éco-socialiste. Mais pas que ! Si Mélenchon joue le jeu de la démocratie parlementaire, il se veut aussi le chantre de la révolution sociale, celle qui se mène dans la rue pour combattre le pouvoir politique en place. Cette approche n'est pas sans rappeler celle de l'extrême gauche qui dénonçait les "Elections, piège à cons" - le député François Ruffin (FI) considérait récemment sur BFMTV que "l'Assemblée nationale, c'est du flan" - et qui ne jure que par les mouvements sociaux pour obtenir un changement politique. Le même Ruffin espérait, toujours sur BFM, que Macron ne resterait pas à l'Elysée pendant cinq ans.

Il suffit d'entendre Mélenchon et ses lieutenants parler du Venezuela - il avait tweeté, en 2013, "le Venezuela bolivarien est une source d'inspiration pour nous, nous saluons la victoire de Maduro" - pour comprendre que pour eux deux forces politiques, et deux seulement, se font face dans ce pays : la gauche révolutionnaire et l'extrême droite. La référence permanente au "coup d'Etat social" que constituent, selon eux, les ordonnances sur la loi travail et l'appel répété au soulèvement du peuple pour le contrer illustrent parfaitement la translation française de la situation venezuélienne qu'opère la FI. Mais de façon inversée : l'extrême droite ou son ersatz est au pouvoir alors que l'extrême gauche révolutionnaire est la seule force d'opposition qui vaille. L'état de l'opposition - en France - joue-t-elle en faveur de cette hypothétique résurrection ?

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu