The Trumpman show

 

Il a été le premier à n'en pas croire ses yeux. Le bougre, dont le patronyme figure aux frontons de nombreux casinos, a pourtant l'habitude des coups de poker. Trump. Celui qui l'emporte sur l'adversaire. Donald y est allé pour rire et puis s'est pris les pieds dans le tapis de jeux. Au moment des résultats, on lui voit faire à peu près la même gueule que le type qui aurait gagné au loto ; la même gueule aussi que son prédécesseur républicain,  GW Bush,  quand on lui annonce que deux avions viennent de descendre les tours jumelles du World Trade Center. Au pays de l'oncle Sam, il faudra composer pendant quatre ans au moins avec l'oncle Donald, l'homme des couacs au toupet orange, du genre le tonton du bout de la table à Noël qui parle aussi vrai qu'un comptoir de bistrot.

Le tweet est daté du 9 novembre dernier. Le lourdingue télévisuel est devenu réalité. Le 20 janvier 2017, après un dernier tweet, et une cravate longue et rouge déroulée jusqu'à l'aine, Donald se met en route pour le premier jour de son nouveau show.

Avec The Apprentice, son émission de télé-réalité, Trump a réussi à convaincre les électeurs/électrices qu'il était l'homme de la situation. Ainsi sommes-nous passé-e-s en  onze ans de ça 

Trump avionPhoto Annie Leibovitz

à ça

Republican presidential candidate Donald Trump looks at his wife Melania as they cast their votes at PS-59, Tuesday, Nov. 8, 2016, in New York. (AP Photo/ Evan Vucci)/NYEV123/16313673860990/1611081949Photo Evan Vucci

D'abord un homme dont le souci principal est la taille de sa bite, et puis cette femme au ventre rond,  recrachée (ou aspirée ?) par le ventre d'un avion-baleine. Un ventre d'acier et un ventre pailletée à droite, à gauche le requin à l'aileron relevé. On dirait une installation de Nikki de Saint-Phallus.

Quinze plus tard, on prend les mêmes et on recommence. A gauche, le mâle, à droite la femelle, ensemble il et elle ont assuré la reproduction de l'espèce. L'heure n'est plus à défier crânement l'objectif de la photographe. Le mâle a perdu de sa superbe, il doute, il supervise, il contrôle. La femelle, les yeux baissés, vote sans doute ce que le mâle lui a ordonné de voter. On rêverait du contraire.

Le soir de l'ouverture du bal d'investiture, à Washington, l'orchestre  joue My Way, chanson écrite par Paul Anka et chantée par Sinatra le roi des mafieux.

Ça commence comme ça

And now, the end is near;
Et maintenant que la fin est proche;

 (...)

Et puis plus loin

Yes, there were times, I'm sure you knew
Oui, il y eu des moments, dont tu as sûrement dû entendre parler
When I bit off more than I could chew.
Où j'ai eu les yeux plus gros que le ventre.
But through it all, when there was doubt,
Mais au-delà de tout ça, quand il y avait un doute,
I ate it up and spit it out.
Je n'en ai fait qu'une bouchée et l'ai recraché.
I faced it all and I stood tall;
J'ai affronté tout cela et j'ai été à la hauteur;
And did it my way.
Et je l'ai fait à ma façon.

"Les yeux plus gros que le ventre", comme en 2005, sur la photo prise par Annie Leibovitz, comme onze plus tard, au moment de voter. Avec Donald Trump, tout est toujours compétition et exhibition de force. La tribune devient ring de boxe, on catche plus qu'on ne parle, le poing vengeur, le pouce droit levé en signe de victoire. Trump, c'est un peu Barnum qui remplacerait au pied levé Jack Earle, le « Texas Giant », au lit avec la gastro. Les titres de ses livres parlent d'eux-mêmes. Think big and kick ass in business and life, Comment devenir riche, Penser comme un champion...

Bienvenu-e dans le trumpisme. Ou comment transformer la tribune politique en cirque médiatique, avec du grand spectacle, des ministres-freaks et des phrases coups de poing. La foire au monstrueux est ouverte : vivent le sexisme, les lgbtphobies, le racisme et la xénophobie.

Trump se fiche d'être montré du doigt, il en joue comme du reste. Premier exemple en date : le 21 janvier 2017, au lendemain de son investiture. Des dizaines de milliers de femmes dans le monde ont emboîté le pas des Américaines à l'origine de la Women's March à Washington. Qu'a fait notre twittophile ? A-t-il tweeté 140 signes vengeurs dans le genre "Feminists, over-rated females, don't know me but attacked last day. They are..." ? Que nenni.  Il l'a joué jésuite

 

Sous la phraséologie du démocrate convaincu le "cause toujours tu m'intéresses" du despote républicain.

Dans Méditation sur l'obéissance et la liberté, écrit en 1937, la philosophe Simone Weil dressait le constat suivant : pour contrôler l'insoumission des foules, la décourager, insoumission qu'une émotion partagée pourrait exciter, il faut convaincre chacun de son impuissance : "Entretenir ce sentiment d’impuissance, c’est le premier article d’une politique habile de la part des maîtres."

Avec son discours d'investiture, Trump l'illusionniste semble avoir pris le contre-pied de cette habileté-là. Au contraire, il s'est employé à donner l'illusion de puissance au peuple : "Je vous rends le pouvoir" a-t-il hurlé à un parterre de nanti-e-s. En bon populiste, il cultive chez ses électeurs-trices le fantasme du peuple souverain, peuple-carpette, peuple marchepied à l'accession au poste suprême. Rendre le peuple impuissant en prétendant le contraire, c'est la même chose que de dénoncer les mensonges de ses adversaires politiques afin de faire passer ses propres mensonges pour des vérités. Un tour de passe-passe d'où découle la nécessité de faire oublier son costume de politique, d'endosser celui du clown, de l'amuseur public, du justicier. L'affaire n'est pas nouvelle, seulement répercutée en temps réel par des médias et des réseaux sociaux toujours sur la brèche, avides de scoops, de buzz, de clics, qui à leur manière jouent le jeu parce qu'ils en profitent aussi. L'ère de la politique-réalité est arrivée.

Trump a compris que le réel s'inventait. Guignol a pris le pouvoir, il est sorti de sa baraque de bois peint pour envahir les écrans et faire écran à la vérité. La politique, pour lui, n'est-ce pas l'infini mis à la portée des assis-devant ? Premier exploit de la geste trumpienne, à peine le serment prêté, la main droite posée sur deux Bibles, faire table rase de ce qu'il existait avant lui. Play again. On recommence la partie, on efface des pages entières du site officiel de la Maison-Blanche, les pages dédiées aux droits LGBT. 404 not found. Ce qui fut n'a jamais existé. Et si jamais ces pages venaient à réapparaître, on pourrait toujours dire qu'elles n'avaient jamais disparu, que tout ça n'était qu'affabulation de journalistes.

Pour Trump, la vérité du réel ne veut pas dire grand chose. Mégalomane et mythomane, démiurge de sa propre grandeur, il écrit en 1987 : « Je joue avec les fantasmes des gens. J’appelle ça l’hyperbole véridique. C’est une forme innocente d’exagération - et une technique de promotion très efficace.» Sean Spicer, le nouveau porte-parole de la Maison-Blanche, n'a pas tardé à mettre en application les leçons de son mentor en affirmant que la journée d'investiture avait été un raz-de-marée populaire : "La plus grande foule jamais vue lors d'une investiture, point barre." Et tant pis si les prises de vues aériennes ont vite montré le contraire. Trump n'est même plus dans le déni, il soumet le réel à ses désirs, fort d'avoir convaincu une partie de l'opinion que le menteur, ce n'était pas lui, mais l'autre, le journaliste, le démocrate, le vaincu.

Au lendemain de l'investiture, la vraie vie avait repris son cours. Sur Twitter, c'est Hanouna qui arrivait en tête des TT.  Sur Amazon, Trump squattait les meilleures ventes avec un produit-phare sur lequel il n'avait pas encore pensé à faire figurer sa gueule de vainqueur :  du papier toilette à son effigie. Trumpman show must go on.