Police française et américaine: un comparatif qui n'a pas lieu d'être

Je lutte depuis deux jours pour ne pas trop intervenir dans le débat. Face à cette actualité. Et pourtant, cela devient difficile, tant on va loin dans la démagogie...

Les faits

Beaumont sur Oise vit des heures sombres, depuis deux jours. Un jeune homme de 24 ans, Adama Traoré, est mort, mardi soir, sur cette commune du Val d'Oise. Avant-même que l'autopsie ne vienne parler des causes du décès, la cité s'est embrasée deux nuits durant. Avec, à la clé, de nombreux dégâts au domaine public, et de nombreuses interpellations. Tout juste connait-on une partie des circonstances qui entourent ce drame. Alors que les gendarmes veulent procéder à l'interpellation d'un homme pour une affaire d’extorsion, son frère s'interpose, et est interpellé. Il est emmené dans les locaux de la gendarmerie. C'est durant ce trajet que le jeune homme aurait fait, selon l'hypothèse des forces de l'ordre, un arrêt cardiaque. Banguy Traoré, frère de la victime (qui, semblerait-il, était l'homme recherché par les gendarmes), conteste cette version, parlant d'une poursuite, et de coups assenés par les gendarmes.

Bien évidemment, une enquête a été ouverte, et l'Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale a été co-saisie avec la Section de Recherche de la gendarmerie de Versailles, afin de tenter de faire la lumière sur les faits. Le tout sous l'égide du Parquet de Pontoise.

L’autopsie pratiquée ce jour, a conclus au fait que le jeune homme souffrait d'une "infection grave". Mais, en préalable, le procureur de la République duTGI de Pontoise avait déclaré que la victime n'avait aucune trace de coups! Cette déclaration a pu paraitre surprenante, dans la mesure où l'autopsie n'avait pas été pratiquée. Néanmoins, de par ma petite expérience, lorsque je travaillais en groupe criminel, sur de telles affaires, le médecin légiste se déplaçait sur la scène de crime (ce qui ne se fait pas à Paris, par exemple). Alors certes, comme on me le rappelle, il n'y a, à cet instant, pas de crime. Toujours est-il que, lorsqu'il y a un décès, c'est un médecin qui doit se déplacer, et délivrer le certificat de décès. Et c'est lui qui émet alors, s'il l'estime nécessaire, un "obstacle médico-légal". C'est à dire que les causes de la mort doivent être établies à l'aide d'une autopsie. Le Parquet est alors avisé de cet obstacle, et délivre un ordre d’autopsie au médecin-légiste. parallèlement, une enquête est ouverte; Soit pour "découverte des causes de la mort (article 74 du Code de Procédure Pénale), soit pour une qualification autre, telle l'homicide, si d'autres éléments corroborent cette hypothèse, et l'on est alors dans le cadre d'une enquête de flagrance (articles 53 et suivants du Code de Procédure Pénale)

Nous sommes donc en présence, j'imagine, de ce médecin, qui s'est déplacé à la suite d'un décès constaté en gendarmerie. Peut-être qu'il a de suite été demandé au praticien de procéder à un premier examen externe, sur le corps. Ce qui pourrait expliquer les déclarations du Procureur de la République, avant même que l'autopsie n'ait été pratiquée.

Ce sont là les premiers éléments dont on dispose. Et les suites de l'enquête nous en diront probablement plus.

Une fracture sociétale

Rapidement, deux camps se sont opposés, notamment via les réseaux sociaux; et ils reflètent, selon moi, cette fracture sociétale qui est la notre. Et cette fracture est directement liée au terrorisme actuel, et l'embrigadement "facile" de certains dans des causes extrémistes pouvant conduire à la folie.

D'un coté, les "anti-flics" primaires qui, d'ores et déjà, soufflent sur des braises qui ne demandent chaque jours qu'à s’enflammer. Les noms Zyed et Bouna sont de suite lancés, des parallèles sont faits. Très vite, on fait un lien avec le contrôle au faciès. De l'autre, des haineux, aussi, qui n'attendent qu'une chose, une répression franche, que la peur de la police soit restaurée, des haineux qui parlent de "racailles" sans même savoir de quoi ni de qui ils parlent, et quels sont profils auxquels on est confronté. Encore une fois, une haine qui fait monter l'autre. Malheureusement, rien de bien nouveau dans notre paysage national, qui vit déjà des heures sombres.

Et je me sens... peut-être pas seul, mais mal à l'aise, au milieu, moi, petit policier de base, mais aussi citoyen! A tenter de ne pas voir que le coté le plus sombre, de ne pas me dire que tout n'est pas blanc ou noir, que les nuances sont nombreuses, et qu'elles ont leur importance. Et je ne peux pas m'empêcher d'avoir mal, lorsque je vois que certains font des comparaisons rapides entre la police américaine et la police française. Alors que de nombreuses images nous viennent des Etats-Unis, où l'on voit des citoyens afro-américains qui sont effectivement abattus par des policiers, comme la plus récente... et que je lis des phrases du style "en France aussi, la police tue"... oui, je ne peux m'empêcher d'avoir mal et me sentir visé par ce genre de propos.

Je ne sais ce que donnera cette enquête, sur les faits de Beaumont sur Oise. Par contre, ce que je sais, et ce dont je suis sur, c'est que personne n'a à y gagner à attiser tout cela. C'est notre société entière qui y perd. Alors faire croire que ce jeune est mort parce qu'il est noir; et que, parce qu'en face, il s'agit de forces de l'ordre (peu importe qu'il s'agisse de policiers ou de gendarmes) cela ne peut être qu'un crime, et qu'il a été tué parce qu'il est noir. Non, je suis m'en excuse, mais je ne peux l'admettre. Je n'y crois pas. Pas un seul instant.

Qu'on me sorte les images d'un homme qui a été abattu, en France, les mains en l'air, sans arme. Qu'on me les sorte. Et qu'on ne vienne pas me parler d'Amine Bentounsi. Qui était, à la fois armé, à la fois braqueur et recherché, et qui a pris la fuite à la vue des policiers. Affaire, dont je rappelle qu’elle été jugée en 1ère instance aux assises. Le parquet ayant fait appel, nous verrons donc bien ce qu'il en adviendra.

Encore une fois, je ne sais ce que diront les conclusions de cette enquête. Ce qui est certain, c'est qu'à 24 ans, quoi qu'on ai fait, on ne mérite pas de mourir!

Peut-être cet homme est-il mort d'une crise cardiaque. Peut-être dûe à cette infection, je ne suis pas médecin! Peut-être a-t-il été frappé lors de l'interpellation. Peut-être s'agit-il de coups échangés. Si coups il y a, j’espère que l'enquête pourra en déterminer la nature, et le bien, ou non, fondé. Qu'il s'agisse de violences légitimées par une éventuelle réaction d'Adama Traoré refusant une interpellation, ou si elles sont illégitimes, sans aucune cause, gratuites. Et si ces violences sont illégitimes, si elles ont pu, ou si elles ont, clairement, causé la mort d'Adama Traoré.

Mais quoi qu'il en soit, ce dont je suis intimement persuadé, quelles que soient les causes du décès, c'est que cet homme n'est pas mort parce qu'il est noir. Et si des violences illégitimes ont été perpétrées, elles seront poursuivies, comme il se doit.  Peut-être n'avez-vous pas ce sentiment. Peut-être pensez-vous que je me voile la face, ou que je suis hypocrite. Probablement, alors, n'avez-vous plus confiance, ni en la justice, ni en la police... Enfin, quoi que vous en pensiez, c'est dommage, mais c'est votre droit. Moi, j'ai ma conscience.