Pourquoi la stratégie anti-Bayrou de Sarkozy ne marche pas contre Juppé

François Bayrou et Nicolas Sarkozy © JEAN-PIERRE MULLER / POOL / AFP

Plus un seul meeting de Nicolas Sarkozy où François Bayrou ne soit pas la vedette du show ! Vedette involontaire, certes, mais star d'un soir quand même. Et comme l'opération se répète maintenant tous les jours, le patron du Modem devient "l'objet politique" le plus regardé du moment. Par un tour de force tout à fait remarquable, Sarkozy a réussi à placer Bayrou au centre des débats de la "primaire de droite et du centre", selon l'expression officielle. Le problème est que l'ancien président de la République, qui aspire à le redevenir, préfèrerait que ce soit uniquement une primaire de la droite. Voire des seuls militants de son parti, "Les Républicains".

Jusqu'au bout, il va certainement tout tenter pour combler son handicap sur Alain Juppé. Ce retard au premier tour de la primaire de la droite oscille dans les dernières enquêtes d'intentions de vote entre 4 points (BVA, terrain du 13 au 20 septembre) et 14 points (Kantar Sofres, 30 septembre au 6 octobre), en passant par 11 points chez Ipsos (24 au 19 octobre) et 12 points à l'ifop (30 septembre au 17 octobre). Pour y parvenir, Sarkozy estime que Bayrou est son meilleur agent électoral, dans la dernière ligne droite... Pour faire office de repoussoir contre Juppé.

Alors que les dates du scrutin approchent (20 et 27 novembre), l'ex-chef de l'Etat concentre donc ses attaques contre le Béarnais pour tenter de décrocher une partie des électeurs de droite du vote en faveur du maire de Bordeaux. Il redonne ainsi des couleurs à une haine recuite. Depuis 2012, il fait porter sa défaite sur les seules épaules de celui qui est devenu maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) en 2014. En se prononçant - à titre personnel - en faveur de François Hollande, le leader centriste aurait été le principal responsable de son échec électoral. Cette "analyse" à courte vue, qui l'exonère de ses propres choix et de ses propres erreurs politiques, met surtout en évidence l'antipathie tenace d'une partie de la droite pour le centre.

Il prêche parmi des militants déjà convaincus

La méfiance de la droite bonapartiste à l'égard des démocrates-chrétiens centristes n'est pas une nouveauté. Les gaullistes, puis les néo-gaullistes, n'ont jamais éprouvé un amour immodéré pour cette mouvance politique. Ils ont toujours considéré ces centristes comme une simple force d'appoint ou comme un "mal nécessaire" dans les gouvernements de coalition qu'ils formaient. Il suffit de savoir comment Jacques Chirac fustigeait, dans des conversations privées dont l'auteur de ce blog peut témoigner, "cet esprit MRP détestable" - MRP, pour Mouvement Républicain populaire, qui présenta Jean Lecanuet face au général de Gaulle à l'élection présidentielle de 1965, et précurseur de l'UDF fondée en 1978.

Sarkozy est dans cette continuité : il éprouve la même aversion. Et quand il dénonce 'l'alternance molle", tout le monde comprend qu'il vise - en creux - Juppé mis dans le même sac que Bayrou et les centristes honnis. Pire que tout, le chouchou des sondages seraient même passé sous les fourches caudines du patron du Modem. Les partisans les plus farouches de l'ancien président de la République, c'est-à-dire une bonne proportion des militants de son parti qui se rendent à ses meetings, prend moins de gants pour dire, tout simplement, que Juppé n'a pas sa place dans cette primaire. La raison en est simple pour eux : il est de gauche. Cette vision en dit long sur leur état d'esprit qui se déverse, à gros bouillon, sur les réseaux sociaux comme Twitter.

En dénonçant Bayrou en boucle sur ce thème subliminal auprès de son électorat, Sarkozy ne fait que prêcher parmi des convaincus. C'est-à-dire que cette thématique anti-centriste ne lui rapporte pas une seule voix supplémentaire. Et elle ne détache aucune voix de l'électorat potentiel et modéré de Juppé qui pense, justement, que la fabrication de ce clivage exacerbé n'est pas une bonne chose pour le pays. A force d'avoir radicalisé son discours, le "challenger des sondages" draine essentiellement le noyau dur du parti "Les Républicains", ce qui fait certes du monde et des images de foule dans les meetings mais ce qui reste quand même un noyau dur de tout l'électorat. Et ce noyau à peut-être d'ores et déjà atteint son développement maximum.

Et si cette primaire préfigurait la présidentielle...

En faisant du Buisson sans Buisson - ce qui nuit à la cohérence de son discours qui ne semble plus avoir de boussole -, Sarkozy a plutôt tendance à stabiliser son audience qu'à l'élargir. La seconde conséquence de cette stratégie anti-Bayrou est liée aux sentiments opposés que fait resurgir sa personnalité. Ceux-là mêmes qui sont apparus assez rapidement après le début de son quinquennat. S'il suscite incontestablement de la ferveur dans une partie de l'opinion, il déclenche, de façon quasi-automatique, une réaction symétrique opposée de rejet aussi puissante. Sinon plus puissante, au vu des enquêtes d'opinion. Il suffit pour s'en convaincre de consulter ses cotes de popularité et d'impopularité.

Ses attaques frontales répétées contre Bayrou, qui a fait le choix de Juppé dans la primaire, ont pour but de dissuader les centristes de participer à cette consultation. En leur faisant comprendre que ce scrutin, au fond, ne les concerne pas. Qu'il ne s'agit pas de la "primaire de la droite et du centre" mais d'une primaire de la droite et... de la droite. Que c'est une affaire de famille et que le linge sale, chacun le sait, se lave en famille. Le malheur pour lui est qu'il s'est laissé enfermer, contraint et forcé, dans ce casting pré-présidentiel insérant précisément ces vilains centristes. Alors, loin de rebuter une frange de l'électorat du centre, les saillies de Sarkozy conforte cette frange dans sa volonté de matérialiser son rejet du sarkozysme. Mauvais calcul donc, effet inverse assuré.

A son corps défendant ou par manque de lucidité tactique, le chef de file du principal parti de l'opposition parlementaire ravive quotidiennement la flamme de l'anti-sarkozysme, en renouant avec ses réflexes d'avant. Au-delà des seuls centristes qui n'ont pas rallié son panache, il rameute aussi un échantillon de la gauche qui veut définitivement tourner la page. Ces électeurs là se font probablement à l'idée qu'ils n'auront pas de représentant au second tour en 2017. Ils ont donc peut-être tendance à considérer que la primaire de la droite, dès le premier tour, se substitue au second tour de la prochaine présidentielle. Et qu'à chaque fois, selon eux, il faut éliminer quelqu'un pour s'épargner le pire.

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu