Et voilà pourquoi Jean-Marie et Marine Le Pen sont politiquement inséparables

Marine et Jean-Marie Le Pen, le 20 mai 2014, à Marseille (Bouches-du-Rhône). (FRANCK PENNANT / AFP)

Une fois de plus, Jean-Marie Le Pen fait la une ! Fidèle à lui-même, le président d'honneur du Front national a utilisé un terme - le mot "fournée" - dont il savait fort bien, dans le contexte de son utilisation, qu'il allait soulever une polémique. Parlant des artistes qui s'opposent au parti d'extrême droite, et plus particulièrement du chanteur Patrick Bruel, il a indiqué : "on en fera une fournée la prochaine fois".

Le jour même des commémorations du 70e anniversaire du Débarquement, il répondait ainsi à la jeune femme qui lui sert de faire-valoir dans son "Journal de bord" diffusé toute les semaines par le FN. Cette vidéo a été retirée du site du parti après que le Lab d'Europe 1 en eût pointé le contenu. La mine réjouie des deux protagonistes laisse à penser que le mot n'a pas été choisi au hasard par Le Pen père et qu'il se doutait un peu de l'effet que sa nouvelle provocation allait produire.

Mais imaginait-il qu'une volée de bois vert allait venir de son camps ? N'avait-il pas dit, à la fin mai, à propos de surpopulation mondiale et d'immigration, que "Monseigneur Ebola [nom d'un virus mortel qui sévit en Afrique] peut régler ça en trois mois" sans provoquer de réactions hostiles au Front national ? Sa fille l'avait même protégé, assurant, contre toute évidence, qu'il ne faisait pas allusion à l'immigration africaine. Cette fois-ci, le premier à réagir a été le vice-président du FN, Louis Aliot.

Le compagnon de Marine Le Pen, qui est aussi le n°2 du parti, s'est dit consterné par le propos du président d'honneur qu'il a considéré "stupide politiquement". Puis l'avocat Gilbert Collard, compagnon de route du FN et député (non inscrit) du Gard, a conseillé à Le Pen père de "prendre sa retraite", en exprimant son raz-le-bol devant ses saillies répétées. Enfin, la propre fille du chef historique de l'extrême droite reprochait à son père de "ne pas avoir anticipé l'interprétation qui serait faite de cette formulation", en confiant au Figaro, que ce manque d'anticipation était "une faute politique".

Une explication pour le moins emberlificotée

On l'aura compris, puisqu'il faut entrer dans les arcanes de la "lepenologie", Le Pen fille ne condamne pas du tout le fond du propos de Le Pen père car elle n'y voit aucun relent antisémite - elle précise bien qu'il s'agit d'une "interprétation malveillante" -, mais elle s'émeut de l'absence de lucidité de son père qui aurait bien dû prévoir que le mot allait faire polémique.

L'explication de la présidente du Front national est pour le moins emberlificotée. Car si elle admet, explicitement, que le mot "fournée" risquait de faire polémique, c'est qu'elle reconnaît, implicitement, qu'il avait dans ce contexte précis une charge spécifique qui n'est pas le produit d'une... "interprétation malveillante" !

A cette aune, son "rappel" de la condamnation de "toute forme d'antisémitisme, de quelque nature que ce soit", tombe singulièrement à plat. D'autant que son père ne l'aide pas beaucoup, en affirmant qu'il ignorait que Patrick Bruel est juif. Le Pen père est trop fin lecteur de la presse d'extrême droite, du journal Présent à l'hebdomadaire Minute, pour ignorer que cet artiste y est en permanence présenté sous son patronyme d'origine dont il a obtenu la modification par décret. Il le sait d'autant mieux que lui-même parlait du "chanteur Benguigui"... en 1995. Cet oubli serait-il à mettre uniquement sur le compte de l'âge ?

Marine Le Pen est contrainte à exercice complexe d'équilibriste car elle doit tenir les deux bouts d'une chaine qui va de la préservation des fondamentaux du Front national, dont son père est le garant et le porteur, jusqu'à la recherche de respectabilité internationale - notamment au Parlement européen -, dont elle se veut la championne.

Le duo constitue les deux faces d'une même pièce

Dans cette configuration, les sorties de route régulières et quasi irrépressibles de Jean-Marie Le Pen ne cadrent pas vraiment avec l'opération dite de "dédiabolisation" qu'elle mène depuis son accession à la présidence du parti en 2011. Une opération qui se fait surtout sur le plan médiatique. Quelques dérapages de la campagne des municipales témoignent d'une réalité légèrement différentes.

L'argument selon lequel le Front national ne peut pas se défaire de Le Pen père car il est "président d'honneur", un titre octroyé à vie, est évidemment de pure façade. Il est utilisé pour masquer l'indispensable fonction de "mauvais garçon" dévolue au père fondateur pour assurer le maintien de l'électorat historique d'extrême droite et de ses thèses dans le giron du Front national. Face à lui, la présidente actuelle joue le rôle de "bonne fille" censée débarrasser le parti de tous les oripeaux idéologiques, avec un réel succès électoral. Au bout du compte, le duo constitue les deux faces d'une même pièce.

Evidemment, les excès du père ne doivent pas ravir la fille. Mais Marine Le Pen sait fort bien qu'une rupture politique avec son père, si tant est qu'elle l'ait jamais envisagée, porterait un grave coup à son parti. Cette scission - imaginaire - ne serait pas aussi destructrice que le divorce Le Pen-Mégret de 1998 qui avait vu le délégué général emmener avec lui une grande partie des cadres de l'appareil. Mais l'aventure de son parti, le Mouvement national républicain (MNR), s'était révélé sans lendemain, comme pour mieux signifier qu'en France, l'extrême droite n'a qu'un seul label, le lepénisme version Le Pen père.

Et s'il en fallait une dernière preuve, il suffirait de consulter la liste des derniers communiqués diffusés sur le site du Front national. On y trouve bien celui de Jean-Marie Le Pen sur "la dénonciation médiatique" de ses "prétendus dérapages" qui "fait partie de l’arsenal de combat des ennemis du Front national", mais pas la moindre trace d'un communiqué de sa fille dénonçant une "faute politique". L'information officielle est assez claire, cadres et militants en ont certainement compris le sens. Le parti reste ferme sur ses fondamentaux. Et Le Pen père les a fort opportunément rappelés. De quoi faire tiquer quelques alliés déclarés ou potentiels du Front national au Parlement européen ?

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu