Barbie le changement c'est pas maintenant

Barbie s'offre cette semaine la première de couverture de l'hebdo américain Time. La poupée star de Mattel est une nouvelle femme. Elle a changé de mensurations et de couleur de peau. Il faut dire que ramenée à taille humaine, Barbie est une sorte de créature démesurée, aux jambes trois fois plus longues que le buste, épaulée comme un joueur de football américain.

barbie grandeur nature

Résultat : la poupée est plus conforme à l’IMC (indice de masse corporel) préconisé par les médecins.

Nouvelles Barbies

Jusqu'à présent, Barbie était blanche. La peau noire, c'était pour ses amies. Christie, naît en 1968, puis, l'année suivante, Julia, dont les traits rappelaient ceux de l'actrice noire américaine Diahann Carroll. Quatorze ans après l'expérience de Kenneth Clark, appelée le test de la poupée blanche et de la poupée noire, où des enfants noirs interrogés par le psychologue préféraient chaque fois la poupée blanche, "plus belle", "plus gentille". Ils avaient intériorisés racisme et discriminations, la haine de la société à leur égard s'étant mué en haine d'eux-mêmes.

Née en 1959 en bikini, Barbie s'est vite retrouvée sapée comme l’Américaine idéale incarnée par Jacqueline Kennedy, Jackie qui avait fait redécorer toute la Maison-Blanche tellement elle trouvait que sa prédecesseuse, la bien-nommée Mamie Eisenhower, avait des goûts de chiotte, Jackie habillée par Oleg Cassini, le couturier des stars. A quelques mois du mariage, quand elle ne voulait plus épouser le prince charmant trop coureur de jupons,  Joseph Kennedy avait acheté son consentement malgré tout à coup de robes et de bijoux.  La poupée modèle, qui devait guider les petites filles américaines sur le chemin de la femme parfaite, est devenue une poupée model puis une poupée top model, qu'on habille et déshabille sans cesse, manipulée, accessoirisée, toujours dans le bon ton, dans la norme.  C'est la dictature du dress code.

Barbie a changé de tout, sauf de forme de visage. Ses traits, à quelques nuances près, sont toujours les mêmes. Elle a perdu le teint très clair et le visage boudeur de l'enfance, une enfant avec une bouche très maquillée. Dans les années 1970, elle abandonne le teint côte Est pour celui de la côte Ouest : peau plus bronzée, maquillage plus léger, un sourire ouvert et jovial.  Elle est maintenant noire. Son visage a changé d’air, d’expression, de couleur mais il n’a pas changé de proportions. Une beauté normée. Mondialisable. L’ovale caucasien, les grands yeux, le nez aquilin, la bouche fine.  Au début les poupées blacks de Mattel étaient en caoutchouc. Elles sont maintenant comme les poupées blanches en polychlorure de vinyl. Voilà pour l'égalité de traitement. Pour le reste, la Barbie black me rappelle cette époque où, aux States, des acteurs blancs au visage noirci par un bouchon brûlé tenaient le rôle des esclaves se moquant de leurs négriers. Des Blancs singeant des Noirs caricaturant des Blancs.

J’ai compris pourquoi je détestais jouer à la poupée ou aux Playmobils. Je voulais toujours les faire baiser. Il y avait ces modèles réduits, des petites Barbies et des petits Kens, des micros-Playmobils. Comment étaient-ils venus au monde ?  Être enfant, était-ce ça, être une réduction de ses parents ? Grandir était-ce être condamnée à finir par leur ressembler. Moi, je ne voulais pas que Ken et Barbie se reproduisent, que leurs enfants soient une reproduction de leurs parents, des clones, je voulais qu’ils baisent. Idem pour les Playmo. Résultat au bout de cinq minutes, petit frère et copines me viraient du jeu, et je retournais à mes rêveries de poupées baiseuses.

Barbie et Ken n'ont pas d’enfants. Je l'ai appris plus tard. Les modèles réduits sont leurs frères et sœurs. Pour cause. Ken que Barbie "fréquente", comme on disait aux débuts des années 1960, a plein d’amis, sait danser, monter à cheval, jouer au tennis, faire du bateau mais ne peut pas faire l'amour. Sans doute aimerait-il mais Mattel l’a créé eunuque. Il fallait bien rassurer les mamans des années 1950, type maman de la Manif pour tous qui ont plein de gosses mais qui ne veulent pas ébruiter ce qu’elles font pour les faire.  Chaque année, Barbie s’offre une nouvelle robe de mariée, et Ken un beau costume.  Et chaque année la nuit de noces passe à l’as. Ce qui ne les a pas empêchés de devenir grands-parents. C'était il y a douze ans jour pour jour.

Barbie n'a ni sexe ni sexualité.

Barbie n'a pas d'être. Elle se contente de paraître.

Mattel n'a pas revu son modèle de beauté, il a revu sa stratégie marketing. Maintenant que le féminisme libéral est devenu mainstream, il  faut à Mattel conquérir de nouvelles parts de marché, d'autant plus que, même s'il continue à se vendre deux Barbies/seconde, elle n'est plus la poupée fétiche des petites filles. Faut cibler plus large, cibler king size, et la bailler belle à la reine des neiges. Depuis sa création, Barbie  a suivi les modes d'une époque plus que ses idéologies. Mattel n'invente rien. "La Barbie comme tout le monde", c'est-à-dire semblable à l'occidentale lamba, existe déjà. Elle s'appelle Lammily, nom bâti sur celui de son créateur, l'artiste Nickolay Lamm.

Lammilyl

Barbie poupée plastique, fille de l'industrie pétrolière, de l’industrie de la mode et de la cosméto, est si plastique qu’elle autorise toutes les projections, les appropriations, les avatars et les détournements.  Elle n'a pas d’identité autre qu’une identité accessoire, modulable, d’apparat, d’apparence. D’où le hashtag  #InventeUneBarbie qui a cartonné cet après-midi, et réuni de nombreux garçons aussi légers qu'un concerto brandebourgeois, ramenant la poupée de Mattel à l'état d'objet/de jouet sexuel. Un hashtag créé à la suite de la nouvelle ménarderie du maire le plus abject de France.

(Merci à lui  d’avoir, à l'insu de son plein gré, prouvé que la grossophobie, la xénophobie et la transphobie procédent de la même haine de l’autre.)

Une Barbie transgenre, quelle bonne idée. Mais elle aussi existe déjà. On la doit à Andy Warhol quand il a représenté BillyBoy* à sa demande sous les traits de Barbie.

BillyBoy Barbie

Barbie pourrait alors métaphoriser cette pensée fameuse de l'artiste transsexuel Ru Paul : "Nous naissons nus tout le reste n’est que travestissement.'

Barbie deviendra une vraie femme quand elle se choisira en dehors des injonctions marketing de sa maison mère. Se choisir, c'est d'abord se déconditionner puis s'aventurer en dehors des sentiers balisés par la norme. C'est décider seule de ce que l'on veut être. De sa vêture, de son allure, de ses mots (Barbie parle et ce qu'elle raconte n'est pas d'elle) et de sa sexualité. Il est temps que la poupée se prenne en main.

Barbie

Au mois de juin dernier, Mattel faisait à Barbie des chevilles articulées pour qu'enfin elle puisse porter quand elle le souhaitait des chaussures plates. On se souvient de cette scène fameuse dans la première saison de L Word où les copines de Dana arrivaient en commando  au club house pour passer au crible la sous-cheffe que la joueuse de tennis kiffait grave. Parmi les critères de lesbianisme supposé, les ongles courts plutôt naturels que vernis, l'absence de boucles d'oreilles, la coiffure en vrac - que les cheveux soient portés longs ou courts - et les chaussures sans talons. Barbie a fait le premier pas. Qu'elle fonce.  Il y a une vie après Ken. Une Barbie lesbienne, je vote pour.