Benoît Hamon sous la menace d'une double hémorragie d'électeurs

Hamon à Auneau-Bleury-Saint-Symphorien (Eure-et-Loir), le 24 mars 2017. (GUILLAUME SOUVANT / AFP)

La campagne présidentielle est entrée dans son dernier mois. Celui où la position de chaque candidat, selon la formule consacrée, "se cristallise". C'est-à-dire qu'un double phénomène se produit : l'ordre d'arrivée du premier tour de la consultation commence à se fixer avec plus de précision et un plus grand nombre d'électeurs détermine son choix définitif. Or, cette fois... il n'en est rien ! Le classement bouge encore et près de quatre électeurs sur dix sont dans l'indécision.

Atypique, la course à l'Elysée 2017 le sera probablement jusqu'au bout. Jusqu'au jour du scrutin, le 23 avril, quand les électeurs entreront dans l'isoloir. Jamais sous la Ve République, une campagne ne se sera déroulée de cette manière. Jamais les projets, les programmes, les propositions, voire les promesses, des uns et des autres n'auront autant été relégués au second plan. Et les "affaires" mises sous le feu des projecteurs.

Il est vrai qu'un des candidats - fait unique en 60 ans - est mis en examen avec une batterie de "chefs d'inculpation". Et pas n'importe lequel puisque c'est le représentant, François Fillon, du principal parti de l'opposition républicaine et parlementaire. Pour sa part, la représentante de l'extrême droite, Marine Le Pen, qui est sous le coup d'accusations d'emplois fictifs présumés au Parlement européen, refuse de déférer aux convocations des juges d'instruction. Les deux dénoncent, implicitement ou explicitement, un "complot politique" avec instrumentalisation de la justice.

Mélenchon fait le "break" avec le "frondeur" du PS

Promis à une victoire certaine face à la présidente du Front national, à la fin 2016, Fillon est englué, depuis six semaines, dans un maelström qui l'a relégué, selon les études d'opinion, à la troisième place au premier tour, position synonyme de non-qualification pour le second. Derrière lui, Jean-Luc Mélenchon est en train de faire un "break" dans son match avec le vainqueur de la primaire de gauche, le frondeur Benoît Hamon. Et dans les sondages, le champion de "La France insoumise" se rapproche dangereusement de l'ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy.

Conséquence de ces différents mouvements dans les intentions de vote, le "cas Hamon" va désormais polariser l'attention des analystes politiques. L'ancien ministre de François Hollande, dont la proposition phare - le revenu universel - était censée rassembler sur la gauche de l'échiquier, peine à émerger dans cette campagne. Faute d'épaisseur, sans doute, face à Mélenchon, mais aussi, et surtout, faute d'une cohérence politique qui lui fait donner des coups de barre contradictoires. Résultat des courses, il n'est pas comptable du quinquennat Hollande... tout en l'assumant parfois ! Difficile à suivre pour l'électeur.

Avec un certain retard à l'allumage, la combinaison de ces paramètres risque de produire ce qui était prévisible dès le départ : un phénomène de double hémorragie des électeurs de gauche. L'omelette de Hamon est menacée d'être entamée par les deux bouts. Les électeurs sociaux-démocrates du PS trouvent son programme trop irréaliste, à l'instar du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, qui soutient Emmanuel Macron. Les partisans de l'aile gauche du parti estiment, au contraire, qu'il est trop timoré avec "les puissants" et ils entament un mouvement vers le leader de "La France insoumise".

L'électorat social-démocrate tourne les yeux vers Macron

S'il se confirme - on ne voit pas très bien, à l'instant, ce qui pourrait le contrecarrer -, ce mouvement de vases communicants aura des répercussions immédiates dans les enquêtes d'intentions de vote et d'autres, plus lointaines, sur la recomposition du paysage de la gauche. Dans l'immédiat, l'amputation sociale-démocrate grandissante de l'électorat Hamon offrirait une chance à Macron d'asseoir l'avance qu'il a prise sur Le Pen fille, à partir de la mi-mars, si l'on en croit les sondages. La perte affirmée de l'électorat situé à l'autre bout permettrait à Mélenchon de venir inquiéter Fillon, en perte de vitesse.

Scénario improbable ? L'effacement du Parti socialiste, qui est quand même une des composantes principales du carburant électoral de Mélenchon, n'est pas simplement une vue de l'esprit. Il s'est déjà produit sous la Ve République. C'était en 1969. Bien sûr c'était alors la SFIO (Section française de l'internationale ouvrière), l'ancêtre du PS refondé par François Mitterrand au congrès d'Epinay, en 1971. Il est vrai que le PCF avait encore une existence politique : son représentant, Jacques Duclos pesait alors plus de 20% des voix. Quand Gaston Defferre (SFIO) ramait pour dépasser 5%. Et déjà, Michel Rocard perçait sous le PS. Toute ressemblance serait fortuite et indépendante...

A moyen terme, un tel dénouement signerait une nouvelle défaite pour les "frondeurs" du PS. Et validerait, par contre-coup, la stratégie de Mélenchon... tout en en marquant les limites électorales. Incapables d'offrir une alternative de gauche sous la quinquennat Hollande - les tentatives de motion de censure contre le gouvernement Valls ont été vaines -, "ils" se trouverait en position d'extrême faiblesse pour prendre les rennes du Parti socialiste. Ce qui est, pour les "frondeurs", le fil rouge de l'après-présidentielle. A n'en pas douter, la recomposition du paysage politique n'attend pas le 23 avril... Ni le 7 mai !

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu