autorisation des perquisitions de nuit: séisme juridique en vue ?

Quelques semaines après le vote, au Parlement du texte relatif aux moyens donnés aux services de renseignement, il semblerait que le gouvernement soit décidé à renforcer les possibilités d'investigations des services enquêteurs.

Parmi ces "nouveautés, la possibilité d'utiliser, dans le cadre d'une enquête judiciaire, les fameux "imsi-catchers" que seuls les services de renseignement peuvent utiliser à ce jour. Ainsi, la possibilité serait offerte de déployer des relais téléphoniques fictifs, sur un périmètre donné, ainsi que dans la durée déterminée, afin d'enregistrer des conversations pouvant intéresser une enquête. A ce stade, il est trop tôt pour connaitre les détails, mais nul doute que ce droit sera encadré par un magistrat, qu'il s'agisse du Procureur de la République, dans le cadre d'une enquête de flagrance, voir préliminaire, ou du Juge d'instruction, dans le cadre d'une Commission Rogatoire. Voir, quel que soit le cadre juridique, par le Juge des Libertés et de la Détention (JLD), sur requête du Procureur ou du Juge d'Instruction.

C'est pourtant ailleurs que l'on trouve l'inattendu. Autorisation serait donnée aux services de police de procéder à des perquisitions de nuit. L'occasion nous est ainsi donnée de décortiquer un peu le régime actuel entourant ces perquisitions.

Le cadre légal

C'est l'article 59 du Code de Procédure Pénale qui pose le principe:

"Sauf réclamation faite de l'intérieur de la maison ou exceptions prévues par la loi, les perquisitions et les visites domiciliaires ne peuvent être commencées avant 6 heures et après 21 heures".

Concrètement, si une personne est interpellée après 21h05, les policiers devront attendre le lendemain matin, 6h00, pour effectuer une perquisition au domicile. Ce qui, clairement, n'empêche nullement de le surveiller toute la nuit. Mais, inversement, ne peut empêcher la destruction de preuves qui s'y trouveraient. Je pense notamment à des produits stupéfiants, ou des données informatiques. Par contre, les policiers (ou gendarmes, bien sur), peuvent tout à fait se présenter dans un domicile à 20h59 (j'exagère), et continuer leurs investigations le reste de la nuit s'il le faut. Le tout étant, très concrètement, de commencer les opérations avant 21h00.

Il est utile de préciser que ce cadre légal concerne 90% des perquisitions qui sont faites à longueur d'année, voir plus. Hormis, bien sur, lorsqu'est décrété l'Etat d'Urgence, comme c'est le cas en ce moment. Mais là, nous nous trouvons alors dans un cadre administratif. Restons dans le judiciaire.

Autre précision: en droit français, nul besoin que soit présenté, comme on le voit si fréquemment encore dans les séries télévisées, de "mandat de perquisition". Il s'agit d'un acte qui est décidé par l'Officier de Police Judiciaire (OPJ), et dont l'objectif est la découverte, puis la saisie et le placement sous scellés, de tous documents, objets susceptibles d’intéresser l'enquête. Par contre, la présence de l'un des occupants des lieux est nécessaire. A défaut, s'il n'y a personne, et que le mis en cause n'est pas présent (par exemple, pour des raisons de sécurité), l'OPJ fait appel à deux personnes qui assisteront aux opérations, en qualité de témoin. A la suite de la perquisition, l'OPJ dresse procès-verbal des opérations.. Lequel est signé par celui ou ceux qui y ont assisté.

Petit bémol; lorsqu'il agit dans le cadre d'une enquête préliminaire, l'OPJ doit obtenir le consentement préalable (manuscrit) de l'occupant des lieux, lui permettant de procéder à une perquisition.

Quelles exceptions ?

  • en fonction du cadre d'enquête

Lorsqu'il agit dans le cadre d'une enquête préliminaire (comme nous venons de le voir), l'OPJ peut tout de même procéder à une perquisition, y compris sans l'accord de l'occupant, mais avec l'autorisation du JLD (sur requête du Procureur de la République), mais pour des infractions punissables d'une peine supérieure à 5 ans d'emprisonnement (article 76 du Code de Procédure Pénale).

