Jouer en bâillant

dînette. © Eve Omel, 2014.

Petite fugueuse

Lors d'une pénible séance de devoirs où rien n'allait, toutes deux fortement énervées, j'ai décidé qu'on laissait tomber et qu'on reverrait cela plus tard avant que ça ne dégénère. J'ai filé dans la cuisine et ma gamine à un coloriage. Quand tout à coup, elle arrive, mine fermée, avec des habits dans un sachet et un porte-monnaie sous le bras et me dit: "j'ai pris mes affaires parce que là, je pars." Hahem, qu'est-ce qu'elle a encore inventé? L'air dégagé je réponds: "Ah?, et tu pars loin comme ça?" l'enfant l'air arrogant: "Ah oui, je pars le plus loin possible!" mmhum... trouver un truc dare-dare pour désamorcer la fugue, la bombe, la crise, on ne sait quoi d'ailleurs : "Mais si tu pars loin comme ça, il te faut un sac à dos, regarde, il y en a un ici." Elle reste interloquée deux secondes puis attrape le sac: "trop bonne idée, Man!!". Tu m'étonnes.

Dînette aborigène

Je sors donc d'une dînette océanienne, un déjeuner aborigène. Le salon s'est transformé en un continent exotique, on ne sait pas pourquoi l'Australie, surement parce que c'est très loin. C'est un véritablement campement d'explorateur avec lampe torche, iPhone pour la géolocalisation, photos de papa, duvet, coussin, tout ça sous la table à manger. J'étais l'australienne qui souhaitait la bienvenue à cette exploratrice. Et savais-je où il y avait une épicerie dans le quartier?, "mais oui, première à gauche" (sa chambre). Nous avons fait un repas de rois à la chantilly, en parlant serpents, dingos, et chemins secrets dans les pointillés.

Bâillons un peu

A la fin, comme toujours quand ça dure plus d'un quart d'heure, je bâille, c'est plus fort que moi, un truc irrépressible : je bâille encore et encore ! Le second repas de rois se profilait, faire une fois de plus semblant de manger les légumes en plastique, rah non, pitié... J'ai tenté une diversion sur la Papouasie Nouvelle Guinée qu'elle apprécie plus que l'Australie (merci le Quai Branly au passage) mais impossible de faire sortir la poulette de ses casseroles en surchauffe.

Ne me dites pas que, vous, jamais vous ne bâilliez, je ne vous croirais pas! En tout cas, je n'ai même pas honte de l'écrire, parce que bon sang, ce soir, j'ai sauvé les meubles (en dévastant le salon, ok ok).

Je regarde l'enfant aux anges, je me dis que je peux, sans craindre une nouvelle envie de se faire la malle, annoncer la fin des festivités: "allez, l'exploratrice, c'est l'heure, on passe à table pour de vrai".

On fait ce qu'on peut

Sur la question de l'ennui dans le jeu avec l'enfant, on trouve des centaines d'articles en ligne qui vous diront que "oui mais non" ou son contraire. J'en colle un, le premier référencé sur Google, ses mots clés sont édifiants: "naitre-grandir-parent-jouer-enfant-remede-stress", olé! Personnellement, je me suis toujours vaguement ennuyée à jouer avec mon enfant, son père est plus ludique et souvent prenait le relai. Ça arrangeait un peu tout le monde. Mais depuis que je vogue en solo, j'ai terminé de culpabiliser sur le sujet, j'en ai pris mon parti, nécessité oblige: je préfère bâiller cinq minutes par jour et faire pousser de la graine de poivre plutôt qu'un piment de Cayenne à tendance fugueuse.