Quand l'amour entre femmes fait mal

 

 

Est-ce un hasard si en ce jour de Sainte Catherine, fête des bienheureuses qui, à 25 ans, ne sont pas encore entrées dans l’enfer conjugal, une Journée internationale est dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes ?

Pour mémoire : Tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint. Parmi celles que les gnons laissent vives, seules 14% d’entre elles portent plainte. C’est peu. Il y pourtant plus mutiques encore que les femmes hétérosexuelles : ce sont les lesbiennes, les bies, les transsexuelles. Parentes pauvres, oubliées, invisibles des campagnes de prévention financées par l’Etat, que ces campagnes concernent les questions de santé sexuelle ou de violences conjugales. Peut-être parce que ces femmes-là, considérées comme minoritaires, comptent peu. Peut-être aussi parce que, dans le cas des violences conjugales, ces violences sont plus taboues encore quand elles concernent des couples auxquels une légitimité a longtemps été refusée.

En France, depuis la fin de l’année 2005, les violences faites aux femmes ont fait l’objet de nombreux rapports dans le cadre des questions de santé publique. La loi du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, a reconnu la violence conjugale comme délit aggravé… y compris dans le cadre d'un PACS. En 2006 le Crips ( Centre Régional d’Information et de Prévention contre le Sida) éditait une brochure dédiée aux violences au sein du couple lesbien. Le magazine Têtu lançait sur son site un appel à témoins : « Vous êtes gay ou lesbienne, et vous avez vécu ou vivez une relation d'«amour» émaillée de violence physique ou morale. Comment cela a t-il commencé? Comment vous en êtes-vous sorti(e)? »

« Quand l’île des amantes chavire »… L’article date de cette année-là. Il est signé Irène Demczuk, publié sur le site du GIVCL (Groupe d’Intervention en Violence Conjugale chez les Lesbiennes). Il évoque une réalité ignorée de la pensée straight – et occultée par les lesbiennes. Quand l’embarquement pour Cythère se transforme en traversée de l’Achéron, à qui s’adresser ? A ces lignes d’écoute, ouvertes à toutes les femmes, quelle que soit leur orientation sexuelle. Mais peu de lesbiennes, bies, transsexuelles osent décrocher leur téléphone. Par honte. Par peur d’être jugées. Comment imaginer, dans une communauté façonnée par le féminisme, que la violence conjugale ne soit pas l’apanage que du couple hétérosexuel ? Que les « deux amies » puissent devenir les pires ennemies ? Et pourtant, les violences physiques, psychologiques, sexuelles subies par certaines homosexuelles, bies, trans font tout aussi mal… D’autant plus mal qu’elles sont tues. Les dénoncer, c’est s’obliger à sortir du placard, affronter et renforcer le stéréotype lesbophobe que les lesbiennes sont "malades", que leur orientation sexuelle, déviante et malsaine, porte en elle les germes de la violence. Et puis, entre femmes, il y a moyen de se défendre. Les bagarres entre gonzesses, c’est pas bien sérieux, hein ma p’tite dame ?

En France, les associations/structures de soutien aux lesbiennes, bies et trans victimes de violences conjugales sont inexistantes. il y a eu l’association « AIR libre », association d’interventions, de recherches et de lutte contre la violence dans les relations lesbiennes et à l’égard des lesbiennes. La dernière mise à jour de leur site a dix ans. Sinon, il y a l'association AGIR, créée en février 2014, qui a lancé le dispositif "Brisons le tabou" dans l’espoir de visibiliser et de combattre les violences conjugales au sein des couples de même sexe, passées sous silence aussi bien par les pouvoirs publics, les médias que la communauté LGBT. Selon l'association, 11% des gays et des lesbiennes et 20% des bi.e.s déclaraient avoir subi des violences conjugales en 2013. Seulement 3% d'entre eux/elles avaient porté plainte.

J’ai appelé leur ligne d'écoute, Violences Conjugales LGBT Info Services, au 0 811 69 39 19 : « Bonjour, après le signal sonore, cet appel vous sera facturé cinq centimes d’euros plus le prix d’un appel normal. » Après le troisième signal sonore sans personne au bout du fil, j’ai raccroché.