  • en fonction de l'infraction

Lorsque les enquêteurs agissent dans le cadre d'une procédure traitant de proxénétisme ou de trafic de stupéfiants, les OPJ peuvent procéder à des perquisitions de nuit hors lieux d'habitation, tels que les bars, discothèques, etc... (articles 706-28 et 706-35 du Code de Procédure Pénale).

Lorsque l'enquête concerne les infractions dites de "criminalité organisée" (article 706-73 ou 706-73-1 du Code de Procédure Pénale), les OPJ peuvent procéder à des perquisitions, y compris de nuit, en tous lieux. Concrètement, il s'agit d'enquêtes qui visent les infractions les plus diverses (vols, meurtres, contrefaçon, , fausse monnaie, escroquerie, travail dissimulé), mais commises en "bande organisée"; c'est à dire, pour faire simple, impliquant plusieurs personnes dont les rôles sont déterminés. A ces infractions, on y ajoute les plus graves, notamment celles de terrorisme.

Dans ces cas-là, l'OPJ informe le magistrat de la nécessite de procéder à des perquisitions de nuit. Celui-ci doit alors, par écrit, autoriser les actes de perquisition (articles 706-89 et suivants du Code de Procédure Pénale). Si l'OPJ agit dans le cadre d'une enquête de flagrance ou préliminaire, c'est le JLD qui donnera cette autorisation. Et s'il agit dans le cadre d'une instruction, c'est le Juge d'Instruction qui la donnera  (ou ne la donnera pas, bien sur).

Quelles nouveautés, alors?

Il est un peu tôt pour prétendre à tout savoir, d'autant que cela changera encore, d'ici à ce qu les textes soient votés. Quoi qu'il en soit, je ne vois pas le législateur, ni le Ministre de la Justice actuel, déposant un texte qui autoriserait les perquisitions de nuit de manière générale! Le texte serait, à mon avis, d'ores et déjà retoqué par le Conseil Constitutionnel. Ce n'est pas demain que l'on verra des policiers procéder à une perquisition, à 3h00 du matin, pour le vol d'une tablette de chocolat!

De ce qui filtre à ce jour du futur texte, ces autorisations de nuit viseraient les actes de terrorisme. Sauf que, à ce jour, les dites infractions (citées aux articles 421-1 et  suivants du Code de Procédure Pénale) sont déjà concernées par les exceptions autorisées.

Mise à jour 17h40... 

Quoi qu'il en soit, ces dispositions n'ayant jamais "fuité" jusqu'alors, il est probable qu'il s'agisse en fait d'un retour d'experience faisant suite aux derniers attentats. Et c'est précisément de ce que l'on peut retenir de la proposition de loi déposée au Sénat.

En effet, le premier article vise à prolonger la durée de flagrance (ce qui suppose des pouvoirs quelque peu étendus, par rapport à une enquête préliminaire) d'une semaine supplémentaire. L'on se souvient qu'à partir du vendredi 13 novembre, il aura fallu deux semaines complètes afin de comprendre que le danger "tout immédiat" semblait écarté. Et c'est précisément la durée de la flagrance.

L'article 2 de ce texte vise à ce que les perquisitions, en préliminaire, puissent se dérouler "dans les mêmes conditions que pour les enquête de flagrance". De ce que je comprend, cela pourrait signifier qu'il n'y aurait nul besoin de l'assentiment de l'occupant des lieux. Dans le cadre d'infractions liées au terrorisme.

La suite du texte semble quelque peu "fourre-tout", tant les domaines diffèrent, même si le terrorisme reste très central. Est ainsi crée un parquet traitant exclusivement de la cybercriminalité, Mais aussi, notamment, la possibilité de placer en rétention de sûreté, une personne ayant été condamnée pour terrorisme. Ou encore la décentralisation de l'application des peines, pour les infractions liées d'apologie et provocation au terrorisme.

Pour le sujet qui nous occupait ce jour, donc... inutile de crier au loup. Il n'est pas là.