Nicolas Sarkozy a raison : la situation qu'il crée est "inédite" sous la Ve République

Nicolas Sarkozy, le 10 avril 2012 sur le plateau de Canal+. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Nicolas Sarkozy a raison ! Après le rejet de son compte de campagne pour la présidentielle de 2012 par le Conseil constitutionnel, l'ancien président de la République a posté un message sur son compte Facebook pour évoquer la "situation inédite" ainsi créée par les "Sages" de la rue Montpensier.

La "situation inédite" dont parle Sarkozy est celle qui prive "le premier parti d’opposition de France" du remboursement public d'un montant de 11 millions d'euros, soit 47,5% des dépenses engagées. Cette décision, selon l'ancien chef de l'État, "met en péril la formation - il s'agit de l'UMP, non citée - qui doit préparer l’alternance tellement nécessaire au socialisme".

S'il a mille fois raison d'utiliser l'expression "situation inédite", il a mille fois tort sur le contenu qu'il donne à cette "situation inédite". D'abord dans l'ordre des priorités.

Avant de frapper financièrement l'UMP par un lourd dégât collatéral, le Conseil constitutionnel a d'abord sanctionné - et pour la première fois de l'histoire de la Ve République ! - un président sortant qui n'a pas respecté le plafond de financement de sa campagne pour renouveler son bail à l'Élysée.

C'est ça, le premier caractère inédit. Dans le passé, les "Sages" avaient déjà invalidé le compte de campagne présidentielle de candidats, disons "marginaux", comme Cheminade et Mégret, mais jamais celui d'un candidat majeur, présent au second tour du scrutin.

Le marchandage sur le remboursement n'est pas prévu

Confrontés à cette "situation inédite", les neuf membres du Conseil - aucun des trois anciens président de la République qui siègent de droit, à vie, n'était présent - ont appliqué la règle du non-remboursement dans toute sa rigueur.

Ils n'ont pas mis en œuvre "un principe nouveau", comme l'écrit Sarkozy, voulant probablement sous-entendre qu'ils auraient modifié un principe ancien, spécialement pour lui, mais ils ont tout simplement tiré la conclusion logique du non-respect du plafond.

L'ancien président et l'UMP évoquent un dépassement de "400.000 euros, soit 2,1% du compte de campagne", en omettant de préciser que ce compte a subi un redressement de 1.669.930 euros, soit 7,8% des dépenses déclarées", comme le souligne un communiqué du Conseil constitutionnel.

La loi contient les dépenses dans certaines limites et elle lie le remboursement forfaitaire au respect de ce plafond. La loi n'a pas prévu de marchandage sur le montant du remboursement, en fonction de l'ampleur du dépassement.

C'est précisément la notion, tout à fait nouvelle pour le coup, que Sarkozy tente d'introduire sur Facebook, en notant que pour un dépassement "contesté" de 2,1% du compte de campagne - entendez une faute marginale -, "s’applique une sanction de 100%" - lisez une peine maximale !

Les "Sages" placés dans une situation embarrassante

Un autre aspect inédit de cette histoire, c'est qu'un membre - qui plus est ancien président de la République - d'une institution chargée de statuer sur une affaire le concernant semble avoir la prétention de vouloir fixer à celle-ci les règles qui lui seraient applicables dans le cas d'espèce.

D'aucuns pourraient interpréter cette façon d'aborder la question comme une remise en cause, en creux, du bien fondé de la décision du Conseil constitutionnel.

Et au-dessus de tous ces inédits, la "situation inédite" principale est sans doute celle que Sarkozy, lui-même, crée au sein du Conseil et la situation embarrassante dans laquelle il met les autres "Sages", au premier rang desquels le président de l'institution, Jean-Louis Debré.

En effet, dans la foulée de la décision du Conseil, jeudi 4 juillet, l'ancien chef de l'État a annoncé sa démission "immédiate" de l'institution "afin, disait-il, de retrouver sa liberté de parole". Ce contre-feu foudroyant ouvre une brèche et il soulève plusieurs questions institutionnelles et politiques.

Il ouvre une brèche dans un demi-siècle de fonctionnement de l'institution dont les pères fondateurs n'avaient pas prévu, à l'origine, ce genre de "situation inédite".

Privé d'indemnité pendant sa suspension volontaire

Un membre de droit et à vie, comme l'est Sarkozy, peut-il vraiment donner sa démission du Conseil ? Selon certains constitutionnalistes, il peut au mieux suspendre volontairement sa participation aux travaux de l'institution, ce qui a pour conséquence de suspendre aussi l'indemnité dont il bénéficie.

Celle-ci est fixée par l'article 6 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 disposant que "le président et les membres du Conseil constitutionnel reçoivent respectivement une indemnité égale aux traitements afférents aux deux catégories supérieures des emplois de l'État classés hors échelle".

D'autres spécialistes notent, cependant, que l'article 9 indique : "Un membre du Conseil constitutionnel peut démissionner par lettre adressée au Conseil". Si l'article évoque le remplacement du démissionnaire - impossible dans les cas d'un membre de droit -, il ne dit pas formellement qu'une telle démarche est interdite à un membre de droit.

Dans le cas précis, on peut supposer que Sarkozy n'a pas envoyé de lettre de démission au Conseil ou, qu'à tout le moins, aucune des deux parties ne l'a encore fait savoir... dans l'hypothèse où la missive aurait été expédiée.

Reste que "le Conseil constitutionnel constate, le cas échéant, la démission d'office de celui de ses membres qui aurait exercé une activité ou accepté une fonction ou un mandat électif incompatible avec sa qualité de membre du Conseil", dispose l'article 10 de la même ordonnance.

Les membres du Conseil constitutionnel s'interdisent...

En se prononçant sur Facebook pour "l’alternance tellement nécessaire au socialisme", en mettant implicitement en cause la décision du Conseil constitutionnel et en participant, lundi 8 juillet, à une réunion extraordinaire du bureau politique de l'UMP (comme ancien président de la République), Sarkozy se met-il dans une des situations abordées à l'article 10 ?

D'autant que le décret du 13 novembre 1959 stipule, dans son premier article, que "les membres du Conseil constitutionnel ont pour obligation générale de s'abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l"indépendance et la dignité de leurs fonctions".

L'article 2, quant à lui, est encore plus précis, en soulignant que "les membres du Conseil constitutionnel s'interdisent (...) de prendre aucune position publique ou de consulter sur des questions ayant fait ou étant susceptibles de faire l'objet de décisions de la part du Conseil".

A l'instar de l'article 10 de l'ordonnance, l'article 5 du décret laisse une marge de manœuvre incontestable à l'institution de la rue Montpensier puisque "le Conseil constitutionnel apprécie, le cas échéant, si l'un de ses membres a manqué aux obligations et particulières mentionnées aux articles 1 et 2".

Debré fils interprétera-t-il les textes de Debré père ?

A l'aune de ces deux textes fondateurs, il n'est pas certain que Sarkozy, "faux démissionnaire" du Conseil, ait retrouvé "la liberté de parole" dont il se prévaut depuis quelques jours. Et par la même, il empile les situations inédites sur les autres.

En l'absence de jurisprudence, il donne la possibilité aux "Sages" d'en créer une, sans être assuré qu'elle lui serait favorable.

Le fait que Debré fils, président du Conseil constitutionnel, soit en situation d'interpréter des textes cosignés par le général de Gaulle et Debré père, premier ministre en 1958-1959, n'est pas le moindre des paradoxes de cette "situation inédite".

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu