Perquisition administrative, dossier judiciaire - Détournement de procédure?

©Vincent Isore/IP3 press; Paris, France le 14 Fevrier 2014 - Illustration de la facade du Conseil d Etat (MaxPPP TagID: maxnewsworldthree433081.jpg) [Photo via MaxPPP]

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(MaxPPP TagID: maxnewsworldthree433081.jpg) [Photo via MaxPPP]

Dans un article du 05 février, Le Monde revient sur une déclaration de Manuel Valls, du même jour. Selon cette dernière, une perquisition administrative, effectuée dans le cadre de l'Etat d'Urgence, aurait permis de déjouer un "projet terroriste". Cette déclaration entrant dans l'argumentaire relatif à la nécessite de prolonger l'Etat d'Urgence. On peut retrouver cette histoire dans un article de "L'Obs" ou "Le Figaro", qui en parlait en décembre 2015

De quoi s'agit-il? Les faits

Nous sommes à Tours. Le 02 décembre 2015. Une perquisition administrative est effectuée chez Issa K. un ressortissant tchetchene de 27 ans, nous apprend le journal Le Monde.

L'article ne nous dit pas qui fait cette perquisition administrative, ni sur quelle base elle est opérée. Et ce sont, à mon sens, des éléments importants. Même s'ils n'ont pas vocation à fuiter dans la presse.

Continuons...
Il semblerait que soit retrouvée une vidéo d’allégeance à l'Etat islamique qu'il aurait réalisée seul. Soit.
Cette vidéo, Issa K l'aurait ensuite envoyée à plusieurs de ses contacts. Et c'est là que cela se complique, dans la mesure où ceux-ci, étaient, eux, surveillés. Dans le cadre d'une procédure, elle, judiciaire.
Arrive ensuite la découverte d'une seconde vidéo qui "menacerait la police". Vidéo qui aurait été repérée sur le net (Le Figaro)

Petit retour sur cette perquisition administrative. La question est de savoir si l'analyse de l'ordinateur a été faite en direct, ou s'il a été opéré une copie du disque pour exploitation ultérieure. Fonction de la masse de données, les deux sont possibles.

Le 11 décembre, le parquet anti-terroriste se voyait confier l'enquête, et désignait la Direction Générale de la Sécurité Intérieure de la poursuite des investigations. Son groupe, judiciaire, donc.

Ce delta me fait d'ailleurs penser que le support numérique a été copié, et analysé plus tard.

Le 15 décembre, Issa K. est interpellé, et placé en garde à vue. Durant les auditions, il reconnaîtra être l'auteur de la vidéo, tout en niant vouloir passer à l'acte en France.
On notera que, déjà surveillé par des services de police à la suite d'un passage en Turquie, il avait été assigné à résidence au lendemain des attentats du 13 novembre.

Déféré à l'issue de sa garde à vue, Issa K est mis en examen, dans le cadre de la même information que les contacts à qui il avait envoyé sa vidéo. Et placé en détention provisoire.

L'article de "L'obs" nous apprend aussi que Issa K. aurait été menaçant envers des policiers la veille de son interpellation (soit le 14 décembre); et à nouveau lors de celle-ci. Dernière information, il est également question d'une vidéo retrouvée sur les réseaux...

"Enfumage", coïncidence?

L'idée a rapidement fais son chemin, selon laquelle on aurait utilisé un cadre administratif pour... ben pourquoi? Ah oui, " masquer un manque de moyen", profiter de la "facilité" de ce qu'est la perquisition administrative (oui, c'est la fête, vous dit-on) alors que tous les actes auraient pu être fait en judiciaire! Je vous renvoie  à cette série de tweets de @jjalmad  qui vous expose sa théorie. Qui s'entend.

Mouais...

Loin de moi l'idée de vouloir couvrir une éventuelle justification politique en relation avec la prolongation de l'Etat d'Urgence qui permet de prolonger, de la même manière, les perquisitions administratives. Très sincèrement, je ne suis pas là-dedans, mais alors pas du tout! Bref...

