Montebourg serait-il aussi mauvais stratège que piètre tacticien ?

Arnaud Montebourg, dans la cour de l'Elysée, quand il était ministre. (MAXPPP)

Il est comme ça, Arnaud Montebourg ! Provocateur, arrogant, hautain, condescendant, prétentieux, suffisant... Tous les adjectifs désobligeants lui vont comme un gant tant il donne l'impression de prendre ses interlocuteurs pour des demi-demeurés. Irait-il jusqu'à allier le mépris au sexisme ? Si c'est le cas, cet harmonieux mariage lui a valu une volée de bois vert sur Twitter, le 28 août, à la suite de la diffusion d'un portrait de lui dans l'émission "Envoyé spécial" sur France 2.

Au détour du reportage, l'ex-ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique - qu'il est encore au moment de l'entretien -, irrité par une question de la journaliste qui l'interroge, se tourne vers le caméraman et lui lance : "elle est toujours comme ça, la petite". Sur son blog de Francetv info "dédié à l'égalité femmes/hommes", Marie Donzel, écrit qu'il s'agit là d'un "monument de misogynie made in rance". C'est comme pour les si jolies pivoines de son jardin morvandiau, Montebourg récolte ce qu'il a semé.

D'une manière générale, l'ancien président du conseil général de Saône-et-Loire (où il siège toujours comme conseiller du canton de Montret) donne de lui l'image publique d'un homme pétri de convictions qu'il décèle rarement chez les autres, conscient de sa valeur qu'il n'estime pas mince, sûr de son avenir qu'il voit présidentiel. Ceux qui l'ont côtoyé à Sciences Po ou à la conférence du stage des apprentis avocats sont globalement d'accord sur un point : Montebourg joue "perso" et pas collectif.

"Sans moi, il ne serait pas là où il est"...

Au moment où se tient l'université d'été du PS à La Rochelle, quelques jours après la démission du gouvernement Valls et l'éviction du champion du "Made in France", un retour sur expérience s'impose à propos du parcours de Montebourg depuis la primaire présidentielle socialiste en 2011 jusqu'à la rentrée 2014. Il n'est peut-être pas inutile de se pencher sur l'enchainement de ses choix au cours de ces trois années qui, au final, se traduisent pour lui par un échec.

"Il me paraît de l'ordre des qualités demandées à un dirigeant politique de ne pas se dérober", déclare-t-il à deux jours du second tour de la primaire PS. Jusqu'au dernier moment, Montebourg, qui est arrivé en troisième position avec 17,19% des voix derrière Hollande (39,17%) et Aubry (30,42%), a laissé planer le doute avant d'annoncer son soutien à celui qui est arrivé en tête. Il choisit sa formule : il ne donne pas de consigne de vote mais il indique qu'il se prononcera pour Hollande "à titre exclusivement personnel".

Une fois encore, le "perso" plutôt que le collectif. Le résultat du second tour, du reste, ne corrobore pas tout à fait son affirmation d'aujourd'hui selon laquelle "François Hollande, sans moi, il ne serait pas là où il est". Un examen des scores de cette joute ultime entre Hollande et Aubry montre, à peu près mécaniquement, que l'écrasante majorité des électeurs montebourgeois du premier tour s'est reportée sur Aubry plutôt que sur Hollande : c'était "peut-être" le but de ce désistement ambigu.

Mais son électorat a massivement voté Aubry...

La maire de Lille, en effet, était passée de 806.168 à 1.233.899 voix, et l'ancien premier secrétaire du PS, de 1.038.188 à 1.607.268 voix. Or, Montebourg avait totalisé 455.601 suffrages au premier tour et l'ensemble des autres candidats qui appelaient à voter Hollande  - Ségolène Royal (184.091 voix, 6,95%), Manuel Valls (149.103 voix, 5,63%) et Jean-Michel Baylet (PRG, 17.055 voix, 0,64%) - en avaient recueilli 350.249.

Sauf à imaginer que les 190.961 suffrages exprimés supplémentaires enregistrés entre le premier et le second tour s'étaient tournés, en totalité, sur Aubry, force est de constater que l'électorat de Montebourg s'était massivement reporté sur Aubry. Donc, mathématiquement, ce n'est pas grâce à lui que Hollande est "là ou il est"... c'est-à-dire au poste de président de la République qui relève quand même du vote des Français. On n'ose imaginer que le "là où il est" de Montebourg évoque une autre hypothèse que celle-là !

Erroné sur le plan arithmétique, le calcul tactique de Montebourg a aussi mis en évidence un choix politique stratégique qui ne s'est pas révélé payant. Situé sur la gauche de Hollande, il a pourtant fait le pari d'une alliance avec la social-démocratie que le futur chef de l'Etat n'incarnait pas si ouvertement qu'aujourd'hui, avec le renfort de Valls. Le calcul était simple : une telle option lui donnait beaucoup plus de latitude pour marquer sa différence qu'un rapprochement avec Aubry qui l'aurait phagocyté. Et ça a marché avec Ayrault à Matignon.

Il va retrouver la maire de Lille sur sa route

C'est après que la mécanique s'est détraquée. Autant le premier chef du gouvernement de Hollande - par choix ou parce que cela lui était imposé par l'Elysée ? - a laissé la bride sur le cou à Montebourg, qui confondait les débats au sein du Bureau national du PS avec ceux à l'intérieur du gouvernement, autant Valls n'a pas toléré cette dérive. Le ministre-provocateur a fait une erreur d'analyse en pensant qu'il pourrait continuer à pratiquer ce dedans-dehors personnel. Dès lors, sa stratégie allait dans le mur.

Exfiltré du gouvernement, il ne siègera pas à l'Assemblée nationale puisqu'il ne dispose plus que de son mandat de conseiller départemental (ex-général). Il a indiqué ne pas vouloir en briguer un autre, par exemple celui de député. Ce n'est donc pas dans l'hémicycle qu'il va pouvoir poursuivre son combat de la différence. Et s'il doit prendre la tête des "frondeurs" du PS, ce ne sera pas à leur côté sur les bancs de l'Assemblée, là où on peut se compter. Et peser véritablement.

Mais dans ce nouveau chemin qui s'ouvre éventuellement pour lui, Montebourg va retrouver sur sa route celle pour laquelle il n'avait pas opté, en 2011, lors de la primaire : Martine Aubry. Et même si beaucoup de choses se pardonnent en politique, il y en a aussi beaucoup qui ne s'oublient pas. Surtout quand les acteurs se trouvent en situation de faiblesse pour avoir préféré leur avenir personnel à une ambition collective. Faute de tactique et de stratégie efficaces et gagnantes, Montebourg risque bien d'aboutir à un résultat à somme nulle.

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu