La BD de la semaine : "Le Voyageur", un album qui sort des sentiers battus

Un homme, au bord de la route. Il est taciturne. Le teint grisâtre. Inexpressif. Le cheveux court, les yeux mi-clos. Il pleut des cordes, mais il ne cherche pas à s'abriter. "La pluie ne me dérange pas", explique-t-il à l'automobiliste qui le prend en stop. Un représentant qui vend des bibles, un VRP de Dieu de plus en plus intrigué par ce voyageur qui se soucie aussi peu de l'endroit où il va. Brusquement, il stoppe sa voiture, dégaine un revolver. "Êtes-vous envoyé par le diable ?" "Nul diable, je ne suis qu'homme." C'est un peu court pour l'irascible conducteur, qui tire trois balles à bout portant, et abandonne sa victime sans autre forme de procès. Quelques minutes passent, et le mystérieux voyageur se relève. Il referme son blouson de cuir pour masquer l'impact des balles. Et se remet sur le bord de la route le pouce levé.

Bienvenue dans l'univers du Voyageur, la dernière BD de Koren Shadmi.

1

Ça parle de quoi ?

Dans un futur proche, l'Amérique est en proie à une guerre civile et à des désastres écologiques majeurs. Indifférent au monde qui s'écroule autour de lui, le voyageur ne poursuit qu'un but : mourir. Cela fait trois siècles qu'il erre. On le découvre quand il rencontre des personnages hauts en couleur, des Indiens, un livreur désabusé, trois jeunes femmes se rendant à un festival décadent, une schizophrène. Le récit frôlait la perfection par ces saynètes qui ajoutaient des touches au portrait du héros. L'épilogue, qui apporte l'explication à l'immortalité du voyageur, constitue une cerise sur un excellent gâteau.

2

Pourquoi on adore ?

Comme avec une de ses précédentes BD, Abaddon, où il jetait son héros dans une colocation de fous, Koren Shadmi aime bousculer le lecteur. Qui ne sait rien au début de l'album. Qui voit s'enchaîner des chapitres dans le désordre, mais un désordre soigneusement agencé. Et tout s'éclaire lors du dernier chapitre de cet épais volume à la narration et au dessin légers. Certains y ont vu l'influence d'un David Lynch, d'autres, de Frédérik Peeters ou de Mathieu Bablet, on peut aussi y trouver des réminiscences du Daytripper des Brésiliens Moon et Bâ et un zeste d'absurde à la Marc-Antoine Mathieu. Autant de références prestigieuses que mérite un livre formidable, ni BD, ni comics, où même le traitement des couleurs, qui changent selon l'ambiance, mérite d'être souligné.

3

C'est pour vous si…

Si vous aimez les histoires qui donnent à réfléchir, si vous n'avez pas digéré la fin bancale de Lost et que depuis vous vous méfiez des scénaristes paresseux, si vous avez déjà fait du stop ou si vous avez déjà pris un auto-stoppeur sans lui coller trois balles dans le buffet.

 

Feuilletez des milliers de bandes dessinées gratuitement sur Sequencity

Le Voyageur de Koren Shadmi, éd. Ici Même, 176 p., 25 euros environ.