Sarkozy peut-il, sans dommages, courir deux lièvres à la fois ?

(PASCALE BOUDEVILLE / FRANCETVINFO)

Pas sûr que les Français s'y retrouvent ! Pas sûr non plus que Nicolas Sarkozy y gagne en lisibilité. Bernadette Chirac, l'une de ses plus ferventes supportrices, l'avait pourtant prévenu, en laissant tomber l'un de ses oracles : "Je ne souhaite pas qu'il prenne la tête de l'UMP, avait-elle dit, le 12 septembre à Nice. Ça brouillera les idées de Français. Ça ne le grandira pas. Tout le monde sait qui il est, tout le monde sait ce qu'il veut faire de la France moderne".

Fine mouche, l'ancienne "première dame" lui déconseillait "de se présenter à la présidence de l'UMP pour mieux se consacrer à la présidentielle de 2017". Elle arguait du fait que la présidence d'un parti n'était "plus de son niveau". En clair, s'occuper de la cuisine interne risquait de contrarier son "destin" d'homme d'Etat. Sarkozy n'a pas suivi le conseil de Bernadette et il s'est lancé, à grands coups de roulements de tambour, dans la course pour prendre la tête du parti.

Le problème est qu'il court deux lièvres à la fois - la présidence de l'UMP ainsi que la primaire élyséenne - et qu'il doit donc batailler sur deux fronts. Mais chacun peut noter qu'il privilégie largement, sur le plan médiatique et peut-être à son corps défendant, le second combat par rapport au premier. Et cela le conduit à inverser l'ordre des facteurs. Cet enrayement de la mécanique vient à la fois d'une sur-estimation et d'une sous-estimation de la part de l'ancien président de la République.

Son retour n'a pas provoqué de "big bang"

Sarkozy a sur-estimé l'effet de son retour et il a sous-estimé la capacité de réponse des ses deux principaux contradicteurs dans la course de 2017 : Alain Juppé et François Fillon. Il pensait sans doute, et son entourage ne s'est pas privé de le distiller au cours des dernières semaines, que son entrée en scène officielle allait provoquer un "big bang". On parlait même d'un "tsunami" qui allait tout balayer sur son passage et rendre inaudible Juppé et Fillon. Las, les bougres font mieux que résister : ils lui tiennent tête et le mettent en difficulté.

Le résultat de cette double erreur d'analyse est que la marche triomphale de son retour sous les acclamations d'un peuple de droite esbaudi ne se transforme pas encore en chemin de croix mais il prend l'aspect d'une procession poussive et sans élan. On ne sent pas "monter la vague", pour reprendre un slogan de la campagne de 2012 qui se prétendait prémonitoire. La logique voulait, qu'emportant tout sur son passage, la conquête de l'UMP devenait une formalité qui le dispensait de croiser le fer avec ses concurrents : Bruno Le Maire et Hervé Mariton. La donne va-t-elle changer ?

Face à cette entrée en matière contrariée qui n'était certainement pas prévue par l'état-major sarkozyste, le double candidat va être contraint de réorienter sa trajectoire. La raison en est simple : le ratage du début de cette campagne entièrement dirigée vers l'électorat de droite va provoquer des interrogations jusque dans les rangs de l'UMP dont les militants sont incontestablement acquis à Sarkozy dans une écrasante proportion. Jusqu'ici ! On peut aisément imaginer que ses deux challengers, compte tenu de cette situation imprévue, ne vont pas lâcher le morceau.

Le Maire et Mariton le coincent dans un étau

D'un côté, Le Maire joue la carte du dynamisme, de la transparence et du renouvellement : une sorte de sarkozysme des années 1990... moderne mais apaisé. De l'autre, Mariton s'appuie sur l'aile la plus conservatrice de l'UMP, celle qui ne veut toujours pas entendre parler du "mariage pour tous" et qui défile avec "la Manif pour tous". De sorte que Sarkozy est coincé dans un étau dont les mâchoires n'ont évidemment pas la même force. Le premier symbolise plus la relève que le second qui, lui-même, peut surfer sur une radicalisation de la droite.

Même si la victoire de Sarkozy pour la présidence de l'UMP ne fait pas de doute - le contraire provoquerait un cataclysme qui ruinerait la suite du scénario -, l'enjeu porte essentiellement, pour ne pas dire seulement, sur l'ampleur de celle-ci. Le 29 novembre, date de l'élection, l'ancien chef de l'Etat ne retrouvera probablement pas le score de maréchal soviétique qui l'avait porté à la tête de l'UMP, le 28 novembre 2004. Ce jour là, il avait obtenu 85,09% des voix des militants contre 9,10% à Nicolas Dupont-Aignan et 5,82% à Christine Boutin... qui, tous les deux, ont quitté le parti pour créer le leur.

Victoire médiocre, victoire sans appel ? Où fixer l'étiage ? Au-dessus de 75%, Sarkozy verrait à nouveau la voie se dégager devant lui. Il pourrait s'appuyer sur une force militante en état de marche et peu encline aux interrogations existentielles. Ce serait un avantage indéniable face à Juppé et Fillon. Nettement en dessous de 75%, sa position serait plus fragile et la force de l'opposition interne accroîtrait la vigueur de ses deux "adversaires" qui réfutent en choeur cette appellation. Inutile de préciser que tous les opposants internes à Sarkozy se placent plutôt dans cette seconde hypothèse.

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu