Quand le bac de français 2016 a la nostalgie de la IIIe République.

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Ce matin,  les élèves de Première passaient l’épreuve anticipée de français. Des élèves de première, oui, c'est-à-dire des garçons et des filles né-e-s entre 1998 et 2000, né-e-s à l'extinction d'un siècle fait de révolutions artistiques, d'explosions en tous genres - un siècle qui a cru un temps, après la découverte des camps d'extermination, que la poésie ne serait plus possible. Des garçons et des filles que leur photo d'identité montre encore mômes, avec leur peau de pêche et leur malice en fossette. Ils/elles sont élèves de 1ère S (scientifique), de 1ère ES (économique et sociale), de 1ère L (littéraire) ou de 1ère STMG (sciences et techniques de management et de gestion). Même ceux et celles qui disent s'en foutre retiennent leur souffle. Le bac, on a beau dire que ça vaut plus rien, c'est mieux de l'avoir, hein ? Pour beaucoup, c'est aussi un  passeport pour faire vraiment ce qu'on aime.

On retourne les sujets. « La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation, du XVIe siècle à nos jours » pour les ES, les S et les STMG : ça commence plutôt bien, l'objet d'étude était attendu. Les L, quant à eux, plancheront sur des réécritures autour de la figure du Sphinx.

C'est ensuite que ça devient pénible. En ES et S, le corpus est composé de quatre éloges funèbres d'écrivains prononcés par des écrivains, avec un commentaire composé portant sur l'éloge d'Emile Zola fait par Anatole France le 5 octobre 1902  ; en STMG, le commentaire porte sur un extrait de Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne. Soit. Le must, à l'heure du 2.0, de l'intelligence artificielle et des blogs, c'est le sujet d'invention : "Vous découvrez au concours Lépine une invention dont la nouveauté, l'utilité et l'ingéniosité vous séduisent. Désireux de partager votre découverte et de communiquer votre enthousiasme, vous écrivez un article dans le journal de votre commune". Les premières L ne sont pas mieux loties  : "Imaginez, sous la forme d'un monologue intérieure, les réflexions et la médiation d'un monument installé depuis longtemps dans un lieu de votre choix ; il s'interroge par exemple sur sa raison d'être, le comportement des hommes, son devenir, etc." Laissez-moi réfléchir.  "Un monument installé dans un lieu de mon choix" ?  Un monument aux morts ? La statue d'un écrivain mort (et de sexe masculin) ?

Le texte d'Anatole France, soumis à la sagacité des 1ere ES et des 1ère S, commence ainsi :

"Rendant à Émile Zola au nom de ses amis les honneurs qui lui sont dus, je ferai taire ma douleur et la leur. Ce n’est pas par des plaintes et des lamentations qu’il convient de célébrer ceux qui laissent une grande mémoire, c’est par de mâles louanges et par la sincère image de leur œuvre et de leur vie."
Bac Français
"Les mâles louanges", ça résume bien l'affaire. Sur les 12 auteurs, que des mâles. Des mâles presque tous mâles de la IIIe république. Quand c'était le bon temps. La France n'a alors que deux passions, ses institutions et ses colonies. La semaine de travail s'étire sur 48 heures, les congés sont encore aux frais de la princesse, l'école est obligatoire jusqu'à l'âge de treize ans. Pendant que maman prépare le café-crème, papa squatte le cabinet de toilettes chemise bouffante entre les bretelles. Le concours Lépine, du nom de son inventeur, préfet de police de la Seine, récompense le réchaud portatif, la lampe de poche, le cadenas et le stylographe. Anatole France, académicien, futur prix Nobel mis à l'Index par le Vatican, ne sent pas encore le rance. Ce n'est qu'en octobre 1924 que la jeunesse surréaliste rédigeant son premier pamphlet  collectif quelques jours après sa mort se chargera à sa manière de son oraison funèbre : "Anatole France n'est pas mort : il ne mourra jamais." L'avenir leur a donné raison.
Bien sûr quand les professeurs convoqué-e-s par l'inspection en juin 2015 ont commencé à réfléchir aux sujets de la session de juin 2016, le Bataclan était encore ouvert, Nuit Debout ne s'était pas levée, la loi Travail attendait son heure au fond de son tiroir. Mais l'ambiance était déjà aux radicalisations, aux fanatismes, à la haine de l'Autre, à la Méditerranée cimetière. Des caricaturistes avaient pris cher, comme diraient les jeunes, jeunes devant lesquels on ne menait pas large le 8 janvier 2015. Qu'est-il passé par la tête du recteur d'académie ou de la rectrice (12 rectrices pour 18 recteurs) quand il/elle a retenu ces sujets parmi les dizaines qui lui étaient proposées ? Si je calcule vite fait, il ou elle est né-e au milieu des années 1950, il ou elle a  passé son bac au début des années 1970. Il y en avait eu du grabuge et des Anatole France déboulonnés de leur piédestal... La libération sexuelle et féministe, le rock, le punk, les crises pétrolières, l'apparition des ayatollahs... Ben non. Pour le recteur ou la rectrice qui a choisi les sujets de l'épreuve anticipée de français, présentée par des jeunes gens de 16 ans le 17 juin 2016, la toute-puissance de la littérature, sa raison d'être, restent du côté de la barbe de nos arrière-grands-pères.

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, veuillez vous lever. LA FRRÂÂNCE (Roulements de tambour). La FRRÂÂNCE de demain et sa littérature sont derrière vous. Un-e volontaire pour prononcer son éloge funèbre ?