Voici les BD incontournables de la rentrée

La problématique est récurrente. Chaque année, à votre retour de vacances, vous errez, les pupilles dilatées, entre les étals chargés de votre librairie préférée, prenant une BD, puis une autre, sans pouvoir vous décider. Entre septembre et octobre 2015, 850 nouveautés ont ainsi complété une offre de bandes dessinées déjà dense. Chez Pop Up', on n'a pas la prétention de vous dire qu’on les a toutes lues, mais faites-nous confiance quand on vous dit que ces cinq-là sont à lire impérativement.

Si vous aimez les univers dystopiques : "Shangri-La" de Mathieu Bablet

D’ici quelques années, les hommes auront tellement bousillé la Terre qu’ils devront tous habiter dans des stations spatiales en orbite, passant leur misérable vie à vénérer, non plus un dieu, mais une multinationale qui régira intégralement leur existence. Tel est le postulat de départ de Shangri-La, l’éblouissant récit de science-fiction imaginé par Mathieu Bablet. Semblant avoir digéré tous les classiques du genre, le nouveau prodige de la BD française signe aux éditions Ankama un album envoûtant, à la croisée entre Interstellar et Le Meilleur des mondes.

Un récit dystopique aux relents tristement familiers qui nous absorbe dès les premières planches tant on est subjugué par leur beauté. Soutenu par un album à la finition très soignée (et à petit prix, c’est suffisamment rare pour être souligné), le dessin minutieux, ultra-détaillé et magnifiquement colorisé de Bablet nous hypnotise pour mieux nous immerger dans sa vision futuriste de notre humanité.

A défaut d’avoir un scénario très singulier, Shangri-La est une œuvre de plus de 200 pages d’une maturité graphique époustouflante qui transpire d’une humanité rare, surtout lorsqu’elle aborde des thèmes aussi durs que le totalitarisme, le consumérisme, le racisme et autres mots en -isme. Un chef-d’œuvre contemplatif qui vous incitera à vous plonger dans son précédent récit, Adrastée, une fable mythologique justement rééditée cette rentrée sous la forme d’une intégrale, toujours chez Ankama.

 

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Shangri-La de Mathieu Bablet, disponible depuis le 2 septembre sur le label label 619 aux éd. Ankama, 224 p., 19,90 euros.

Si vous aimez la géopolitique (mais que ce n’est pas réciproque) : "Kobane Calling" de Zerocalcare

Il faut se rendre à l’évidence, vous n’êtes pas certain d’avoir bien compris ce qu’il se passe aux confins de la Turquie, de la Syrie et de l'Irak. Encore moins ce qu'y font l'Etat islamique, le PKK et les YPG. Si vous séchez complètement et que la lecture du Monde diplomatique vous semble beaucoup trop fastidieuse, lisez Kobane Calling. Sorti au printemps dernier en Italie et propulsé immédiatement en tête du classement des ventes de livres (une première pour une BD dans le pays), ce roman graphique signé Zerocalcare, star de la BD italienne, devrait enfin imposer ce jeune auteur en France tout en contribuant à améliorer grandement vos connaissances en géopolitique.

Greffé à un groupe de militants aux ambitions humanitaires, Zerocalcare se rend dans le Rojava (le Kurdistan syrien), une zone autonome contrôlée par les milices kurdes et assiégée par l’Etat islamique. Dans cette bande de quelques kilomètres carrés, des hommes et des femmes tentent de fonder une société basée sur des principes d’égalité et de démocratie où sont expérimentées la cohabitation ethnique et religieuse et l’émancipation des femmes. Une véritable utopie dans cette région du globe plombée par les conflits.

Jusqu'ici plutôt habitué à disserter sur Rebibbia – son quartier de Rome devenu le point d'ancrage de ses aventures autobiographiques –, Michele Reich alias Zerocalcare adopte avec Kobane Calling une démarche journalistique. Cherchant à comprendre comme fonctionne le Rojava, il va enquêter, à sa manière, et avec ce ton si singulier qui caractérise ses précédents albums, pour vérifier que cette enclave idéalisée n'est pas "juste un grand bluff".

Avec beaucoup de pédagogie, de sincérité et un soupçon de naïveté, Zerocalcare rapporte de son premier voyage à la frontière turco-syrienne une quarantaine de pages qui seront publiées dans L'Internazionale (le Courrier International italien) en 2015. Il approfondira son expérience par un séjour au sein même du Rojava qui donnera naissance à ce carnet graphique de 288 pages, précieux témoignage sur une zone complexe où peu osent s’aventurer. Il y décrit son périple avec son regard de jeune trentenaire, ses rencontres avec des combattants engagés dans une lutte armée pour une vie meilleure. Le sujet est éminemment grave et complexe, mais le talent de Zerocalcare est de parvenir à nous le raconter avec suffisamment d’humour, de second degré et d'humanité. 

Découvrez les quarante premières pages de Kobane Calling sur le site du Monde.

Couv Kobane

Kobane Calling de Zerocalcare, disponible depuis le 7 septembre aux éd. Cambourakis, 288 p., environ 24 euros.

