Le buste d'Olympe de Gouges

 

 

Il faudra encore l’attendre. Attendre le buste d’Olympe de Gouges, buste d’une grande femme comme il existe de grands hommes, une grande femme que son siècle a eu en horreur. Attendre le buste de cette femme auquel la Cinquième République s’apprête à rendre la tête tranchée par la Première naissante, et qui devait être dévoilé demain matin à l’Assemblée nationale, lors de l’hommage rendu aux 33 premières femmes élues députées il y a 70 ans.

Ce buste, c’est une première en son genre, quand on saura que ne pénètrent dans les couloirs du Palais Bourbon que les déesses grecques - allégories de valeurs dites masculines - et, à la buvette, les nymphes à poil. Il n’y a guère que la droite conservatrice à s’être montrée un tantinet jacobine à l’annonce cet été du grand remplacement : c’est que pour accueillir le buste d’Olympe de Gouges, en face de Jean Jaurès, il faudra déplacer au salon Pujol celui d’Albert de Mun. Que Gilbert Collard (FN) et Jean-Frédéric Poisson (UMP) se rassurent – eux qui, après avoir porté haut les revendications contre « le mariage pour tous » en 2013, se sont émus de la nouvelle : les valeurs de la future résidente de la salle des Quatre-Colonnes, menant à un hémicycle composé de 74% d’hommes, ne sont guère éloignées des valeurs du fameux Albert dont ils pleurent la relégation. Le catholicisme et l’antisémitisme en moins.

Née à Montauban en 1748 d’une histoire d’amour entre une femme de la rue et un poète à particule, Olympe de Gouges a pris très tôt conscience des inégalités régissant la société. De son mariage avec le boucher Aubry, elle a hérité ensuite de l’horreur du sang. Veuve enfin, la bourgeoise de Montauban baptisée Marie Gouze s’est choisi un nom de scène. A Paris, passée par les fourches caudines du trottoir, elle n’a pas tardé à se faire une place dans le monde. Enfant naturelle qui parlait l’Occitan, elle a appris la langue de la République. Plutôt que de se barricader dans les salons, elle est descendue dans la rue, là où se fait l'opinion. La société est devenue son champ de bataille. Aucun esclavage n’a échappé à sa passion de l’égalité : elle a lutté pêle-mêle pour les faibles, les opprimés, les femmes, les Noirs, les filles mères, les enfants naturels, les prostituées, les sans-travail. Au droit de vote que le législateur révolutionnaire a oublié de donner aux femmes, elle a voulu ajouter le droit au divorce et à l'héritage, le remplacement du mariage par un pacs avant l’heure, une reconnaissance des enfants nés hors mariage, l’accès pour les femmes à tous les métiers.

Que n’a-t-on dit au sujet d’Olympe ? « Femme galante à l'ego démesuré » pour Fouquier-Tinville et les siens, « héroïque et folle », selon les Goncourt, spécimen intéressant de  paranoïa reformatoria, pour le médecin Alfred Guillois, qui dans une étude parue au début du XXe siècle brosse le portrait des femmes révolutionnaires. Manie de la persécution, hystérie, confusion des sens, féminisme aberrant, autant de symptômes de cette obsession délirante de réformes. En vérité, Olympe n’a connu qu’un malheur : celui de prendre au pied de la lettre la liberté de la Révolution. Jusqu’à en perdre la tête. Voilà pour sa folie. Dépenaillée, si elle l’a été, c’est à la manière de la liberté guidant le peuple, le bras nu conquérant et les seins électrisant le monde.

Pour l’heure, les seins d’Olympe resteront de marbre. Couverts peut-être même comme ils le sont, peints par Alexandre Kucharski, et dont nos deux retardataires – la peintre Jeanne Spehar et le sculpteur Fabrice Gloux, se seraient inspirés pour façonner la seule Marianne que mériterait la République. Ce buste tour à tour femelle et mâle quand il s’agit de la détester. Robespierre, qui la fit guillotiner pour ses activités politiques, n’a-t-il pas dit d’elle qu’elle avait « oublié les vertus qui conviennent à son sexe » ?

