Etre flic, c'est désormais être une cible. Il va falloir vivre avec.

capture d'écran Facebook
capture d'écran Facebook

capture d'écran Facebook

Il est tout juste un peu plus de minuit. Depuis Magnanville, dans les Yvelines, Pierre-Henry Brandet, porte-parole du Ministère de l'Interieur, parle devant les caméras. Au bout de quelques secondes, des coups de feu retentissent... Le RAID donne l'assaut dans la pavillon. Outre celui du preneur d'otage, les policiers découvriront le corps sans vie, d'une femme. Ainsi qu'un enfant de 3 ans, en vie. Quelques heures auparavant, c'est le père de famille, Commandant de Police, qui était assassiné, devant chez lui, de neuf coups de couteau.

STUPEFACTION

La nouvelle s'est répandue à peu près au même moment, sur les réseaux sociaux et via "radio police", comme l'on dit. Un collègue qui connait untel, qui connait... Évidemment, la première réaction, c'est la stupéfaction devant l'horreur. Un collègue assassiné devant chez lui. L'on en sait encore très peu sur les circonstances. On parle d'un voisin, on parle d'un acte terroriste. Les informations ,selon le canal de diffusion, sont contradictoires... et forcément incomplètes. Personne n'est sur place. On vit, moment par moment, les informations qui se propagent...

Acte terroriste? Non! Quand-même! Oui, j'en suis étonné; cela a été ma première réaction à l'évocation de cette piste. L'acharnement est habituellement plus un geste passionnel. Certains de mes collègues sont moins étonné. "non, ça n'est pas surprenant". Peut-être suis-je trop naif... je ne sais pas.

Toujours est-il que les faits sont là. Avec, certes, toute la mesure à avoir; l'enquête, sur le long terme, nous en dira un peu plus. Et pourtant, l'action a été revendiquée par le même canal d'information que quelques heures auparavant, lorsqu'il s'est agi de revendiquer l'attaque d'Orlando, dans une discothèque connue pour être fréquentée par la communauté gay américaine. Suffisament pour avoir une idée déjà assez précise.

Nous sommes dans un schémas tout autre que les attaques de Charlie ou du Bataclan. Nous aurions à faire, là, non pas sur des actes commandités par les terroristes. Mais plus par un homme qui agit seul, qui choisit ses victimes parmi les "communautés" cibles. Elles peuvent ainsi être, comme on l'a vu, des policiers, probablement des militaires. Mais aussi, comme aux Etats-Unis, la population gay, ou encore n'importe quoi qui représente une valeur de notre société, qui puisse être suffisament médiatisé pour faire peur. Pour, en fait, terroriser.

INCOMPREHENSION

A nouveau, c'est un policier qui est visé. Et cette fois-ci dans sa vie privée. C'est une nouvelle menace avec laquelle il va falloir vivre. Il y a quelques jours encore, je disais à des proches qui s’interrogeaient "les policiers ne sont pas pris pour cible chez eux"; j'y croyais. L'actualité me donne tort. Il ne s'agit pas de paniquer, cela ne sert à rien. Mais cela oblige à plus d'attention de notre part. Au quotidien. A être vigilants.

Il y a quelques mois, les syndicats policiers demandaient l'autorisation, pour les policiers, de pouvoir porter leur arme de service en toutes circonstances, sur le territoire. Cela aurait-il changé quelque chose, hier soir? Peut-être pas. Comme j'ai déjà pu le dire, avoir une arme sur soit n'a pas l'effet d'un gilet pare-balles. Cela ne rend pas invincible... Peu de choses auraient pu changer le cours de ce lundi 13 juin!

Je n'ai pas le pouvoir ou la prétention de parler au nom de qui que ce soit... Je ne suis qu'un parmi tant d'autres. Mais ce matin c'est un policier qui est à terre. Et sa compagne... Tous deux visés en tant que tels. Et cela signifie donc que n'importe lequel d'entre nous aurait pu être à sa place, susceptible d'être visé. Non, il n'y a pas, là, de paranoïa. 2 morts, ce matin. 2 vies enlevées par ce qu'elles représentaient. A l'image de Ahmed Merabet, abattu parce que portant un uniforme en janvier 2015, à proximité de Charlie Hebdo.

Ce matin, c'est la tristesse qui me gagne, comme probablement tous les policiers de France,gendarmes... . Mais aussi, quelque part, de la colère, de l'incompréhension, notamment, devant le profil de Larossi Abala, 25 ans, abattu par le RAID hier soir. Cet homme condamné en 2013 dans le cadre d'une affaire en relation avec une entreprise terroriste. Et ressorti la même année. Il voulait ouvrir un fast-food, nous dit-on. Élément vraisemblablement déterminant pour sa réinsertion. L'a-t-il fait? Il semblerait que oui, puisque des messages de son compte facebook ont été détecté encore très récemment. Cela peut-il suffire en tant que facteur de réinsertion? Probablement que non! Toujours est-il qu'il n'y a qu'un constat à faire. Il a été traité en 2013. Pour terrorisme. Condamné. Ressorti. Et ses convictions n'en ont toujours été que plus renforcées. Rien n'a été fait pour traiter ce mal. Il est passé des filières d'acheminement au terrorisme pur et dur, jusqu'à donner la mort.

Je n'ai pas l'intention, ici, de montrer du doigt telle ou telle personne. Je pense que ça n'est pas la question. Surtout dans la mesure où ne connaissons, à ce jour, aucun élément du dossier ayant entrainé la condamnation. C'est bien plus le système, dans sa globalité, qui est en cause. Un système à bout de souffle. Combien sont-ils, depuis des mois, avocats, magistrats, responsables d'associations qui œuvrent pour la justice, à pointer du doigt les problématiques budgétaires, la faillite de tel ou tel tribunal ? Au delà de l'argent en lui-même, la résultante est là. Au delà de ce mot tabou des "moyens", au bout du bout, on en est là. C'est précisément que nous ne savons pas mettre en place les suivis qui permettraient de savoir si l'objectif de réinsertion est atteint ou si l’intéressé se joue du système, comme c'est bien trop souvent le cas. Le tribunal rend une décision. Un JAP se saisit du dossier. Probablement qu'un SPIP est désigné. Mais, au milieu de combien d'autres dossiers? Pour, au final, quel suivi? Oui, les administrations régaliennes, comme la justice, l'intérieur, triment. Avec les moyens qui sont les siens. Parfois avec des bouts de ficelle. Mais on a parfois l'impression qu'on est loin de la prise de conscience.

Allez expliquer cela à un gamin de trois ans.

Un gamin qui, depuis hier soir, est orphelin de ses deux parents, victimes du terrorisme. Victimes de la barbarie. Victimes d'une pensée sectaire. Parce que "oui", il est nécessaire de le rappeler. Le religion n'est ici qu'un élément qui sert la folie. Nous connaissons, à grande échelle, exactement la même problématique que les dérives sectaires que nous avons connues dans les années 90. A la différence près que la cause est internationale, et qu'elle se mondialise. Que les problèmes qui se déroulent à un bout de la planète peuvent avoir des conséquences importantes à l'autre bout. C'est, en quelque sorte, "l'effet papillon", version "mondialisation". Mais aussi que la cause défendue cible d'autres communautés, ou plus précisément, tout ce qui ne pense pas pareil. L'expression même de l’extrémisme.

J'en parlais voilà quelques semaines. L'administration pénitentiaire développe désormais un projet de lutte contre la déradicalisation. Ou, plus précisément, contre l’endoctrinement. Ce système n'était pas en place, en 2013. Il se développe progressivement. Que dire, si ce n'est espérer que n'aurons plus à déplorer qu'un terroriste soit passé par les prisons françaises pour de tels faits, et qu'il en soit sorti... comme indemne.

Pourtant, oui, il faut en être conscient. Quel que soit le système mis en place, aucun n'est jamais parfait ! Mais si déjà, au moins, l'on se donne les moyens de traiter la problématique... au moins, on aura fait un bon bout de chemin. En fait, ce qu'on est en droit d'attendre de l'Etat.