Si vous n’êtes pas claustrophobe : "S'enfuir - Récit d’un otage" de Guy Delisle

Un nouvel album de Guy Delisle est toujours un événement. Fauve d’or (prix du meilleur album) à Angoulême en 2012 pour ses Chroniques de Jérusalem, le Québécois est surtout connu pour ses récits autobiographiques dans lesquels il raconte ses expériences vécues dans divers endroits du globe (la Chine, la Birmanie ou la Corée du Nord). Mais avec S’enfuir - Récit d'un otage, c’est l’histoire d’un autre qu’il entreprend cette fois de raconter.

En mission depuis quelques mois dans le Caucase pour une ONG, Christophe André est enlevé dans la nuit du 1er au 2 juillet 1997. Faisant preuve d'optimisme pendant ses premières heures de captivité, il sombre petit à petit dans l'incompréhension, au fil des jours qui se succèdent. Attaché au radiateur d'une pièce vide par des ravisseurs avec lesquels il ne peut communiquer, ses longues journées se transforment en semaines, sans que rien ou presque ne se passe. C’est ce "presque" que raconte Delisle pendant plus de 400 pages. Un récit à base de bouillons de légumes et de bruits de clés. Mais surtout le récit de la détresse d’un homme, coupé du monde et livré à ses pensées les plus sombres.

Un travail d'écoute que Guy Delisle a débuté il y a quinze ans avec Christophe André pour aboutir à ce huis-clos oppressant où ne subsistent que des détails. S'enfuir - Récit d'un otage est un album conçu comme un thriller où l’on tremble à chaque page pour le héros et où l’on ne s’ennuie jamais, malgré la quasi absence d'événements notables. Un exercice de style remarquable et passionnant.

 

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S’enfuir - Récit d’un otage de Guy Delisle sera disponible le 16 septembre aux éd. Dargaud, 432 p., environ 27 euros.

Si vous aimez les fables décalées : "La Forêt des renards pendus" de Nicolas Dumontheuil

Vous en avez marre des séries télé scandinaves, avec leurs tonalités trop bleutées et leurs systématiques forêts de conifères filmées avec un drone ? Plongez-vous dans la lecture de La Forêt des renards pendus, l’adaptation en bande dessinée du roman éponyme du célèbre écrivain finlandais Arto Paasilinna. Vous y retrouverez la forêt, mais surtout l'humour qui manque cruellement aux productions télévisées. Car si La Forêt des renards pendus de Paasilinna était drôle, celle de Nicolas Dumontheuil l'est au moins autant. Le Français (prix du meilleur album à Angoulême en 1997 avec Qui a tué l'idiot ?) s'approprie avec talent l'humour noir et absurde de Paasilinna.

La Forêt des renards pendus commence comme un banal polar. Pour fuir un complice qu'il a arnaqué, Rafael Juntunen, un jeune escroc en cavale, s'enterre avec son butin au fin fond de la forêt finlandaise. Il est rapidement rejoint par Gabriel, un militaire alcoolique qui cherche à s'éloigner de sa femme, puis par Naska, une grand-mère lapone qui veut éviter la maison de retraite. Ces trois-là n'ont rien en commun mais vont pourtant cohabiter, rejoints par un renard, des prostituées suédoises et un garde-chasse. C'est complètement loufoque, cynique et tendre à la fois. Tout en bichromie sépia, les dessins au trait caricatural de Dumontheuil apportent au récit cette touche décalée qui fait de cette adaptation un petit bijou burlesque. De quoi changer radicalement d'avis sur la Scandinavie.

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La Forêt des renards pendus de Nicolas Dumontheuil est disponible depuis le 25 août aux éd. Futuropolis, 145 p., environ 21 euros.

Si vous aimez les femmes de caractère : "Culottées" de Pénélope Bagieu

Pénélope Bagieu a trouvé sa voie. Après l'excellent California Dreamin', qui dressait le touchant portrait de Mama Cass, l'exubérante chanteuse de The Mamas & The Papas, la jeune Française publie cet automne Culottées - Des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent. Un recueil de quelques-uns de ses portraits de femmes de caractère qu'elle publie depuis un an sur son blog. Un exercice de style qui s'attache à raconter en quelques planches (jamais plus de six) le destin extraordinaire de quinze de ces femmes. Qu'il s'agisse de Joséphine Baker, "danseuse, résistante, mère de famille", ou de Giorgina Reid, "gardienne de phare", Pénélope Bagieu brosse leurs portraits, souvent tragiques, avec l'humour qui la caractérise.

Avec ce premier volume de Culottées (un second est d'ores et déjà prévu à la rentrée prochaine), la jeune Parisienne s'inscrit plus que jamais parmi les auteurs de BD qui comptent. Grâce à son trait humoristique inimitable, cette ancienne blogueuse repérée grâce à des strips racontant son quotidien impose son style narratif, pas si éloigné de celui d'un Zerocalcare (voir plus haut). Le féminisme en plus.

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Culottées - Des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent de Pénélope Bagieu sera disponible chez Gallimard le 22 septembre, 144 p., environ 20 euros.