D'une robe à une autre... la parole est @maitreysée

Une fois n'est pas coutume, je vais laisser un avocat avoir le dernier mot. Ou plutôt, celle qui sera bientôt ex-avocate, parce qu'elle a réussi l'un des concours, si ce n'est LE plus difficile qui soit. Quoi que lui réserve l'avenir, je tiens avant tout à la féliciter, parce que ces quelques mois, certains d'entre vous l'imaginent bien, n'ont pas été de tout repos. Bon vent, et encore félicitations.

Le parole est à @Maitrysée :

 

« Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».

Ce serment, je jure de l’avoir respecté jusqu’au bout.

Je ne serai plus avocat à minuit, je refermerai une porte pour en ouvrir une autre.

Pourtant je suis à mon cabinet en ce 31 décembre 2016, pour ne pas laisser suspendus dans le vide mes dossiers, mes clients, ces 13 années de ma vie.

13 années consacrées à ces clients touchants, perdus, pleurant, drôles, agaçants, vociférant … je leur ai souvent réservé les heures que j’aurais du consacrer à mes enfants.

13 années à croiser le chemin de confrères, de magistrats, de policiers, de gendarmes, d’éducateurs, et j’en oublie … qui méritent tous un immense respect pour leur acharnement à faire fonctionner la machine Justice avec les moyens du bord.

Je suis là, cramponnée à mon fauteuil de bureau tellement usé qu’on se croirait sur une planche, auquel je tiens comme à un vieux doudou parce qu’il m’a accompagné depuis le début.

Assise à me remémorer les instants difficiles : les allers retours aux toilettes pour vomir mon café avant les toutes premières assises, et d’autres allers retours aux toilettes parce que le trac de plaider ne s’évapore pas avec les années, les soirées et les week end à conclure, les nuits écourtées pour assurer des permanences, les vacances auxquelles on renonce, l’immense  désespoir ressenti lorsque j’ai appris le suicide d’un client après une condamnation en correctionnelle …

Assise à me remémorer les grandes et petites joies : chialer de bonheur avec la famille d’un client parce qu’il sort de taule avant le jour de Noël suite à une demande de mise en liberté, cette jeune cliente qui m’appelle le jour de ses 18 ans pour me dire que j’en ai fait plus pour elle que sa propre mère, les cartes de vœux reçues longtemps après l’archivage des dossiers, le café dégueulasse mais offert de si bon cœur par un gendarme parce que j’étais congelée, les compliments d’un juge (oui çà arrive) sur mes conclusions …

Assise à me remémorer les moments improbables : se retrouver sur un hangar en ballerine sous une pluie battante parce que j’ai pris à la volée une réunion d’expertise, plaider enceinte jusqu’aux dents les fesses humides parce que j’avais dérapé sur un trottoir un jour de pluie avant d’arriver à l’audience, répondre aux clients à la maternité, me prendre (souvent) les pieds dans la robe, la paire de babouches vertes à grelots offertes par un client pour me remercier de son dossier gagné au Prud’hommes (photos sur demande !) …

Mais surtout tous ces moments à racler le fond du seau de l’âme humaine, à devoir rentrer dans l’intimité des gens, presque de force, pour pouvoir faire le job … et toujours en se martelant « avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».

Je ne rendrai jamais assez hommage à cette merveilleuse profession qui a été la mienne.

Je la quitte sans regret parce que j’ai encore à faire mais à une autre place, mais avec quantité de larmes dans les yeux.

Merci à Chris de m’avoir donné cette petite tribune.

See you on the other side.