Six heures... top interpel

Trois mois que l'équipe travaille sur ce dossier; tant un enquêteur, tantôt deux... parfois jusqu'à six.

Demain, exceptionnellement, ce seront quelque cinquante policiers qui seront réunis dans le cadre d'une opération ayant pour but de procéder à l'interpellation de ceux qui, à ce jour sont suspects. Cinquante policiers de plusieurs services; la PJ, la Sureté Départementale, la canine ou encore des unités mobiles... Il s'agira d'arriver en nombre... rapidement, pour neutraliser les objectifs, et surtout faire en sorte que ce nombre impressionne suffisamment pour ne pas que d'autres aient envie de se frotter. Que les choses soient claires; une interpellation n'est pas un moment où l'on va se mesurer à quelqu'un. Seul le résultat compte, en faisant en sorte qu'il y ait le moins de problèmes collatéraux à régler après. Donc le nombre. On impressionne. Et dans la très grosse majorité des cas, cela suffit. Et pour le résiduel, on est en capacité de répondre.

On est dimanche... le week-end, jour de repos. Jour du seigneur pour les uns, journée en famille pour les autres... voir même simplement l'occasion de se reposer, tout simplement. Mais déjà la tête est ailleurs. Pas de stress, mais déjà ce week-end est entamé. Psychologiquement quasi terminé. Il va falloir se lever à quatre heures du matin. Etre en place au briefing à 05h30, et être prêt à l'intervention à six heures, Précisément l'heure à partir de laquelle le législateur nous autorise à pénétrer un domicile aux fins d'interpeller et/ou perquisitionner.

La raison voudrait que l'on se couche tôt. Chacun sa technique; d'aucuns se sont couchés très tard l'avant veille, pour être sur d'être fatigué, et faire une nuit équilibrée juste avant. D'autres, comme moi, ne dormiront que très peu. Le principal obstacle résidant dans la simple crainte de louper le réveil à une heure où il s'agit en général plus de se retourner vers un nouveau cycle de sommeil, que de se traîner vers la douche!

Le reveil sonne... si tant est qu'il en ait besoin. Il affiche 04h30. J'ai peut-être dormi trois heures. Comme toujours. Mon premier réflexe "t'es trop vieux pour ces conneries". Mais il faut embrayer. Vingt minutes plus tard, je suis dans la voiture. Là encore, à chaque fois, cette même pensée; si seulement Paris pouvait toujours rouler aussi bien. Faire 30km en une vingtaine de minutes. Le truc normal, quoi! Je suis dans les temps, super; je serai à l'heure.

Ah... c'était sans compter ce putain de voyant à la con voyant du tableau de bord qui s'allume. Je le connais. Je l'ai déjà aperçu il y a quelques temps... un pneu est anormalement dégonflé. Le temps de s'arrêter à une station. Effectivement. Ça saute aux yeux. Une crevaison lente, probablement. Je regonfle... je regarde ma montre, et je repars. Tout en m'arrêtant à chaque sortie d'autoroute, afin de voir si le gonflage tient. C'est le cas, mais l'avance que j'avais sur mon timing est grignotée au fur et à mesure que les kilomètres passent...

Me voilà arrivé. Juste à l'heure. Briefing général du chef du dispositif. Répartition des équipages. Les dernières consignes. C'est parti. Les véhicules roulent en convoi... l'adrénaline monte, au fur et à mesure que l'on approche. Dernier virage. Une plaisanterie, histoire de détendre l'atmosphère... peut-être en fait juste se détendre soi-même! Au même moment, le jour se lève, le soleil est encore timide... Le mot d'ordre est donné:

TOP INTERPEL

ça y est. Le serrage. L'heure du laitier. Le pétage. Appelez ça comme vous voulez, cela ne dure quelques secondes, le temps de figer une situation. Il n'est pas là... là non plus... ni... ah! C'est bon, le voilà. Rapidement, l'individu est maîtrisé. Il n'a que peu eu le temps de voir venir. Le temps des présentations est venu. Forcément, la vue des brassards "police" donne une petite idée sur les invités du matin. Une fois figée, la situation se détend très rapidement. Dès que les lieux sont sécurisés. On échange quelques mots. Comme dans 95% des cas, le client ne sait pas pourquoi on est là, n'a rien à se reprocher, et "c'est une erreur". Soit. Très rapidement "monsieur ... il est 06h15, vous êtes placé en garde à vue dans le cadre d'une Commission Rogatoire... faits... durée... droits... relisez, et si ça vous convient, signez. Ah oui, forcément; tout bêtement, il faut peut-être enlever une menotte, pour signer (non monsieur, celle-ci n'est pas en fourrure). Il relit. Rien à redire. C'est partie pour les coups de fil. Magistrat, parent, avocat, médecin, employeur, ambassade... ouf, c'est fini. Ah oui, bien sur, avec mon téléphone perso, hein! Tant qu'à faire.

"Monsieur, nous allons procéder à une perquisition"... là encore, un instant susceptible de faire basculer ce qui était jusqu'alors une ambiance à peu près calme, sereine. Comme la peur, aussi, que les enfants ne voient leur père entravé. On ne peut que le comprendre. Les raisons de sécurité paraissent parfois incompréhensibles. Mais il faut toujours partir du principe qu'on ne connait pas les réactions que peuvent avoir ceux chez qui l'on se présente. L'on se trouve, à chaque fois, dans une situation nouvelle. Une situation qui peut dégénérer  en un instant.

La perquisition... pas d'opposition. On commence... On a une idée précise de ce qu'on cherche. Des éléments "habituels", que l'on retrouve à chaque perquisition, ou d'autres plus particuliers. Des objets volés, par exemple. une tenue vestimentaire... un document... Et pour cela, on pousse plus ou moins la perquisition, parfois jusqu'à devoir tout déranger. Cela peut paraître choquant... mais les cachettes sont parfois tellement bien imaginées que l'on se doit de ne rien laisser au hasard. Malheureusement, certains pensent à se servir de la chambres des enfants... d'autres en subiront les conséquences, souvent pour rien. Souvent, oui. Mais pas toujours.

L'on repart. les bras chargés, souvent. Retour service. Eh là, c'est inversement proportionnel à ce qu'il se passait trois heures plus tôt. C'est l'heure de pointe. Et ses bouchons. Le rendez-vous est fixé avec l'avocat à 09h30... ça se rapproche, et les routes ne se dégagent pas... on sera en retard, c'est sur...

Tous les objectifs recherchés ont été interpelés. Les opérations se sont déroulées sans encombres, et c'est déjà une bonne chose. Pas de blessé, et pas besoin, non plus, de courir après un objectif absent et qui, nul doute, aurait tout fait pour nous échapper le plus longtemps possible.

L'arrivée au service; C'est l'heure du café. Si les traditions ne se perdent pas, le chef du dispo a fait une halte à la boulangerie. L'occasion de débriefer, ensemble, autour d'un bon café, de remercier les renforts d'un jour, parfois de se raconter l'une ou l'autre anecdote... Et c'est parti. Chacun sait ce qu'il a à faire. Rédaction de tous les actes. Et c'est parti pour les auditions. Et là, petit jeu de chaise musicale; il va falloir jouer entre les bureaux (on ne peut faire deux auditions en même temps dans un même bureau), les avocats qui arrivent (parfois en retard aussi), les actes qui s'ajoutent pour régler une problématique, le matériel qui ne fonctionne pas... les coups de fil (la famille qui vient déjà aux nouvelles), le chef qui veut des infos en temps réel, les collègues qui, aussi, veulent savoir... Ah, et puis l'examen médical. Celui que l'on pensait voir durer dix minutes, et qui dure deux heures, tant il y a du monde en attente! Bref, un beau bordel.

Le début d'après-midi est souvent le moment finalement le plus difficile de la journée. Un "coup de mou" en phase de digestion du déjeuner.. mais pas le temps de trop rêvasser. Une nouvelle audition se prépare. Les questions se font plus précises; les mensonges et les incohérences aussi. Bien souvent.

Et voilà, il fait nuit. Une nouvelle journée que l'on n'a pas vu passer. Le temps de faire un point global de la situation. D'en aviser le magistrat qui va probablement prolonger les gardes à vue. On attend... tous... Les prolongations vont arriver. Il est déjà 19h, et ça fait juste quinze heures qu'on est debout... Allez, encore un peu d'énergie. Il faut notifier les prolongations de garde à vue. Et c'est reparti. Appel au médecin, rédaction de la réquisition; appel de l'avocat, on prévoit une heure pour l'entretien, puis on enchaîne pour une audition.

Ouf... il est vingt heures... je vais pouvoir quitter le bureau. Une belle journée, encore, bien remplie. Et, pour le coup, j'ai de la chance, dans une heure, je serai chez moi. Certains de mes petits camarades vont se lever, encore... ou se coucher tard... parfois, ça n'en finit pas.

Mais je le sais. Le moment le plus difficile, ça sera demain matin. Toujours. Le matin du 2ème jour... Celui où, précisément, il me faut un treuil pour sortir du lit. Et l'on repart pour une journée...

C'était une opération... une parmi d'autres. Cette fois-ci, tout s'est bien passé. Pourvu que ça dure.