Se prétendant antisioniste, de quoi Dieudonné est-il vraiment le nom ?

"L'humoriste controversé" Dieudonné au tribunal de Paris, le 13 décembre 2013. (JOEL SAGET / AFP)

En ces "agapes" de fin d'année, un mot sera donc venu perturber la trêve des confiseurs. Ce mot, c'est "quenelle". Non pas celle qu'on trouve dans les assiettes - la quenelle de brochet, la quenelle lyonnaise ou encore celle de moelle - mais celle que sert Dieudonné, un "humoriste controversé", selon la formule consacrée, en guise de signe de ralliement de ses fans.

Le geste de la quenelle - un bras tendu vers le bas, la main de l'autre placée, au choix, au niveau du poignet, de la pliure du coude ou à l'épaule du premier - n'est pas tout à fait anodin. Selon les interprétations, c'est un salut nazi à l'envers ou un bras d'honneur signifiant vulgairement "je te le mets où tu penses". Dans un cas, on y décèle une connotation antisémite, et dans l'autre, il se présente comme un geste vulgaire "anti-système".

Bien évidemment, "l'humoriste controversé" privilégie exclusivement la seconde interprétation. Mais il se trouve sa carrière, hors son théâtre parisien, se déroule aussi, pour beaucoup, dans les prétoires depuis le début des années 2000. Et s'il a bénéficié de pas mal de relaxes jusqu'au milieu de la décennie, la justice s'est montrée beaucoup moins indulgente depuis 2007. Dieudonné collectionne maintenant les condamnations.

Un intérêt obsessionnel pour les juifs

Toutes portent le même label : injures racistes. Car il se trouve que notre homme a quelques difficultés à contenir ses débordements antisémites. Ici, il assimile les juifs à "une secte" et à "une escroquerie" (Cour de cassation), là, il les compare à des "négriers" (cour d'appel de Paris), ailleurs, il raille la Shoah présentée comme une "pornographie mémorielle" (appel, Paris).

Il est condamné aussi pour des propos racistes tenus lors de la remise d'un prix de "l'infréquentabilité" à un célèbre négationniste (pourvoi en cassation rejeté) ou pour "diffamation, injure et provocation à la haine raciale" après avoir transformé la chanson d'Annie Cordy "Chaud Cacao" en "Shoah nanas". Serait-ce peu dire qu'il marque un intérêt obsessionnel pour les juifs ?

Pour tenter d'éviter les poursuites judiciaires pour "antisémitisme" - le racisme n'est pas une opinion mais un délit - , Dieudonné a effectué un virage lexical en se revendiquant "antisioniste. Comme le rappelait le site Slate.fr en 2009, il théorise ce changement de pied : "Je ne prononce pas le mot juif. Après mes différents procès, j'ai compris qu'il pouvait y avoir interprétation sur ce mot alors que sur sioniste, il n'y a pas d'interprétation possible."

Le sionisme est une idéologie politique. Elle prône le retour des juifs sur la terre d'Israël. Par extension, le sionisme est assimilé aujourd'hui par ses détracteurs à la politique des gouvernements israéliens, répressive à l'égard des Palestiniens. L'antisionisme se cantonnerait donc dans l'unique dénonciation de la politique d'un Etat. En France, il se situe surtout à l'extrême gauche de l'échiquier. Et l'extrême droite l'a récupéré par la bande.

Deux maquillages valent mieux qu'un seul

C'est précisément dans un croisement de l'antisémitisme et de l'antisionisme que se situe le subterfuge de Dieudonné. Jouant sur une ambiguité - elle est aussi utilisée par d'autres que lui ! -, il tente de noyer l'un dans l'autre... comme il l'a si bien expliqué lui même à propos des mots "juif" et "sioniste". L'antisionisme qu'il dit défendre n'est donc, en réalité, qu'un antisémitisme recyclée.

Comment interpréter autrement son regret à peine caché des chambres à gaz, proféré dans un sketch odieux contre le journaliste Patrick Cohen de France Inter devant un public hilare, mis au jour par France 2. Comme l'a remarqué le sénateur (UMP) Roger Karoutchi, lundi 30 décembre sur France Info, "je n'ai pas souvenir que "chambres à gaz" soit antisioniste. C'est de l'antisémitisme primaire et au-delà".

Et comme pour plus de sécurité deux maquillages valent mieux qu'un seul, Dieudonné présente sa quenelle comme un geste "anti-système" qui n'aurait rien à voir avec un salut nazi donc antisémite. Mais là aussi, "l'humoriste controversé" se prend les pieds dans sa propre rhétorique. Car, le fameux système qu'il dénonce n'est-il pas aux mains d'un "lobby tout puissant" ou sous la coupe "des juifs", comme il ne se lasse pas de le laisser entendre en boucle ?

Qu'on le prenne dans une acception ou dans l'autre - salut nazi inversé ou geste anti-système -, la quenelle de Dieudonné reste ce qu'elle est : une manifestation antisémite. Et même s'ils ne s'en rendent pas bien compte ou font semblant de l'ignorer, ses adeptes qui pratiquent ce sinistre jeu devant des symboles juifs et des monuments érigés à la mémoire des victimes de l'Holocauste ou - sommet de l'ignominie - devant l'école juive de Toulouse, lieu des assassinats perpétrés par Mohamed Merah, se rendent coupables du même méfait. Qu'ils soient célèbres ou non !

Les négationnistes estiment leur heure venue

Dans ce contexte délétère, le ministre de l'intérieur a décidé de contre-attaquer en menaçant "l'humoriste" de faire interdire ses spectacles pour "atteinte à l'ordre public". Manuels Valls a reçu notamment le soutien affiché du président de la République et de Jean-François Copé, alors que des commentateurs et des personnalités du monde judiciaire s'inquiètent d'une éventuelle atteinte à la liberté d'expression.

Dans un autre registre, Danielle Bleitrach, sociologue communiste qui fut membre de la direction du PCF qu'elle a quitté en 2003, lance un appel sur son blog à ses amis "bien silencieux". Antisionistes comme elle, ils apportent indirectement, selon elle, une caution aux tenants d'un antisémitisme camouflé en ne prenant pas ouvertement leurs distances avec les négationnistes au rang desquels elle range Dieudonné.

Ce flot continue de gestes et de propos antisémites interroge la société française. Quels symptômes mettent-ils en évidence ? Alors que le souvenir de l'extermination de masse de la Seconde Guerre mondiale s'estompe année après année, les amateurs de complots et les négationnistes de l'Histoire estiment sans doute leur heure venue. Le mal être et la radicalisation politique constituent-ils un terreau propice à leurs menées ? Ils doivent certainement le penser.

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu