Un vote FN dans la police: mythe ou réalité?

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Voilà plus d'un an que la presse rabâche à toutes les sauces cette étude du CEVIPOF, selon laquelle "plus de 50% des policiers votent FN" 57%, pour être exacte. Preuve en est (de cette médiatisation), cet article du "Nouvel Obs". Et ils sont nombreux à avoir titré cela. D'autres articles, comme celui de "Slate", allant même jusqu'à dire qu'aux dernières élections régionales, "7 policiers sur 10 ont voté Front National".

Une vérité... partielle

L'on ne peut nier que des policiers votent pour le Front National. Comme, d'ailleurs, dans d'autres corporations. Pour autant, ce sondage m’apparaît quelque peu tronqué, et ces chiffres, on l'a vu, sont manipulés, voir déformés dans tous les sens; il me semble donc nécessaire de revenir à la source, et se demander sur quoi il repose, le nombre de votants, etc... Et c'est le CEVIPOF lui-même qui va nous répondre, sur le réseau social Twitter, alors même que de nombreux twittos souhaitaient faire réagir les policiers de ce même réseau, à propos de ces chiffres.

Capture CEVIPOF

Nous sommes, au moment de cette réponse, en Janvier 2016. Vous pouvez d'ailleurs retrouver toutes les "études" du CEVIPOF ici. Vous y découvrirez donc des études à intervalles régulières, sur les intentions de vote des fonctionnaires lors de cette éléction présidentielle. Maintenant, que peut-on déduire de cette étude? S'il m'apparait interessant de pouvoir scruter les intentions "au fil du temps", et notamment leurs variations, de la même manière qu'on observe un barometre, le nombre de sondés m'apparait quelque peut restreint pour pouvoir tirer une conclusion générale quant au vote des policiers. Cette étude a donc, en janvier 2016 (étude n°1), interrogé 3368 fonctionnaires, dont 1334 sont issus de la fonction publique territoriale. Sur "le reste" de la fonction publique d'état, c'est à dire 2034 personnes, il y a 485 "policiers et militaires", répartis comme suit: 315 militaires et 170 policiers". Et, dans cette catégorie "policiers et militaires", ils sont donc entre 52 et 55% (selon que le candidat de la droite soit Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé) à dire vouloir voter en faveur de la candidate frontiste. Si l'on part du principe que policiers et militaires votant dans les mêmes proportions  (ce qui n'est pas, en tant que tel, prouvé), on a donc entre 88 et 93 personnes qui ont répondues de la sorte.

La question que je pose: sur 170 interrogés, 90 ayant fait part de ce vote, peut-on dire que 55% des quelques 100.000 policiers (c'est à dire 55.000) votent pour le Front National? Cela m'apparait quelque peu hasardeux!

Quelques petites recherches m'ont permises de me pencher sur cette fameuse "marge d'erreur". Aussi, lorsque l'on interroge 100 personnes, cette marge d'erreur est d'environ 10%; et elle baisse plus le nombre de participants augmente, pour attendre 1% lorsque 10.000 personnes sont interrogées.

A cela, j'ajoute une variable qui m'est propre, et qui est tout à fait subjective: Je pense que lorsqu'il s'agit de se demander si l'on vote pour Marine Le Pen, certains sont tentés de répondre, à un sondage, "pour faire peur", une sorte de sonnette d'alarme. De la même manière que celui qui annonce qu'il va se suicider lance un signal d'alarme à ses proches. Il ne s'agit pas, là, de donner une orientation politique, surtout lorsque l'on constate qu'un grand nombre d’électeurs se désintéresse de la politique et de ses représentants, qu'ils jugent ne pas être représentatifs. Aussi, parmi les sondés, je pense, comme il s'agit parfois d'un vote "contestataire", au final, un certains nombre n'iront pas voter, tout simplement.

Un vote FN pourtant existant

On l' a vu, avec une marge d'erreur de 10%, il reste tout de même un peu plus de 40% des sondés qui voteraient en faveur du Front National. D'ailleurs, certains bureaux de vote, où se trouvent des escadrons de gendarme (qui habitent donc, et votent, sur leur site de travail) vont dans ce sens. J'ai tendance à penser que c'est moins que ça, mais bon... ce vote frontiste existe au sein des forces de sécurité. Quelle lecture lui donner? Il ne s'agit pas, comme l'a fait Claude Askolovich, dans son article du journal Slate cité plus haut, de balayer les raisons. Ne faut-il, justement pas tenter de les comprendre?

Avant tout, j'insiste sur le fait qu'il s'agit-là d'une explication qui m'est tout à fait personnelle, et que je n'ai rien demandé à personne; il s'agit donc d'un ressenti, d'une réflexion qui m'est propre.

Ce vote m’apparaît, comme c'est souvent le cas, multifactoriel. Tous ont des raisons différentes qui s'accumulent et fondent ce qui m’apparaît comme une espèce de vote contestataire du système tel qu'il peut être perçu. Au premier rang duquel le système dans lequel se trouvent les policiers, dans leur quotidien. La sécurité et la justice.

Nombre de policiers (qu'ils votent ou non FN, d'ailleurs) ne comprennent plus la justice qui est censée aller "dans le même sens", c'est à dire travailler dans la même intelligence, complémentaire à l'action de police: niveler les actions délinquantes et criminelles en ramenent un curseur à une sorte d'égalité entre celui qui est jugé auteur et la partie victime. Le tout pour conserver un certain ordre social.

Or, de nombreux policiers ne se sentent plus utiles dans leur travail, estimant que la justice déjuge leur travail, voir même, va à l'encontre. Ce que d'aucuns appellent une justice "laxiste". Je ne parle même pas du bien fondé de cette pensée ou non, il s'agit d'un constat que partagent de nombreux policiers. La problématique que je pourrais qualifier d'emblématique est celle selon laquelle une peine de prison dite "ferme" inférieure à deux ans n'est pas exécutée. Je ne reviendrais pas sur le rôle de l'application des peines, et les mesures alternatives, mais il y a là un fossé... d'incompréhension. Ajoutez à cela que ces mesures alternatuves ne sont pas enseignées (ou très peu) en école, et vous avez le combo.

En clair, il y a, selon moi, un problème au cœur de l'action de la justice, et rien n'est fait pour l'expliquer. Les policiers ne comprennent pas qu'ils arrêtent X fois une même personne, dans un laps de temps rapproché, et que celle-ci puisse être libre de ses mouvements et les narguer. Il n'y a, en somme, que peu, voir pas du tout de communication entre la justice et les policiers, si j'excepte les réunions entre "autorités". Et c'est, à mon sens, fort regrettable, et dommageable.

A cela, j'ajoute des mesures qui s'accumulent, au fil des ans et des réformes, très souvent bien plus favorables à la défense et qui donnent cette impression de déséquilibrer l'enquête à la faveur du suspect et, de fait, d'aller à l'encontre des victimes et donc, des enquêtes. Le tout en alourdissant, chaque jour les procédures, qui sont toujours plus nombreuses, avec moins d'enquêteurs.

Je résume: procédures plus nombreuses, plus lourdes, plus favorables au mis en cause, plus techniques, moins d'enquêteurs. Cherchez l'erreur. 

Ensuite, les policiers que nous sommes font face, il faut le dire, au pire de ce que fait la société. A la pauvreté, et tout ce qu'elle engendre. Cela va de ceux qui essayent de survivre par "la débrouille", à ceux qui s'enrichissent dans le crime organisé, et notamment le trafic de stupéfiants. Cette sensation de vider la mer à la petite cuillère fait beaucoup de mal. La violence de certaines cités, vues comme des coupe-gorge fait aussi du mal dans le quotidien.

Ajoutez à cela les attentats subis depuis deux ans, et des policiers qui sont, non seulement "aux premières loges" de cette lutte, mais aussi, par nature, des cibles. D'où cette volonté, parfois, de vouloir jouer le sécuritaire, et notamment de "fermer les frontières" et minimiser le risque, écarter "définitivement" sans prendre de risques, telles ou telles personnes.

Enfin, il y a cette sensation, palpable, d'être "abandonné" par tous. Si l'on voit souvent des messages de soutien après la survenance d'un drame, comme ce fut le cas encore lorsque notre collègue, Xavier Jugelé, a été assassiné sur les Champs-Elysées il y a quelques jours, il n'en demeure pas moins que cette sensation demeure présente au quotidien. Un peu comme si on nous disait "démerdez-vous avec ça", sans aucune vision, à coté, qui puisse aider! La police est encore la seule administration qui reste au contact de ces cités sensibles ! J'ajoute qu'aucun homme politique ne formule de vision sur l'attente à long terme des policiers. Rien n'est entrepris sur les besoins de modifier le recrutement, la formation, et le travail quotidien des policiers ! Leur donner la sensation, nous montrer que le travail que l'on fait n'est pas vain!

Ensuite, les relations hiérarchiques sont souvent exécrables (bien qu'en PJ, nous soyons, au moins dans une certaine mesure, préservés de cela). Le management pyramidal a trouvé ses limites, on en arrive à déresponsabiliser les policiers au maximum, les enfermant dans le respect des notes de services toujours plus contraignantes et "généralisantes" dans l'approche de la population et de sa gestion de "police" quotidienne avec; toujours présente, une politique du chiffre qui n'a parfois aucun sens qualitatif.

Maintenant, il ne s'agit pas de nier, non plus, qu'il y a, chez nous, un vote d'adhésion. C'est une réalité; il est parfois trop facile de se cacher derrière la protestation. Regardons aussi les choses en face. Pourtant, des syndicats de policiers proches du Front National (Front National Police, ou encore la FPIP) ont tenté de percer aux élections professionnelles, mais en vain. Aucun n'a réussi à faire un score qui ne puisse simplement qu'attirer l'attention.

En ce qui me concerne, cela ne fait aucun doute, je ne voterais pas le Front National, dimanche prochain. Il me semble que les solutions prônées par ce parti ne sont absolument pas en adéquation avec les besoins du pays; au contraire, il me semble qu'en cas d’élection, il s'agira d'un problème supplémentaire à gérer. J'y vois là ce qui pourrait être un début de guerre civile.

Quoi qu'il en soit, le policier que je suis, et les 100.000 autres ne travaillent pas pour un pouvoir. Pas plus pour un Front National qui serait élu que pour les gouvernements de droite et de gauche qui se sont succedés. Notre mission est de faire respecter les règles édictées par les pouvoirs législatif et exécutif, en adéquation avec notre Constitution.

Quel que soit celui qui sera élu dans les prochains jours, et notamment le ministre qui aura en charge la gestion du Ministère de l’Intérieur, il y a un besoin de grand mouvement, une réforme profonde au sein de notre institution, afin qu'elle soit plus en adéquation avec la société de l'an 2017, et ses attentes.

C'est, en tous les cas, ma façon de penser. Parce que la haine des uns ne fait toujours que faire monter la haine des autres, et n'a jamais été, n'est pas, et ne sera jamais une solution.