Barbe sans titre

Dessin de Vaïnui de Castelbajac

Mâle quand de sa voix haute et puissante elle couvrait toutes les autres, pour oser en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, mâle quand elle faisait jouer ses pièces à la Comédie-Française où les femmes étaient rares. « Il faut de la barbe au menton pour faire un bon ouvrage dramatique » avait décrété Beaumarchais qui prétendait avoir le « style un tant soit peu spermatique ». Pour l’écrivaine, il fallait en finir avec la toute-puissance de la barbe.

Car la barbe ne fait pas plus l’homme qu’elle ne fait la femme.

Au fur et à mesure que la Révolution se radicalise, Olympe de Gouges agace autant les royalistes que les républicains, d’accord au moins sur un point : ce n’est pas aux femmes de mener les hommes par la barbichette. De son côté, elle dénonce la barbarie de chacun. Rien ne l’arrête. Ni les moqueries, ni les critiques, ni les menaces. Il fallait au pays une imprécatrice, un tribun… Et tant pis si tribun n’a pas d’autre féminin que « tribune » - l’estrade sur laquelle brille le rhéteur. Au féminin l’objet inerte, au masculin la puissance du verbe. Olympe contourne les obstacles de la langue. Depuis sa première affiche, écrite en 1788 à Versailles, jusqu’à la dernière bravade contre Robespierre qu’elle soupçonne d’être un tyran, elle s’en tient à son idée : « La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également le droit de monter à la tribune. »

En décembre 1792, la « tribune » prend la défense de Louis XVI, non qu’elle doute de sa trahison, mais parce qu’elle est une adversaire farouche de la peine de mort. Sa proposition, lue devant la Convention, lui vaut au dedans des persiflages - "Qu'elle tricote plutôt des pantalons pour nos braves sans-culottes !" - et au dehors des menaces. Dans la rue, un manant l’attrape par les cheveux et son sabre levé sur sa tête, la met à prix ! Pour vingt sous ! Sans se départir de son calme, Olympe réplique : « Je mets la pièce de 30 sous et vous demande la préférence. »

« S’il n’en reste qu’une, je serai celle-là », pourrait-elle dire avant le Hugo des Châtiments, quand en juin 1793, elle se déclare en faveur des Girondins. Cette tête folle d'Olympe se moque bien de finir comme Théroigne de Méricourt, dénudée et fessée par des jacobines. Dénoncée par son afficheur, elle est arrêtée sur le pont Saint-Michel et aussitôt incarcérée.

Prison ne rime pas pour elle avec bâillon. Du fond de sa geôle, elle parvient encore à faire afficher dans Paris un pamphlet dénonçant les conditions de son incarcération. Le 2 novembre, à l’aube, elle est jugée, sans l’avocat qu’on lui a refusé, et condamnée à mort par le Tribunal révolutionnaire pour avoir rédigé des écrits « attentatoires à la souveraineté du peuple ». De son côté, elle a fait son testament : « Je lègue mon cœur à la patrie, ma probité aux hommes, mon âme aux femmes ». Le lendemain, elle monte sur l'échafaud. A cette femme à qui les hommes voulaient « offrir une lame à raser la barbe », ils en ont trouvé une à sa mesure… Robespierre, avant d’y passer à son tour, teste sur elle le couperet de la guillotine. Ainsi se réalise la prophétie d’Olympe «  Il n’y a qu’au pied de l’échafaud que les hommes et les femmes sont égaux.  »

Sur le piédestal du buste si attendu devrait figurer la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. C’est mieux qu'imprimée sur un tablier, vendu un temps à la boutique de l’Assemblée nationale, quand il fallait dédommager la grande femme d’être restée à la porte du Panthéon malgré les suffrages du peuple internautique. Depuis, le tablier a été remplacé par un autre portant le menu du premier repas parlementaire en 1921. Et Olympe de Gouges est sortie de la cuisine pour aménager dans la salle des Quatre-colonnes, salle où la patrie reconnaissante l’attend toujours.