Marine Le Pen utilise son père comme agent de la "dédiabolisation"

Jean-Marie Le Pen, président d'honneur du FN, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le 12 juin 2015. (MARTIN BUREAU / AFP)

Marine Le Pen ne lâche pas le morceau ! Désavouée trois fois de suite par la justice dans la querelle qui l'oppose à son père, la présidente du Front national a compris tout le parti qu'elle peut tirer de ce conflit familial. Loin de laisser tomber une affaire qui est juridiquement perdue, mais politiquement gagnée pour elle en interne, elle insiste maintenant pour des raisons purement externes. Le "Menhir" lui offre une occasion inespérée de relancer sa sempiternelle opération de "dédiabolisation".

Juillet avait pourtant ouvert un "été meurtrier" pour la famille qui domine l'extrême droite française depuis plus de 40 ans. A trois reprises - les 2, 8 et 28 du mois - la justice avait donné raison à Le Pen père contre sa fille. Elle avait d'abord rétabli le cofondateur du FN dans ses droits d'adhérent alors qu'il avait été suspendu du parti par les instances dirigeantes réunies en formation disciplinaire sous l'autorité de la présidente en exercice.

Ensuite, la justice l'avait implicitement maintenu dans sa fonction de président d'honneur à vie du parti, en annulant, en première instance et en appel, l'organisation du "congrès postal" - l'expression est de Jean-Marie Le Pen. Cette "AG" avait pour but de modifier les statuts du FN et notamment, voire principalement, de faire adopter par les militants la suppression du poste de "président d'honneur". Une fonction que Le Pen père avait pris soin de façonner pour lui avant de céder les rênes du parti à sa fille.

Couper l'herbe sous le pied des détracteurs

Piquée au vif, cette dernière avait publié les résultats de cette consultation interne avortée afin de tenter de prouver que l'expression politique des adhérents avait plus de poids que les décisions des tribunaux. Sur les 28.664 votes dépouillés, en effet, 94% des bulletins se prononçaient en faveur des nouveaux statuts, donc de la disparition de la présidence d'honneur, selon un communiqué du FN. Le père, aux yeux de la fille, n'avait plus aucune "légitimité politique" à se maintenir en place.

C'était compter sans l'acharnement et la roublardise de Jean-Marie Le Pen qui ne rate jamais une occasion de rebondir. En l'espèce, il retournait les chiffres officiels contre sa fille. D'une part, il notait une baisse sensible des adhérents - 52.000 inscrits pour le "congrès postal" contre plus de 83.000 au congrès d'octobre 2014 - en prenant des chiffres à deux dates différentes de l'année. D'autre part, il s'attribuait, comme une victoire personnelle, le taux d'abstention (45%), via Twitter. Foin de la mauvaise foi !

Face à cette situation de blocage, l'alternative pour la présidente en exercice était simple : ne rien faire, c'était plier et donner raison à celui qui était encore président d'honneur, en risquant de fournir des arguments à ses adversaires politiques; poursuivre le combat, selon des procédures internes, c'était montrer à la troupe de quel côté se trouve l'autorité, en coupant l'herbe sous le pied de ses détracteurs. Entre les deux options, elle n'a pas hésité à choisir celle qui lui permet, en prime, de réactiver son opération "dédiabolisation".

Frapper fort avant les élections régionales

Battant le fer tant qu'il est chaud, Marine Le Pen a décidé de convoquer son père, le 20 août, devant le "conseil de discipline" du parti qu'elle préside. La lettre, très formelle, qu'elle a signée, le 4 août, ressemble à la convocation administrative d'un élève indiscipliné en vue de son exclusion : 15 griefs, présentés comme des "fautes graves", sont relevés contre lui.

Le site l'Opinion a publié cette missive. On y trouve, en premier lieu, la réitération de ses propos sur les chambres à gaz, "détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale" - une abjection antisémite condamnée plusieurs fois que Le Pen père ressort régulièrement depuis près de 30 ans -, sa tendresse non dissimulée pour Philippe Pétain, ses propos homophobes généraux et plus particuliers concernant, Florian Philippot, vice-président du parti, ainsi que des déclarations peu amènes sur sa fille dont il a "honte" qu'elle porte son nom et sur sa petite-fille qui n'a "ni l'expérience ni le gabarit" pour diriger une région...

En privilégiant la vitesse pour frapper fort, la "patronne" du FN souhaite éteindre au plus vite un feu qui couve... dans les médias. Elle a hâte de mettre un terme à la dispute familiale qui risque de polluer la campagne des élections régionales de décembre. Elle ne veut pas laisser s'insinuer dans l'esprit des militants qu'il pourrait y avoir plusieurs listes "Front national" concurrentes aux régionales, notamment en Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), s'il prend l'envie à son père de s'y engager contre Marion Le Pen. C'est moins pour le résultat que pour la mauvaise image de l'extrême droite qu'elle craint une telle hypothèse.

Faire basculer les "indécis" vers l'extrême droite

Et au-delà de cette donnée immédiate, Le Pen fille a saisi que son père peut devenir son meilleur agent dans l'entreprise de "dédiabolisation" qu'elle poursuit avec obstination depuis plusieurs années. Elle peut lui faire jouer, à bon compte, un rôle de repoussoir. Sans changer une virgule du programme du Front national, elle trouve là le moyen de donner une façade présentable à sa formation, en rompant définitivement avec le "Menhir". Cela implique, bien sûr, - pour donner un semblant de crédibilité à l'opération - de procéder à l'exclusion du cofondateur du FN.

L'enjeu est de taille car il vise ni plus ni moins que la "séduction" d'une partie de l'électorat de droite, celle qui flirte par les mots avec le parti d'extrême droite, sans encore passer à l'acte du vote. il s'agit de cette frange d'électeurs considérant que le Front national expurgé de son fondateur serait plus présentable et qui, dans son esprit, serait alors tout à fait fréquentable. C'est justement ce point de rupture que Marine Le Pen recherche en permanence, en espérant faire basculer de son côté de nouvelles fractions des soutiens de la droite. A ce petit jeu de vases communiquants, son père est son allié objectif. Même involontairement.

Sur la droite de l'échiquier politique, Nicolas Sarkozy a parfaitement compris ce qui est en train de se jouer. C'est pourquoi il a engagé une  double contre-offensive. Dans un entretien au très droitier hebdomadaire Valeurs actuelles, il appuie là où ça fait mal au Front national - la "guerre familiale" - et il invite les électeurs de droite à "ne pas poursuivre la politique du pire", celle conduite, selon lui, par François Hollande, en se laissant tenter par un vote "mariniste". C'est dans cette bataille pour la conquête des "indécis de droite" que va se jouer, pour partie, la prochaine élection présidentielle.

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu