Un policier tabassé: la réinsertion à quel prix?

Comme tous les jours, Franck(prénom inventé) prend son train de banlieue. Il va prendre son service. Comme moi, comme des centaines d'autres. Oui, il est policier. Jeudi,  il descend de son train. Prend l'escalator, lorsqu'il est témoin d'une altercation entre deux personnes. Il est policier; son statut lui donne obligation d'intervenir. Oui, certains le font encore... Franck sort donc sa carte professionnelle (que l'on appelle "carte de réquisition") et calme les esprits. Puis il s'en va. Prendre son service.

C'est sans compter l'un des protagonistes de l'altercation, qui décide de ne pas en rester là. Et s'en va retrouver le policier. De ce que nous disent les articles de presse (ici et ), ce sont des coups de poings, de pieds, qui pleuvent sur le fonctionnaire; y compris lorsque celui-ci est au sol. Après quoi l'auteur des violences prendra la fuite.

Le policier est évidemment conduit à l’hôpital, et souffrirait d'une triple fracture de la mâchoire, et se serait vu délivré une incapacité temporaire de travail (ITT) de 45 jours.

Nous nous trouvons donc dans le cadre d'une infraction prévue et réprimée par les articles 222-11, 222-12 7° du Code Pénal. Violences volontaires sur personne dépositaire de l'autorité publique. L'ITT est supérieure à huit jours. A partir du moment où le policier décline sa fonction, et la justifie, il est considéré comme étant "à l'occasion de l'exercice de ses fonctions". Et commise dans un lieu affecté au transport public. L'infraction est donc punissable de 7 ans de prison, et 100.000€ d'amende. Et je ne parle pas des éventuelles répercussions physiques et psychiques sur le policier.

L'auteur, avec toute la présomption d'innocence (surtout ne pas l'oublier, hein) que nous devons lui conserver, est interpellé le lendemain, grâce, à la fois au signalement fourni par les témoins, mais aussi aux images de vidéosurveillance. Il est placé en garde à vue puis deferé. Et... laissé libre, sous contrôle judiciaire.

Renseignements pris auprès de Nicolas Comte, secrétaire général adjoint du syndicat Unité-SGP, le parquet n'aurait pas requis de détention provisoire, parce que, je cite "en voie de réinsertion après une jeunesse difficile... il était retombé à un fait par an ".

Réinsertion oui... mais à quel prix?

Nous y voilà. Le mot est lancé. RE IN SER TION.

Soit. Je la défends. C'est une nécessité. Évidente. Et je défends cette idée sans aucune difficulté, vraiment.  Tout comme il est évident que notre justice n'a, aujourd'hui, pas les moyens des ambitions que l'on est en droit de nourrir, quant à ces projets. MAIS TOUT DE MEME...

Appelons un chat "un chat". Un policier a été tabassé, allons-y... il s'est fait DEMONTER sous un prétexte quelconque. Mais non "en voie de réinsertion"...

Je rappelle tout de même que "réinsertion" ne veut pas dire "être exonéré de respecter la loi". Ce n'est pas un blanc seing donné à qui a eu des difficultés. Ce n'est pas parce que l'on a un travail, ou que l'on "délinque" (je sais, ça n'existe pas) moins que l'on a  plus le droit qu'un autre d'enfreindre les règles. En l’espèce, on peut donc tranquillement laisser un policier se faire frapper (il ne s'agit pas d'une gifle, n'est-ce pas) ... Je rappelle tout de même que le policier intervenait alors même qu'il était hors service, de sa propre initiative.

Là aussi, je veux bien comprendre ce qu'est la désistance, et l'application qui est en faite! On parle d'un processus de renoncement à la délinquance. Que les spécialistes jaugent sur environ cinq ans. Oui, on prend en compte l'espacement des infractions, leur gravité qui va decrescendo. Pour autant, cela ne peut suffire. Cela ne peut pas tout autoriser. Qu'il se soit agi d'un outrage. Qu'il se soit agi d'un délit mineur, je veux bien. Mais nous sommes tout de même face à une extrême violence; sans même parler de la qualité de la victime!

Et qu'on ne vienne pas me dire que l'auteur sera jugé ultérieurement. Puisque, forcément, les arguments servis à l'audience seront exactement les mêmes. Je vous les donne à l'avance "regardez, madame/monsieur le Président. Depuis les faits, il s'est tenu à carreau; j'ai un certificat de son employeur disant qu'il travaille bien, qu'il donne satisfaction; et on va lui donner un CDI". Vous verrez, je prends les paris. Et donc? Le tribunal dira qu'il peut porter un bracelet électronique lui permettant de travailler? Il sera condamné à trois mois avec sursis?  Mais au final? Il se sera fait un flic.

Notez bien. Le message est double. Celui qui est porté auprès de ceux qui n'ont plus peur de frapper un fonctionnaire de police; on leur dit "c'est pas bien grave". Eux n'iront pas chercher les grands principes de la procédure pénale, de la réinsertion par la désistance. Non. Ils verront juste les faits.

Mais un tel message s'adresse aussi aux policiers. Il donne la sensation qu'on nous dit "vous ne valez plus rien. L'Etat ne protège plus votre fonction. Les interventions sont donc à vos risques et périls". Oui, j'exagère. Mais ça laisse un gout amer.

Ne nous étonnons pas, ensuite, deux à trois fois par an, du "malaise des policiers" qui ressort dans les journaux désormais de manière presque traditionnelle.

Une communication inexistante

Cette affaire met le doigt sur une autre problématique. Ces affaires sortent dans la presse. Sont relayées (y compris par moi-même). Mais demeurent incomplètes. Et le vide laisse place à l'imagination. Et l'imagination laisse place à l'exaspération. Parce que personne ne vient expliquer tout cela aux policiers.

Alors me direz-vous; les magistrats n'ont pas le temps (et c'est vrai). Ce n'est pas leur job (c'est aussi vrai). Mais tout de même. Les policiers sont en première ligne, tout le temps, auprès d'une société chaque jour plus difficile, plus violente. Et ils y vont. Ne sont-il pas en droit d'avoir des explications? Qu'on leur dise un peu de quelle manière une décision a été prise. Cette affaire n'est pas isolée. Tous les jours, des policiers ne comprennent plus pourquoi ils travaillent. Et personne ne dit rien. On laisse faire. Et chaque jour, c'est pire. Après tout "chacun son job". Le policier est là pour arrêter, qu'il ne s'occupe surtout pas de ce qui se passe après. Ma foi, cela ne le regarde plus! Je ne suis pas d'accord.

Je suis de ceux qui pensent qu'il faut totalement revoir la communication entre les deux administrations. Et pas au niveau central. Au niveau local. Tout est à revoir dans ces maisons. Ou plutôt à entreprendre. Les magistrats doivent savoir ce qu'il se passe dans un commissariat. Un peu plus qu'en deux heures passées dans le bureau du chef de service lorsqu'ils sont auditeurs de justice. Et, à l'inverse, les OPJ doivent, eux aussi connaitre et comprendre les contraintes des magistrats. Et donc aller au coeur des tribunaux. Au parquet, au siège.

En attendant, soyons clairs. Ne pas poursuivre (c'est un équivalent) un homme qui s'en est pris à un policier de manière très violente, c'est un policier en moins qui interviendra dans des circonstances similaires. L'essentiel est sauf. Un jeune est en voie de réinsertion. Le policier, lui, est toujours à l’hôpital. Mais bon... ça, il semblerait que cela ne pose que peu de problèmes.

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