Le Pen ne veut pas donner "son Front national" en héritage à sa fille

Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine, le 13 juin 2012, au Parlement européen, à Strasbourg. (FREDERICK FLORIN / AFP)

Les choses se passent probablement très exactement comme Jean-Marie Le Pen les avaient imaginées. Il savait bien qu'un jour, ça tournerait au vinaigre entre lui et sa fille. Il a donc planifié son coup, en faisant monter la crise crescendo. Comme à son habitude.

Peu importe de savoir si c'est un journaliste qui lui a apporté les munitions sur un plateau pour la première salve. Sur BFM-TV, le 2 avril, il est "invité" à réitérer ses propos abjects qui avaient fait scandale, 28 ans avant sur RTL, au sujet des chambres à gaz, "détail" de l'histoire de la seconde guerre mondiale.

Au-delà de l'antisémitisme qu'il véhicule en sous-texte, ce mot terrible est une manière de clin d'œil aux négationnistes de la Shoah. Pour ce mot, Le Pen a été condamné à plusieurs reprises. Qui pouvait croire sérieusement qu'à bientôt 87 ans, il allait renoncer à ce terme alors qu'il fait partie de son fonds de commerce.

La "dédiabolisation" porte plus sur la forme que sur le fond

Comme il s'est déjà adonné à ce qu'il pense être un "comique de répétition", il sait alors que la réaction de sa fille ne va pas tarder. Il le sait d'autant mieux que six ans avant, presque jour pour jour, elle a déjà dit qu'elle ne partageait pas cette vision de l'histoire. Elle était alors vice-présidente du FN et le président en exercice, son père, venait de ressortir le "détail" devant le Parlement européen.

Mais la différence avec 2009, c'est qu'aujourd'hui la fille a remplacé le père aux commandes du parti et que depuis son accession au pouvoir elle a entrepris une pseudo-opération de dédiabolisation. Celle-ci porte essentiellement sur la forme - les formules et les postures de son père - et non pas sur le fond, car le programme du Front national n'a pas varié d'un iota.

A l'évidence, les saillies répétées du père entravent la stratégie de la fille. Mais, paradoxalement, elles servent aussi la nouvelle patronne du parti d'extrême droite qui se voit fournir, à peu de frais et à domicile, du carburant pour sa dédiabolisation. Sans forcer son talent, elle montre à un électorat flottant qu'avec "Marine", ce n'est plus la même musique qu'avec "Jean-Marie". Il y a moins de grosse caisse !

Ces mots ont le fumet des écrits de Drumont ou de Maurras

Ayant été une nouvelle fois désavoué par sa fille, Le Pen en remet donc une seconde couche, dans le genre "elle va voir de quel bois je me chauffe". Et pour sa seconde salve, il choisit de s'exprimer dans Rivarol, une feuille qui ne dédaigne ni le pétainisme ni l'antisémitisme, les deux marottes du désormais président d'honneur du FN.

Il y renouvelle sa flamme pour Pétain, le chef de "l'Etat français" qui fut l'architecte et le chantre de la collaboration avec le régime nazi. Le Pen père, lui, ne l'a jamais considéré comme "un traître", et il estime qu'on a été "très sévère avec lui à la Libération".

Et, pour ne pas être en reste, il s'en prend aux origines du Premier ministre naturalisé français à l'âge de 20 ans : "Quel est l'attachement réel de Valls à la France ? Cet immigré a-t-il changé du tout au tout ?" Ces mots ont le fumet des écrits de Drumont ou de Maurras et des propos de Poujade sur Mendès France. En clair, le rejet de l'autre que l'extrême droite française a produit depuis plus d'un siècle.

Le père a façonné le parti d'extrême droite à son image

Avec ce second acte, Le Pen a atteint l'objectif qu'il s'était fixé : le point de rupture. Une rupture toute théorique car il sait que, même empêché par sa fille de se présenter comme tête de liste du FN en Provence-Alpes-Côte d'Azur aux régionales en décembre, elle ne pourra pas le démettre de sa fonction de "président d'honneur" du parti. Sauf à l'en exclure ou à s'arranger avec les statuts.

Le Pen père est dans la situation de l'enfant qui ne veut pas céder son jouet intact et préfère le casser plutôt que de le voir tomber dans d'autres mains. Il considère qu'il a façonné le Front national : même s'il n'en est pas formellement le fondateur, c'est lui qui a rassemblé, au fil de quatre décennies, les chapelles d'extrême droite ou qui a éliminé les plus encombrantes. En somme, il a fait le FN à son image.

C'est bien là le problème de sa fille. Si nombre des cadres et les jeunes du parti sont derrière elle, ce qui reste de la vieille garde et une partie non négligeable de l'électorat n'ont d'yeux que pour son père. Il n'est pas tout à fait indifférent que, dans cette querelle de famille, Gollnisch, opposant déterminé ou ennemi juré de la présidente, se soit immédiatement rangé aux côtés du fauteur de troubles. Depuis plus d'un an, le rival malheureux de Marine Le Pen dit qu'il "peut faire équipe" avec son père dans le Sud ! Comme s'il savait...

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu