"Ça ne peut plus durer"

À l'usine, beaucoup savaient que Franck était musicien. Ils avaient déjà vu ses clips. Kash, de son nom d'artiste, avait même donné un concert, avec son groupe Tango et Kash, dans l'atelier montage. Alors, le 12 juillet 2012 lorsque la sentence est tombée : la fermeture de l'usine d'Aulnay. "Ils étaient tous tristes, rebellés, énervés" explique l'ouvrier rappeur " Ils m'ont, tout de suite, dit Kash est-ce que tu peux faire une musique, parlant de ce qui se passe aujourd'hui ? J'ai dit d'accord, je fais la musique mais à la rentrée vous vous devez tous être dans le clip". Pari tenu, six mois de travail acharné et exigeant avec deux autres complices, ouvriers eux aussi passionnés de Hip-hop et de vidéo, Sébastien et Régis. Et le 30 janvier,"Ça ne peut plus durer", le clip a été lancé sur internet.

Et ils sont fiers de ce clip. Fiers d'avoir montré le vrai visage des ouvriers d'Aulnay. Cinquante cinq salariés ont accepté de se faire filmer et de participer au tournage. Pour Franck, le plus important était de placer sous les projecteurs ceux qu'on ne voit jamais :  "Il fallait montrer qui sont les personnes de PSA, ceux qui vont se retrouver soit à la rue soit dans des plans de licenciements évasifs, cachés derrière des écrans de fumée. C'est eux qui vont subir tout ça, c'est eux qui ont mal. On les voient pas forcément devant les caméras des télévisions".

 "Il fallait pas me demander de mentir"

Franck est moniteur de ligne, sur la chaîne de montage. Il coordonne le travail de six ouvriers. La rancoeur, c'est le premier mot qui lui vient à la bouche. Il en veut à ces chefs qui lui ont demandé de mentir : "Pendant plus d'un an on m' a demandé de dire à mes opérateurs que ce n''était pas vrai, que ça n'allait pas fermer et qu'il fallait être optimiste, je me disais oui, c'est peut être qu'une mauvaise rumeur, ça ne va pas fermer" raconte Franck avant d'ajouter : "Eux, ils pouvaient continuer à nous mentir à tous mais fallait pas me demander à moi de dire ça aux ouvriers, alors j'ai pris mon stylo".

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Un sentiment de colère partagé par Sébastien et Régis. Sébastien, lui est électromécanicien dans cet atelier de maintenance, par dizaines s'entassent les riveteuses, les serreuses, les cercleuses, tous ces outils indispensables aux ouvriers sur la chaîne : "J'aurais beaucoup de mal à rester dans le groupe, on m'a menti. Un contrat ça se respecte quand on vous fout un coup de poignard dans le dos on n' y revient pas". La même  colère pour Régis,le maintenacier, lui, la nomme mépris . "Avoir un tel mépris, aucun humanisme, moi je trouve ça choquant si tout le monde commence à réagir comme ça, je sais pas dans quel monde on va se retrouver

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"Arrêtez de nous mettre tout ça sur le dos", le cri du coeur de Sébastien qui refuse de porter la responsabilité de la fermeture de leur usine : "Ce n'est pas de notre faute, ils disent qu'on coûte trop cher mais c'est pas vrai eux aussi ils ont fait des conneries". Ce clip c'est leur manière de réagir à Franck, Sébastien et Régis. Autrement qu'avec des piquets de grève même s'ils sont tous les trois grévistes. "Ceux qui s'engagent le plus, c'est ceux qui un jour ou l'autre sont touchés en plein vol", le mot de la fin pour Franck de plus en plus Kash.