“Le Sculpteur” est-il un chef-d'œuvre de la bande dessinée ?

Comment se faire un nom lorsque l’on est un artiste (sans talent) que l’on confond en permanence avec son homonyme (le célèbre sculpteur américain David Smith) ? En pactisant avec le diable, pardi ! Voilà le pitch plutôt classique du Sculpteur, une œuvre colossale (496 pages) accouchée après cinq années de labeur par l’Américain Scott McCloud. Un pavé très attendu dans la mare aux bandes dessinées en raison de la renommée de son auteur. Peu prolifique, McCloud est un expert du 9e art qui théorise sur la BD depuis vingt ans. La sortie de sa première vraie œuvre de fiction cristallise donc tous les espoirs. Verdict.

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Oui, c’est un album parfait

Véritable roman graphique, Le Sculpteur est une réussite indéniable. Rythmé, fluide, il plonge le lecteur dans les tourments de David Smith, jeune sculpteur tombé dans l’oubli après son quart d’heure de célébrité. Au bord du gouffre, David accepte alors un deal faustien : un superpouvoir lui permettant de sculpter à mains nues pendant 200 jours (le temps nécessaire pour se faire un nom) en échange de sa vie (au terme de cette période). Mais rien ne va vraiment se dérouler comme prévu…

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“J'explique aux gens comment comprendre les comics, comment les écrire, alors oui, j'ai ressenti beaucoup de pression, mais c'était très bénéfique. J'ai été obligé de travailler très dur, parce qu'il aurait été assez gênant de louper mon coup”, explique McCloud sur le site ActuaLitté.

Pas d’inquiétude Scotty ! Le Sculpteur est parfait. Son storytelling didactique est porté par un dessin aux traits délicats, tout en bichromie noire et bleue, véritable exhausteur de l’état d’esprit dépressif de son héros. Sorte de Banksy de la sculpture (il passe ses nuits à modeler anonymement New York pour attirer l’attention), David Smith se heurte pourtant à sa propre médiocrité.

Plongé au cœur du milieu de l’art new-yorkais, Le Sculpteur n’épargne personne. Galeristes, mécènes, critiques, tout ce petit monde corrompu qui porte aux nues des artistes aussi vite qu’il les désavoue est épinglé. Qu’est-ce qui fait la valeur d’une œuvre ? Un artiste peut-il exister en tant qu’homme ? Malgré un certain classicisme dans la narration, McCloud prend le temps d’interroger son lecteur (et lui-même ?) sur le processus de création.

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Non, c’est un album (trop) parfait

“Mon art est analytique. Je suis un peu comme un ingénieur, je parle de structure, je construis mes histoires comme on construit un pont”, explique Scott McCloud aux Inrockuptibles (abonnés). Auteur de L’Art invisible, un ouvrage de référence dans lequel il explique en dessins l’art séquentiel, son vocabulaire et ses techniques narratives, McCloud est un théoricien de la bande dessinée, redoutable connaisseur de tous les trucs et astuces utilisés.

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C’est ce que l’on peut reprocher à ce colossal ouvrage qui finit par ressembler à une compilation de tout le 9e art. L’auteur puise autant dans les comics de super-héros que dans la BD romantico-fantastique, tout en jouant avec les codes du manga et du roman littéraire. C’est réussi, mais cela ressemble plus à une vitrine qu’à une œuvre sensible.

Catalogue de procédés (cases muettes, dessins pleine page, cases à fonds perdus, etc.), Le Sculpteur veut trop jouer au bon élève. Comme son héros, qui pense que produire massivement des sculptures lui apportera la gloire, Scott McCloud accumule les bonnes idées en espérant les transformer en chef-d’œuvre. Sony a d’ores et déjà bloqué les droits pour adapter Le Sculpteur au cinéma et le modeler en futur blockbuster. Une autre façon de pactiser avec le diable ?

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Le Sculpteur de Scott McCloud - disponible aux éditions Rue de Sèvres - 496 pages - 25 euros