Quelle évolution de la légitime défense, pour les policiers?

C'est un débat qui a été rouvert, à la fois par Bernard Cazeneuve, Ministre de l’intérieur, mais aussi par Nicolas Sarkozy, ancien chef de l'Etat, également passé par la place Beauvau. Et pourtant, c'est un sujet qui attise beaucoup de crispations, tant il est sensible; à la fois, au sein même de la Police Nationale, mais aussi dans l'opinion.

L'état de droit actuel

A ce jour, les policiers ont un régime d'usage de l'arme qui est aligné sur la légitime défense, celle-là même qui est en fait applicable à n'importe quel citoyen. Ni plus, ni moins.

C'est l'article 122-5 du Code Pénal, qui définit la légitime défense:

N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte.

N'est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l'exécution d'un crime ou d'un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu'un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l'infraction.

Ainsi donc, le policier (puisque c'est le sujet, ici) ne peut utiliser son arme que lorsque sa vie ou celle d'autrui sont sujettes à un danger imminent. Point. C'est donc, pour le moins, très restrictif. Etant précisé que les gendarmes ont, en théorie, un usage de l'arme un peu large, puisqu'ils sont régis par l'article L2338-3 du Code de la Défense. Il y est notamment question de défendre un terrain qu'ils occupent, d'immobiliser un véhicule qui prend la fuite ou encore de sommations. Ce qui n'empêche pas, pour autant, les condamnations, comme le démontre le sujet développé par maitre Lienard, au travers de la jurisprudence de la Cour de Cassation. Ce qui me fait penser que, malgré les textes moins restrictifs, les gendarmes sont de plus en plus ramenés vers l'usage d'une arme en conformité avec la légitime défense.

Quels changements pourrait-on apporter?

Il me semble  qu'il est nécessaire de faire évoluer la légitime défense. Disons plus l'adapter aux forces de l'ordre. Quoi qu'il en soit, si réforme il y a, elle devra obéir aux normes européennes, et notamment le paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, selon lequel:

La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

  • pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
  • pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;
  • pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.

Certains, et notamment le syndicat Alliance Police Nationale, ou une partie de Les Républicains ainsi que le Front National proposent d'aligner la Légitime Défense des policiers sur celle des gendarmes . Le ministre de l’intérieur en exercice n'est, lui, pas opposé à une évolution des textes mais, je pense, dans une bien moindre mesure que l'opposition actuelle.

Il est un fait, il n'est plus rare de voir des policiers en grand danger; certains individus n'hésitent plus à forcer des barrages avec des voitures volées ou transportant des stupéfiants; il arrive encore que d'autres tendent de vrais guet-apens aux forces de l'ordre, lorsqu'il n'est pas directement question de leur tirer dessus. Le tout sans même parler des risques d'attentats auxquels nous sommes confrontés en ce moment.

Parallèlement, les policiers, à la vue du traitement auquel ils font face lors d'un usage de l'arme, gèrent une problématique qui me semble très importante. Quand il sont soumis à un danger, ils ont en mémoire, avant tout, non pas le risque auxquels ils font face, mais plus la manière dont ils seront jugés; tant par la justice, que par l'opinion. Et cette réflexion, plus qu'autre chose, a de quoi fait peur, puisqu'elle prend le pas sur une gestion sereine de l’événement. De fait, alors même qu'il est en danger, le policier réfléchit trop aux conséquences qu'il aura à gerer. Et cela peut avoir des conséquences dramatiques, dans la mesure où entre temps, peut-être qu'il sera trop tard. Pour lui, ou un tiers.

Je lis, et j'entends les inquiétudes de certains, comme ici, qui pensent que toute modification emporterait une espèce de "licence to kill" pour les policiers. Cela me parait assez caricatural,  on est très loin de cela. Il s'agit en réalité plus d'un ressort psychologique sur lequel il faut agir. Les policiers, lorsqu'ils vont "au charbon", doivent être en confiance, et non pas se dire qu'ils vont finir en prison alors même qu'ils agissent pour protéger. Et pour cela, il faut, à la fois faire évoluer les textes, mais aussi multiplier les formations. De sorte, sans crainte de "l'après", le policier pourra intervenir en adaptant son comportement, par des techniques qu'il aura acquises lors des formations dispensées.

Confiance et gestion du risque et de l’événement ne doivent pas être opposés. Ils sont corollaires, l'un de l'autre.