Je me met un peu à la place des enquêteurs qui surveillaient donc les contacts dans un dossier judiciaire. Demain, un service m'appelle en disant "je vais faire une perquiz administrative chez le pote de machin", que j'ai en objectif.. connaissant un peu le fonctionnement des services, un gros stop sera opposé. On ne prête pas les jouets! Le fonctionnement aurait valu que le service judiciaire prenne en compte les infos, et joigne la nouvelle cible à son dossier. Interceptions, surveillances, etc... ne pas oublier qu'un dossier judiciaire monté, c'est toujours mieux qu'un hypothétique résultat de perquisition administrative.

J'ajoute que laisser faire un service peut tout aussi bien avoir pour effet de faire exploser les investigations en cours. Les petits copains, apprenant que Issa a été "pèté" pourraient jeter portables (sur écoute), et tout ce qui s'en suit, changer d'air, par peur, justement, d'être accroché à Issa. Ce qui, pour l'avoir vécu, est très pénible. Cela signifie quelques jours dans le noir, le temps de remettre la main sur ce joli petit monde.

Autre élément: les vidéos. Elles ont été découvertes lors de la perquisition administrative. Donc, chez l’émetteur. On est probablement parti de la découverte du film. Probablement un reste sur la boite mail du navigateur... on ne le sait pas. A l'inverse, les individus surveillés dans le cadre judiciaire étaient donc en réception du message. Et la majeur partie des réceptions vidéo, via mail ou autre, se fait de nos jours par envoi sécurisé. Donc impossible à intercepter. Je rappelle qu'on n'est (sauf à ce qu'on me dise le contraire) pas encore sur les textes votés en relation avec le renseignement, qui permettrait d'intercepter un tas d’information passant par les réseaux, et la CNCTR qui en contrôle les actes. Et que, lors de ces envois/réceptions de vidéos, les enquêteurs se trouvaient probablement, au moins dans une certaine mesure, aveugle de ce point de vue. Et sans contact physique ou téléphonique (ou autre que par cette seule vidéo) avec Issa, ils n'avaient peut-être pas connaissance de son existence, ou du lien.

Donc, les enquêteurs, avant d'être en perquisition dans leur dossier judiciaire n'avaient pas, à mon avis, connaissance de l'existence de cette vidéo. Peut-être l'ont-ils retrouvée, eux aussi, sur les supports numériques en perquisition? Peut-être ont-ils retracé son téléchargement, etc... Peut-être.

Ensuite, en imaginant que la DGSI, avec son dossier judiciaire, soit effectivement débordée, il eut été très aisé d'obtenir une co-saisine avec un service "local", qui puisse traiter cet aspect! Et, là encore, aucune difficulté de procéder à la perquisition dans un cadre judiciaire.

A l'inverse, lorsque le service qui a procédé à la perquisition administrative exploite le PC. Il retrouve la vidéo. Trace les envois; trouve les mails, des IP... et identifie les destinataires. Qui eux, sont donc connus, probablement en "objectif"; et c'est là que le lien est fait.

Tout ça n'est que de la pure projection. Mais j'ai du mal à croire aux "petits arrangements" dont je ne saisis pas bien les intérêts. Evidemment qu'il peut y en avoir, probablement. Mais parce qu'il y a un réel intérêt, derrière. Procédural, peut-être. Pratique. Mais là, en l’espèce... pallier un éventuel manque de moyens par un détournement de la procédure... ça m'étonne. Maintenant, l’expérience de la PJ que j'ai n'est pas celle, non plus, de l'anti-terrorisme. Je prends donc bien soin de dire "je ne pense pas que... ". Et surtout, il manque des éléments importants pour avoir un avis au plus juste.

Mais oui, peut-être que je me trompe. Peut-être pas. Et chacun peut, bien sur, avoir son avis.